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Économie - Grèce

Cigarettes et essence : la Grèce, triangle des Bermudes de la fraude fiscale

Un cargo fantôme abandonné dans la baie d'une île grecque en plein hiver : le scénario, qui a de quoi exciter l'imagination, est devenu banal pour la police maritime qui a découvert dans les cales des millions de cigarettes, contrebande dont la Grèce est depuis plusieurs années une plaque tournante. Quelle aurait été la destination finale des 981 000 paquets découverts en décembre dans la cargaison de l'Amaranthus, un rafiot échoué sur une plage de Zanthe (mer Ionienne) ?


Tous les pays européens sont touchés par le commerce illicite de cigarettes, mais la Grèce, en plus d'être un des principaux points d'entrée de ce trafic, s'est muée depuis le début de la crise en juteux marché pour les réseaux spécialisés car la consommation de tabac de contrebande y a explosé. Le gouvernement d'Alexis Tsipras a placé la lutte contre cette fraude en tête de son catalogue de réformes, avec la promesse de s'attaquer à un autre gouffre de recettes : la contrebande d'essence. Le manque à gagner en termes de recettes fiscales se chiffre, selon les estimations, entre 500 et 650 millions d'euros par an pour le tabac, jusqu'à 1,5 milliard pour l'essence, une perte notoire pour un État à la recherche désespérée d'argent.
Selon les estimations de la société d'études marketing AC Nielsen, qui recoupe les estimations du centre grec de planification économique (KEPE), les cigarettes illégales consommées en Grèce représentaient 21 % de l'ensemble du marché fin 2014, contre 3 % en 2009, soit avant la déflagration de la crise et les hausses de taxes sur l'alcool et le tabac. Ce qui fait dire à Ioannis Michaletos, expert associé à l'Institut d'analyse de la défense et de la sécurité (ISDA), que « la seule solution efficace passerait par une baisse des prélèvements de l'État sur le paquet de cigarettes », renchéris à sept reprises en cinq ans, selon les cigarettiers.
Une voie qui ne sera sans doute pas celle du gouvernement, plus motivé pour renforcer les contrôles, améliorer les outils existants (scanner, rayons X), mettre en œuvre une directive européenne sur la traçabilité des paquets. Ces dispositifs laissent sceptique M. Michaletos « alors que des États européens beaucoup mieux armés que la Grèce n'ont pas enregistré beaucoup de succès en la matière ». Un officier de sécurité familier du sujet déplore, sous le couvert de l'anonymat, « la défaillance de l'administration des douanes grecques », par manque de moyens et corruption, et « le faible nombre d'enquêtes en amont des saisies pour remonter les filières ».

 

De l'essence couleur marine
Car si les prises sont nombreuses (+ 50 % en Grèce au premier semestre 2014 sur un an), il faut pouvoir traquer les responsables d'un trafic multiforme : importation de cigarettes contrefaites, fabriquées notamment en Chine ; fraude à la TVA communautaire – du tabac produit dans l'UE prend la route de l'export mais est finalement vendu au noir en Europe ; contrebande locale – la Grèce étant elle-même un important producteur de tabac, en plus d'être parmi les pays de l'OCDE comptant le plus de fumeurs. Dernière opération en date : quatre millions de cigarettes saisies dans le port d'Igoumenitsa (Nord-Ouest), le 23 février, dans un semi-remorque prêt à embarquer pour l'Italie.


La singularité maritime de la Grèce joue également dans l'ampleur du trafic de produits pétroliers : un cinquième de l'essence automobile du pays est frelaté, principalement avec du carburant maritime beaucoup moins taxé, selon une enquête de 2012 de l'Institut des recherches industrielles (Iove).
Une autre technique consiste pour les distributeurs grecs à gonfler leurs chiffres d'exportation d'essence vers les pays voisins (Macédoine, Bulgarie, Turquie) et revendre la différence au noir en Grèce, explique à l'AFP Giorgos Asmatoglou, président de l'Association des propriétaires de stations d'essence (Popek).
Si tous les dirigeants grecs ont promis de s'attaquer à ce sport national, Giorgos Asmatoglou fait crédit au gouvernement Syriza d'une « volonté nouvelle », sous la houlette d'un vice-ministre du Budget, Dimitris Mardas, professeur d'économie qui a produit des études sur cette question. Restée lettre morte depuis des années, la mise en œuvre d'un contrôle GPS tout le long de la chaîne de distribution peut, selon M. Asmatoglou, « vraiment changer la donne ».

Un cargo fantôme abandonné dans la baie d'une île grecque en plein hiver : le scénario, qui a de quoi exciter l'imagination, est devenu banal pour la police maritime qui a découvert dans les cales des millions de cigarettes, contrebande dont la Grèce est depuis plusieurs années une plaque tournante. Quelle aurait été la destination finale des 981 000 paquets découverts en décembre...

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