Le statut d'allié des Américains et des Européens aujourd'hui ne semble pas être un pari gagnant. Des rebelles syriens opposés à Bachar el-Assad, aux nouvelles autorités à Kiev, en passant par plusieurs régimes autoritaires balayés par les révoltes arabes, on ne peut qu'être interloqué par le mauvais sort qui les touche. Encore plus déconcertant, la politique des Occidentaux envers leurs alliés : manque de soutien efficace, réticence à les armer ou intervenir militairement en leur faveur, les lâcher quand ils sont affaiblis... En d'autres termes, il n'est pas bon d'être l'allié des Occidentaux en ces temps de crises.
Par contre, la Russie soutient férocement ses alliés (à l'instar des rebelles séparatistes ukrainiens ou du régime de Bachar el-Assad), gagnant même du terrain face à leur adversaire, alors qu'Américains et Européens ont délaissé cruellement les leurs.
Pour le général à la retraite, Hicham Jaber, expert en géostratégie et directeur du centre d'étude du Moyen-Orient, « les États-Unis s'appuient sur des alliés qui défendent leurs intérêts à travers le monde. Qu'ils soient démocratiques ou non, l'important c'est d'avoir un régime fort sur lequel les Américains peuvent compter ». Et d'ajouter : « Le jour où ce partenaire vacille, Washington a son plan B qui consiste à s'allier au plus fort, même s'il s'agit d'un ennemi. » « Pour les États-Unis, un régime faible a la même valeur qu'une boîte de conserve : quand un gouvernement est périmé, ils le laissent tomber », estime-t-il.
Côté européen, le problème peut se poser de différentes façons, affirme Florent Parmentier, enseignant et responsable de programmes au master affaires publiques de Sciences Po. Paris et cofondateur du blog EurAsia Prospective.
Après tout, en Ukraine, « c'est précisément lorsque Viktor Ianoukovitch a tourné le dos à l'offre des Européens, en novembre 2013, qu'il a rencontré les pires difficultés de sa présidence. Pour l'opinion publique ukrainienne, le mode de vie européen est tout sauf répulsif, alors que la Russie n'a pas su convaincre avec l'alternative qu'elle proposait, à savoir l'Union eurasiatique. Paradoxalement, c'est d'être l'ami de la Russie plutôt que l'ami de l'Europe qui a condamné l'ex-président ukrainien, même si celui-ci était surtout l'ami de son propre clan ».
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Quels amis ?
Toutefois, cette attractivité toujours réelle de l'Europe n'implique pas un soutien militaire aux idées qu'elle porte, ajoute M. Parmentier : « On se mettra d'accord à 28 pour l'organisation de médiations, d'aide humanitaire, de conseil pour la reconstruction, de l'exportation de l'État de droit, éventuellement d'opérations policières, mais difficilement d'opérations militaires. Ceci s'explique également par le fait que les Européens, jusqu'à récemment, étaient persuadés que la puissance militaire était démodée. C'est sans doute vrai à l'échelle intraeuropéenne, cela ne semble pas l'être au niveau international. » Selon lui, « c'est sans doute autour de la France, voire de la Grande-Bretagne, que peut s'organiser une initiative européenne forte en ce domaine ». En un mot, on pourra conclure que c'est précisément lorsque l'Europe est amie avec des autocrates, pour des questions d'intérêts divers, qu'elle semble mal à l'aise pour les défendre...
Différents enjeux
Comment expliquer donc ce manque d'engagement flagrant de la part des Occidentaux, alors que la Russie de Poutine marque des points, qu'il s'agisse de l'Ukraine ou de la Syrie ? Pour le général Jaber, « le conflit syrien n'est pas semblable au conflit ukrainien. Alors que l'Ukraine est vitale pour la Russie, la place de la Syrie est géostratégique ». En effet, pour Moscou, il y a un intérêt historique évident concernant ce pays, considéré comme « son arrière-cour ». Il y a en outre des intérêts communs tant aux niveaux linguistique, ethnique que religieux. Selon l'expert libanais, « la cause de ce conflit est l'ingérence des États-Unis qui ont fait pression sur les Européens pour attirer l'Ukraine vers eux. Ainsi la Russie est très contrariée par la position américaine en concernant ce qu'elle estime être sa chasse gardée. D'ailleurs, Moscou respecte les règles du jeu et ne joue pas les trouble-fêtes en Amérique latine, considérée comme l'arrière-cour des USA, même si plusieurs pays de cette région, comme le Venezuela, sont en mauvais termes avec Washington ».
