Un bureau et une salle de réunions à Jdeideh, non loin de la zone industrielle. C'est le siège du parti de l'Union syriaque du Liban, membre d'une fédération qui existe dans plusieurs pays du monde, notamment en Europe et en Amérique, où les syriaques, l'une des plus vieilles communautés chrétiennes du Moyen-Orient, s'exilent depuis la seconde moitié du siècle dernier.
Ibrahim Mrad, chef de ce parti, qui a vu le jour au Liban en 2005, reçoit ses visiteurs sous un drapeau frappé de l'aigle de Babylone, l'un des plus anciens symboles du christianisme auprès de cette communauté dont le berceau se trouve en Mésopotamie. Aujourd'hui, il n'y a plus que 850 000 syriaques – catholiques et orthodoxes – dans le monde, dont 30 000 au Liban, formant ainsi la plus importante minorité chrétienne du pays.
Ibrahim Mrad fait partie de ces chrétiens syriaques, nés au Liban, ayant la nationalité libanaise et qui croient en une cause. Il évoque le sang versé par les chrétiens du Liban en général, et les syriaques du Liban en particulier, pour préserver le pays. « Qui ne se souvient pas, dit-il, de l'unité des Tyouss (des syriaques qui se battaient sous l'égide des Forces libanaises) qui tenaient la ligne de démarcation du Musée ? »
Évoquant le nombre de chrétiens ayant fui la guerre en Syrie, et qui étaient au nombre de trois millions, le chef du parti de l'Union syriaque indique qu'il ne reste plus qu'environ 750 000 chrétiens, toutes communautés confondues. « Environ 2 250 000 sont partis au cours des quatre dernières années pour l'Europe, l'Amérique et l'Australie. Même ceux qui viennent au Liban n'y restent pas ; ils veulent partir ailleurs en quête d'une nouvelle vie », estime-t-il.
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Ibrahim Mrad, comme nombre d'experts établis en Allemagne et spécialisés dans les affaires des minorités chrétiennes, souligne que « le sentiment d'appartenance des chrétiens de Syrie à leur terre n'est pas aussi important que celui des chrétiens du Liban ». « Le Liban est différent géopolitiquement. Même si leur nombre est moins nombreux que les autres chrétiens établis dans les pays du Moyen-Orient, les chrétiens du Liban se battent. Leur sentiment d'appartenance est plus important... », indique-t-il.
Les chrétiens de la région ont été marginalisés par leurs gouvernements et les dictateurs en place, ce n'est pas le cas du Liban où les chrétiens, notamment les maronites, ont édifié l'État.
Mis à part les chrétiens du Liban, les chrétiens de la région se contentaient simplement d'exercer librement leur religion, laissant de côté ambition politique ou militaire.
En Syrie, le régime participait – même indirectement – à la nomination des religieux chrétiens. Et les services de renseignements étaient même présents dans les églises.
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Collectes de fonds auprès des émigrés
Concernant le nombre de syriaques ainsi que d'assyriens et de chaldéens qui ont quitté l'Irak pour le Liban après l'arrivée de l'État islamique, en juillet 2014, M. Mrad souligne qu'ils sont environ 15 000 personnes. Ces familles vivent actuellement à Sad el-Bauchrieh et à Sarba. Elles sont en attente de quitter le Moyen-Orient définitivement pour partir en exil en Europe et aux États-Unis, grâce à des demandes d'asile qu'elles ont déposées auprès de l'UNHCR.
Mais aujourd'hui, en Syrie, à Hassaké et à Qamishli, les syriaques ont formé des unités guerrières, un Conseil de sécurité syriaque appelé Sutoro et une police. Sutoro relève du Conseil national syriaque de l'Euphrate et du Tigre, étroitement lié à la Fédération de l'Union syriaque.
« Nous avons réussi, en février dernier, à reprendre 22 villages chrétiens, syriaques, assyriens et chaldéens occupés par les miliciens de l'État islamique. Ces localités ont malheureusement été reprises par les jihadistes », dit-il.
« Nos combattants, dont le commandant est un ancien officier de l'armée suisse, un syriaque de Syrie dont le père avait été tué par le régime de Bachar el-Assad, sont au nombre de 2 500. Ils tiennent la sécurité dans les villages chrétiens et ils sont soutenus par les Kurdes », indique-t-il. Et cela même si les Kurdes avaient perpétré les plus graves massacres contre les syriaques – le génocide de Seyfo – à la demande de l'Empire ottoman, lors de la Seconde Guerre mondiale.
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Les alliances changent avec le temps et les Kurdes, contrairement aux chrétiens de Syrie et d'Irak, ont réussi à se faire entendre sur le plan international... Les combattants syriaques disposent d'armes de petit et de moyen calibre, des fusils, des kalachnikovs, des grenades et des roquettes.
« Sutoro les achète aux marchands d'armes arabes en Syrie. Des collectes de fonds sont effectuées dans ce cadre auprès des émigrés de la communauté syriaque en Europe, notamment en Suède, aux Pays-Bas et en Allemagne, et aux États-Unis », indique M. Mrad, lançant un appel à la communauté internationale pour qu'elle aide les combattants syriens à se défendre contre l'État islamique. La fédération de l'Union syriaque collecte de l'argent auprès de la communauté aussi bien pour les armes que pour les aides humanitaires.
Sur le plan de l'humanitaire, chaque mois, 80 tonnes d'aides sont acheminées via la Turquie aux chrétiens de Hassaké et Qamishli. « Les chrétiens de ces districts qui vivent dans les villages occupés par l'État islamique paient déjà la dîme (taxe imposée aux monothéistes non musulmans). Il n'y a pas eu jusqu'à présent de décapitations ou d'exécution de chrétiens », dit-il.
Les syriaques ainsi que les assyriens et les chaldéens ont également une unité combattante à Erbil. Là-bas aussi, ils sont aidés par les Kurdes. Ils espèrent un jour libérer la plaine de Ninive et Mossoul, le berceau de leur civilisation... Peut-être faut-il parfois croire très fort aux causes que l'on défend.
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commentaires (5)
Pauvres Syriaques !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
01 h 22, le 04 mars 2015