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Lifestyle - Tous les chats sont gris - Soirée

Les démons de janvier, les démons de minuit

Le premier mois de l'année est mal aimé, on le sait. Les fêtes sont passées, la fête est finie. L'année a (re)démarré du mauvais pied. Nos journées sont grises et moroses, le climat est d'une nonchalance glaciale. D'autant que la semaine dernière, la nuit s'est tachée de sang.

Photo Nayla Ghazzaoui

Il fut un temps où les montagnes du Kesrouan agissaient comme un baume au cœur, région Bisounours dans un pays de brutes. Même mal chauffés pendant les pénuries hivernales et malgré leur parenté avec des HLM du 93, les petits chalets suspendus dans le temps sentaient bon le réconfort. Un sparadrap contre tout ce qui aurait pu nous arriver, petits soldats patriotes que nous sommes. De fait, en périodes de guerre – épisodes 1975, 1990, et puis 2006 –, certains Libanais avaient convergé, voitures pleines et cheveux au vent, vers la microville de Faraya, lovée quelque part dans le jurd du Kesrouan. Montant vers les étoiles, tout allait mieux d'un coup. On s'arrêtait en chemin pour se réapprovisionner en hrajlé de Hrajel, man'ouchés au blé complet de chez Saj Méma et tomates boursouflées de chez le légumier sur le tournant du château d'eau ;
avant de se faire royalement carotter chez les superettes de Mansour ou Freim. Une fois là-haut, on était livré aux bons soins des Farayotes. En fiers héritiers du titre de la meilleure hospitalité, ils nous entraînaient avec eux dans cette vie en trompe-l'œil, pied de nez aux atrocités qu'on fuyait. Alors, les citadins devenaient des leurs, les suivant jusqu'au bout de leur indolence.

Les soirs surtout, ils déguisaient notre peur du noir en choisissant la fête comme rempart à la guerre. Ils improvisaient des barbecues sur leurs terrasses. Des soirées raclette ou cheese and wine autour de leurs pseudo cheminées. Ils ressortaient un vieux micro pour une séance karaoké, un Trivial Pursuit pour nous distraire. Et quand ça bardait en ville, ils nous faisaient sortir, pour oublier. Ils nous emmenaient bâfrer un fattouche orgasmique chez Fawzi, un mezzé consolant chez Michel ou plus récemment une fondue bourguignonne au Montagnou. Ensemble, « sous les bombes », on allait danser sur les tables de l'Igloo ou de l'Avalanche. Un soir de juillet 2006, alors que les Israéliens avaient eu la brillante idée de bombarder une antenne de la région, on avait même festoyé au Stars. Détachement ou insouciance, peu importe. C'était notre manière de partir en guerre contre le terrorisme et les armes.

En périodes d'accalmie, il régnait sur Faraya ce même sentiment de douceur surannée ; comme nulle part ailleurs dans le pays. Malgré le vrombissement inquiétant de ces horribles quads, on se sentait en sécurité dans cette « ville » déplacée à la montagne. La nuit tombée, malgré la neige et le verglas, on ne craignait rien. À tout moment, Ataya enverrait l'un de ses hommes au secours avec des chaînes ou de l'antigel. Sans un soupçon d'effroi, on empruntait dans le noir le plus total cet interminable escalier qui ressemble à un tunnel berlinois mal famé. On avait l'impression d'être à la maison en débarquant au Montagnou, face au sourire de Ziad qui vous débrouillerait une place « men ta7t el ared ». On adorait la combinaison party-cocooning que le Powder propose. Son ambiance bon enfant et l'accueil chaleureux de la bande à Charbel. Plus jeunes, on traînait jusqu'à pas d'heure dans les rues de Ouyoun el-Simane, sans que les parents ne nous matraquent de coup de fil. À Faraya, on n'avait peur de rien, personne ne connaissait ce sentiment. Peut-être l'impression d'être protégés par la croix montée sur la colline d'en face ; on se sentait intouchables. Des superhéros.

Aujourd'hui, on parle à l'imparfait de ce parfait schéma. Cette douce époque est révolue. Cette vie en rose, ces soirs en blanc et en étoiles sont loin derrière, comme un souvenir flouté, depuis la nuit du 9 janvier 2015. En se fourvoyant à vouloir tutoyer un monstre, c'est la mort qu'un jeune homme a fini par tutoyer. Ce monstre, ce loup-garou égaré sur ces montagnes du Kesrouan, a tué le jeune homme. Et ses revolvers, il les a dirigés, sans scrupule, sur ce petit village et sa mémoire collective qui reposent à présent auprès d'Yves. Plus près du ciel.

 

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