Le spectacle de chaos et d'indécision qui s'offre aux parents des militaires otages sur la manière dont le destin de leurs fils est géré illustre l'état de déliquescence totale à laquelle est parvenu l'État libanais.
Incapable de régenter les affaires publiques les plus simples – la circulation ou l'électricité, pour choisir les sujets les plus banals de la vie quotidienne –, le gouvernement pouvait-il prétendre contrôler une affaire bien plus complexe, comme celle des otages détenus par des groupes islamistes aussi redoutables ?
Un dossier qui, au-delà de son aspect humanitaire évident, suscite des interrogations aussi nombreuses que celles de savoir qui négocie quoi et comment libérer les militaires sans montrer aux ravisseurs l'extrême vulnérabilité dont l'État fait preuve chaque jour un peu plus.
Devant la confusion totale dont a fait montre la cellule de crise depuis le début et la tergiversation outrancière à laquelle assistent, impuissants, les parents des otages depuis cinq mois, l'État islamique et le Front al-Nosra crient d'ores et déjà victoire, même sans avoir obtenu réponse à la moindre de leurs revendications. C'est désormais l'État entier qui se trouve otage d'une situation devenue inextricable, peinant à prendre la moindre décision par-delà la polarisation outrancière qui ponctue, depuis des années, la vie politique de ce pays.
Ce n'est pas pour rien que le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, a déclaré il y a deux jours que l'affaire est retournée à la case départ. Une déclaration pour le moins honnête, même s'il elle devait choquer les familles éplorées.
(Repère : Qui sont les militaires libanais otages des jihadistes?)
Le bilan est ubuesque : la cellule de crise – et derrière elle la classe politique – est divisée sur la question de savoir si oui ou non les ulémas sunnites doivent prendre part à la médiation : les forces du 14 Mars y sont favorables, celles du 8 Mars ne le sont pas. Division également sur le rôle que doit jouer le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim – qui a la faveur du 8 Mars mais non du 14 Mars –, et s'il doit être ou non le coordinateur principal sur ce dossier. Les forces du 14 Mars lui préfèrent le ministre Waël Bou Faour, voire même le ministre de la Justice Achraf Rifi.
Les avis sont également partagés sur le fait de savoir s'il faut ou non informer les médias, s'il faut ou non accepter l'échange avec des prisonniers islamistes à Roumieh, etc. Bref, des lignes de clivage qui s'accumulent tout le long du processus, ce qui explique le retard mis à effectuer la moindre percée sur ce dossier.
D'ailleurs, l'on se demande comment les membres de la cellule de crise comptent faire face à la situation d'ici à demain soir – date du nouvel ultimatum lancé par l'EI avant de décapiter de nouveaux otages – sans médiateur.
Pour leur part, les autorités continuent de refuser de confier la tâche au Comité des ulémas sunnites, lequel à son tour a rejeté la suggestion de nommer un autre prédicateur salafiste, cheikh Wissam Masri. D'ailleurs, la candidature de ce dernier aurait été démentie par al-Nosra, alors que le dignitaire sunnite maintient avoir été délégué par le front islamiste. Résultat : plus personne n'est, pour l'instant, officiellement autorisé à négocier avec les ravisseurs.
En l'absence d'un médiateur, les parents se voient ainsi obligés de quémander auprès des ulémas sunnites d'intervenir, une fois de plus, auprès des ravisseurs pour les convaincre de revenir sur leur décision et de ne pas mettre à exécution leurs menaces de mort. De facto, les ulémas sont toujours opérationnels mais continuent d'œuvrer en toute discrétion, sans approbation officielle, mais tout en bénéficiant implicitement de la couverture du ministre de l'Intérieur qui a indiqué hier que la porte « ne se fermera jamais devant ceux qui veulent aider à résoudre le problème ».
(Pour mémoire : Un seul mot d'ordre place Riad el-Solh : « Libérez nos fils, sinon ce sera la révolution »)
Quoi qu'il en soit, et quand bien même le gouvernement aurait désigné l'intermédiaire, il restera à savoir quelle sera la décision que ce dernier sera appelé à transmettre aux ravisseurs puisqu'à ce jour, la question de l'échange avec des prisonniers de Roumieh ne semble pas avoir mûri. Un médiateur, pour quoi faire si à ce jour l'État n'est pas encore prêt à pendre le taureau par les cornes ? Pour poursuivre la fuite en avant ?
Le chef du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun, qui s'est réuni hier avec les familles des otages, a été particulièrement prudent dans ses termes : « Oui à l'échange, mais à condition qu'il se fasse dans le respect des lois libanaises. » Entendre : les islamistes déjà condamnés ne peuvent être libérés, soit une majorité de ceux réclamés par les ravisseurs. À moins qu'une amnistie votée par le Parlement puisse paver la voie à une telle issue. Une amnistie qui s'appliquerait à une catégorie de crimes – le terrorisme – astreinte à une période temporelle donnée.
Plusieurs parties politiques se sont déjà officiellement prononcées – en public – en faveur de l'échange. Il reste à voir si, comme l'a relevé hier la maman d'un otage à L'Orient-Le Jour, ces déclarations reflètent réellement les intentions des uns et des autres, ou s'il ne s'agit pas d'un calmant que les responsables politiques cherchent à faire avaler aux familles en attendant Godot. Histoire de se laver les mains du sang qui risque de couler à nouveau si, entre-temps, l'on persiste dans l'attentisme.
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Il est grand temps que l'Etat (?) remette son tablier une fois pour toutes, et que ce pays (?) soit gere, et ce jusqu'a nouvel ordre, par l'ONU. Toute autre alternative ne serait que vain colmatage et perte de temps et ne servirait strictement a rien, sinon donner davantage de temps a la putrefaction galopante dont certains esprit tordus se delectent, bavant en-veux-tu-en-voila. Desole de choquer certains. La verite fait souvent mal.
Remy Martin
13 h 36, le 18 décembre 2014