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Liban

Nawaf Salam : Les extrémistes islamistes restent une minorité marginale pour les musulmans

L'ambassadeur du Liban aux Nations Unies, Nawaf Salam. Photo d'archives AFP

Le discours prononcé par le représentant du Liban auprès de l'Onu, l'ambassadeur Nawaf Salam, invité d'honneur au onzième événement de Jamhour, analyse avec brio le contexte et la situation qui prévalent dans le monde arabe et au Liban. « Nous vivons une époque dangereuse. » Ce constat brosse un tableau bien sombre de la région avec les violences et les défis qui la guettent : la guerre civile en Syrie, les menaces de démembrement de l'Irak, l'insurrection au Yémen, le chaos en Libye, les effets désastreux de la guerre à Gaza et les dangers qui menacent le Liban. Que s'est-il donc passé ?

Nawaf Salam répond à l'interrogation en livrant sa vision « du printemps arabe », reflet de la protestation « sans précédent de jeunes » dans le monde arabe, secoué par les « crises profondes » déterminantes qui l'ont marqué à la veille de ces soulèvements. La crise de « légitimité politique » fondamentale en est une des causes profondes avec des régimes radicaux de parti unique d'un État fort, établis après l'indépendance en Syrie, en Égypte, en Irak, en Algérie, en Libye et au Yémen. Les citoyens ont été poussés à renoncer à leurs droits à la participation politique et à accepter les méthodes coercitives de leurs gouvernements. Ces modèles de gouvernance ont échoué. Mais, paradoxalement, les monarchies ont tiré parti de la religion ou de la lignée familiale, sources traditionnelles de légitimité, et ont pu bénéficier du flux des recettes pétrolières. Cette crise de la « légitimité fondamentale » a été aggravée par « l'usure du pouvoir », par « le rôle joué par la propagation de la corruption » et par « la stagnation économique ».

(Pour mémoire : Nawaf Salam à l'ONU : Aidez mon pays)


C'est dans ce contexte que Nawaf Salam place l'acte de désespoir d'auto-immolation de Mohammad Bouazizi, suscitant à la fois l'espoir et l'optimisme initial dans cette partie du monde. Toutefois, « l'objectif d'un État civil et démocratique, principal cri de ralliement de la jeunesse arabe, a été miné par le poids de la tribu, par les forces confessionnelles et ethniques, et déraillé par le militantisme des groupes islamistes extrémistes et leurs méthodes violentes ». Pour le diplomate, ce n'est que le début d'une nouvelle ère, et le processus de transition risque d'être long avec des rebondissements imprévisibles.

Sykes-Picot et guerres sanglantes

La région vit des guerres civiles sanglantes marquées par un processus accéléré de désintégration dans de nombreux pays arabes avec les succès de groupes islamistes radicaux qui ont pris le contrôle de vastes territoires en imposant leur « domination tyrannique ». Un de ces groupes a proclamé un « État islamique » au mépris total des frontières, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté des États existants. Va-t-on vers la fin de l'ordre établi par Sykes-Picot en 1916 ?

Par souci de précision historique, l'ambassadeur Salam rappelle d'abord que les « nouveaux États issus du Moyen-Orient après la Première Guerre mondiale et la Conférence de paix de Paris en 1919 ne sont pas une simple projection de la carte de l'accord Sykes-Picot lui-même, mais plutôt une version renégociée et modifiée d'une manière significative ». Perçus dès leur création comme des produits coloniaux, ces nouveaux États, considérés comme des « entités artificielles », ont néanmoins fini par gagner la légitimité et la résilience en raison non seulement du passage du temps, mais aussi à cause des échecs des mouvements panarabes et pansyriens. Le diplomate suggère toutefois que la survie de la plupart de ces États, au sein de leurs frontières reconnues, n'a jamais été plus subordonnée à la nécessité de revoir sensiblement leurs frontières intérieures (par opposition aux frontières extérieures) qu'ils ont construites entre leurs différentes composantes sociales. En d'autres termes, le maintien de l'intégrité territoriale de la plupart de ces États est de plus en plus dépendant de la réalisation d'une redistribution plus inclusive et plus équitable du pouvoir national.