Quant à la Syrie, ajoute le général Jaber, elle est le seul allié qui reste à Moscou au Proche-Orient, alors que, du temps de l'URSS, ce dernier avait au moins six pays partenaires dans la région. « Par ailleurs, pour la Russie, le port de Tartous a un intérêt tactique de première importance, puisqu'il s'agit du seul site militaire maritime en Méditerranée orientale », dit-il.
Florent Parmentier estime, lui aussi, que l'engagement de la Russie dans ces conflits s'explique par des facteurs historiques et géopolitiques : « L'Ukraine et la Russie ont des relations extrêmement étroites à tous les niveaux, et Moscou coopérait déjà activement avec Damas pendant la guerre froide. La Russie envisageait même un temps, si elle devait évacuer Sébastopol, installer une base navale à Tartous, sur la côte syrienne. »
Des gains fragiles
Toutefois, ajoute l'expert français, « en dépit du volontarisme affiché, les gains actuels de Poutine restent fragiles : le conflit a amené une grande partie de l'Ukraine à rejeter la politique russe, éloignant deux pays culturellement proches ; quant au soutien à la Syrie, il ne doit pas faire oublier les multiples menaces existant sur le flanc sud de la Russie, y compris d'ailleurs en Russie même où le risque terroriste existe ».
Il est également vrai, ajoute M. Parmentier, qu'Américains comme Européens hésitent à s'engager dans ces conflits : en Ukraine, afin d'éviter une crise ouverte avec la Russie, en Syrie, après les opérations en Irak et en Afghanistan. « En outre, la situation sur le terrain semble plus complexe que prévu : si Bachar el-Assad est une figure repoussante, ses ennemis ne semblent pas plus dignes de confiance... Par qui souhaite-t-on le remplacer ? » s'interroge Florent Parmentier.
(Tribune : Une nouvelle alliance sino-russe ?)
Si les Européens ne sont pas activement impliqués dans le conflit syrien, il n'en ait pas de même pour les Américains, assure le général Jaber. Selon lui, « malgré l'insuffisance du soutien aux opposants du régime syrien, les États-Unis poursuivent inlassablement leur guerre contre Bachar el-Assad, notamment sur le plan militaire, mais aussi financier. En effet, selon lui, la chute des prix du pétrole visent principalement à faire plier la Russie et l'Iran (les principaux soutiens de Damas), et donc insidieusement la Syrie ».
Quant à l'Ukraine, d'après le général libanais, les États-Unis soutiennent activement le gouvernement de Kiev en lui fournissant – directement ou indirectement – armes, formation militaire et financement. Par contre, les Européens n'ont pas les moyens d'entrer en confrontation avec la Russie. Ils ont assez de divisions et de problèmes, notamment économiques, et les deux piliers de l'Europe (Allemagne et France) n'ont pas la volonté politique de le faire.
Les Occidentaux sont eux-mêmes divisés sur la marche à suivre, renchérit M. Parmentier : « Les Américains sont très proactifs dans la mesure où le coût économique des sanctions est supporté par les Européens. Par ailleurs, un débat se fait jour à Washington sur la possibilité de livrer des armes non létales à l'Ukraine, afin de défendre le territoire contre l'incursion des séparatistes. Pour les Européens, passer d'une politique de sanctions à une politique de livraison d'armes paraît un pas très difficile à franchir, non seulement en raison de la division au sein de l'UE, mais également des risques d'une telle politique. »
En conséquence, la Russie est gravement touchée par les sanctions économiques et la chute du prix du pétrole. Mais « Poutine reste fort grâce à l'appui massif des Russes » et à ce que le général Jaber appelle « la dignité russe ». Selon lui, « le Kremlin ne peut pas se permettre de perdre, sinon la Russie risque d'être relayée aux pays de 2e catégorie ».
Même son de cloche chez M. Parmentier : « L'implication directe des Russes s'explique par un facteur très simple : la peur fondamentale du déclassement et de la marginalisation stratégique de leur pays. Lâcher l'Ukraine, pays avec lequel la Russie a des interactions très fortes, un sentiment de proximité historique et culturelle, où les populations sont elles-mêmes souvent mêlées, c'est abandonner toute politique de puissance pour Moscou. »
En tout état de cause, « il n'y aura pas une guerre généralisée entre les pays occidentaux et la Russie. C'est une guerre de nerfs pour savoir qui va céder le premier », conclut le général Jaber.
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CE SERAIT S'ALLIER À DE FAUCONS... OU À DE DINDONS ?
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 25, le 09 février 2015