(Lire aussi : Lorsque l'État islamique s'invite à l'Onu...)

 

Extrémisme et modération

L'ambassadeur Salam se penche aussi sur la question des extrémistes islamistes aux méthodes violentes et terroristes, qui, bien que puissants, restent une minorité marginale pour les musulmans. La montée des mouvements, tels que Daech ou l'EI, est plus l'expression d'un phénomène communautaire radical que d'une ferveur religieuse. Ces mouvements se nourrissent non d'une idéologie, mais de nombreux facteurs socio-économiques et politiques divers, complexes et interdépendants, issus d'un sentiment de frustration, de privation, d'exclusion, d'humiliation et de dépossession, d'aliénation et de marginalisation dans un monde globalisé, estime le diplomate. Comprendre ces sentiments est une condition nécessaire pour mieux lutter conte les causes profondes qui conduisent à cet extrémisme islamique. Et le combat peut être gagné !
L'avenir de cette partie du monde sera déterminé par la grande lutte, non pas entre l'islam sunnite et chiite, mais plutôt par la lutte plus fondamentale entre les différentes versions de l'extrémisme islamique militant, d'une part, sunnite ou chiite, d'autre part. C'est une bataille entre les fondamentalistes et les modernistes. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette lutte, aussi grande soit-elle, inclut à la fois les musulmans et les chrétiens, les Arabes et les Kurdes. « C'est une bataille pour la diversité et pour la tolérance, une bataille pour le pluralisme et la liberté, un combat pour la citoyenneté et l'égalité dans notre partie du monde », affirme le diplomate.

(Commentaire : L'arc sunnite de l'instabilité)

La Nahda, modèle dans la région

« Nous sommes à la croisée des chemins. Les enjeux sont grands. Nous devons mobiliser toutes nos ressources pour gagner la bataille. Sur la base de son expérience historique spécifique et la richesse des enseignements, le Liban, avec sa diversité sociale et religieuse, sa culture d'ouverture, peut et doit jouer un rôle de leader dans cette bataille », estime Nawaf Salam. Mais il faut retrouver d'abord l'esprit de la renaissance arabe où la Nahda a démarré dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les écoles et universités de Beyrouth étaient non seulement l'un des principaux piliers de cette renaissance, mais également un modèle de l'éducation moderne dans toute la région.

« Le rôle régional qui attend le Liban est grand. Cependant, les dangers régionaux auxquels il est confronté ne sont pas moins grands, souligne l'ambassadeur Salam. Ainsi, pour se protéger autant que possible des retombées du conflit syrien en cours et pour préserver son unité et sa stabilité, le pays du Cèdre doit respecter scrupuleusement la politique de "dissociation". » Toutefois, respecter cette politique ne suffit pas à le protéger tant que son système politique reste dysfonctionnel et ses institutions considérablement faibles », prévient-il.


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commentaires (2)

MAIS : À L'HYDRE... IL Y POUSSE, HÉLAS, PARTOUT DE NOUVELLES TÊTES !

LA LIBRE EXPRESSION

07 h 12, le 17 novembre 2014

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Commentaires (2)

  • MAIS : À L'HYDRE... IL Y POUSSE, HÉLAS, PARTOUT DE NOUVELLES TÊTES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 12, le 17 novembre 2014

  • "Le rôle qui attend le Liban est grand. Cependant, les dangers auxquels il est confronté ne sont pas moins grands. Ainsi, pour se protéger autant que possible des retombées du conflit syrien et pour préserver son unité et sa stabilité, le pays du Cèdre doit respecter la politique de "dissociation". Toutefois, respecter cette politique ne suffit pas à le protéger tant que ce hézébbballâh-làh s’immisce militairement en sa sœur- syrie, rendant ainsi le système communautaire libanais dysfonctionnel et ses institutions confessionnelles considérablement affaiblies...." !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 09, le 17 novembre 2014

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