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Liban - Dans une interview à « L’OLJ » jamais publiée

Hani Fahs : L'impérialisme iranien est partout...

Hani Fahs, ici avec l’imam Moussa Sadr.

C'était en décembre 2012. Hani Fahs était radieux. Il dégageait une force tranquille impressionnante. Dans un pays de plus en plus abandonné aux démons de la peur et de l'identitarisme, il refusait d'abdiquer, c'est-à-dire de suspendre ses facultés intellectuelles, de cesser de réfléchir rationnellement, de sombrer dans l'émotionnel et de désespérer.

Dans un entretien à bâtons rompus avec L'Orient-Le Jour – jamais publié jusqu'à présent, parce qu'il devait se poursuivre sur plusieurs étapes, ce que la maladie avait par la suite empêché – portant sur les crispations communautaires et la situation de crise à l'échelle nationale à l'ombre des profondes mutations induites par les révolutions arabes, le dignitaire religieux chiite Hani Fahs avait, comme d'habitude, défendu la voie de la modération, de la paix et du vivre-ensemble.

(Pour mémoire : Avec le décès de Hani Fahs, la communauté chiite libanaise perd une de ses grandes figures)

Se livrant à une critique des expériences communautaires du pouvoir au Liban depuis 1943, notamment l'accaparement par les chrétiens, puis par les sunnites du pouvoir, Fahs avait estimé que l'idée de l'État était quand même, malgré toutes les atteintes, restée fondamentale. Évoquant ensuite l'expérience de l'imam Moussa Sadr, l'uléma avait estimé que ce dernier était dépositaire d'« un projet de modifier la situation des chiites de manière pacifique », mais qu'il avait été « pris au dépourvu par la guerre ». « Il été jusqu'au-boutiste contre l'État, mais il s'est retrouvé convaincu de la nécessité de l'État, surtout pour les chiites », avait-il ajouté, au sujet de Moussa Sadr.

« Notre problème aujourd'hui, c'est que tout le monde peut profiter ou souffrir de l'absence ou l'affaiblissement de l'État. Les chiites, eux, ne peuvent que souffrir de l'absence de l'État. L'État qui parraine est, en effet, la garantie absolue pour les chiites et les druzes, pas dans le sens où ce sont des minorités, mais dans le sens du pluralisme, où chaque composante nationale a des conditions qui diffèrent de l'autre », estimait-il.

Une modération interdite

Pour Hani Fahs, « l'importance de Moussa Sadr, avec d'autres, tels que Hassan Khaled, Mohammad Abou Chacra, le patriarche Khoreiche, Saëb Salam, Raymond Eddé, Rachid Karamé, Kamal Joumblatt, c'est qu'ils ont compris que cette guerre n'engendrerait rien, mais, au contraire, qu'elle ne ferait que détruire. Aussi ont-ils commencé à œuvrer pour faire en sorte que la guerre ne perdure pas. Moussa Sadr s'est rattaché au slogan de l'État, de l'armée, des institutions. C'est pour cela qu'il a été enlevé. C'est aussi pour cela que Kamal Joumblatt a été tué, ainsi que, plus tard, Hassan Khaled. D'autre part, Khoreiche et Abou Chacra ont été affaiblis, Eddé exilé à Paris où il est mort, Saëb Salam vidé de sa substance à Genève, et Rachid Karamé assassiné sitôt après avoir trouvé une solution à la crise avec Camille Chamoun ».
En d'autres termes, soulignait-il, « la modération est interdite, parce qu'elle constitue l'assise de l'État, sa fondation naturelle. Après la disparition de Moussa Sadr, il n'y a plus eu de mouvement des déshérités, mais le mouvement Amal. Les armes ont commencé à affluer et le mouvement s'est renforcé ».

(Pour mémoire : « Hani Fahs a su substituer le dialogue à la cacophonie »)

L'impérialisme iranien

Ce retour à l'avortement de l'expérience sadriste de la modération ouvre la voie, chez Hani Fahs, à une critique posée, mais franche, du Hezbollah et de « l'impérialisme iranien ».
« De 1992 à 1998, les sunnites ont dominé le pays. Durant cette période, le corps de l'État a plus ou moins continué à fonctionner. À leur arrivée au pouvoir, les chiites ont donné l'impression, en deux ans, qu'ils étaient comme porteurs d'un projet antiétatique, qu'ils étaient devenus accoutumés à la contestation et au refus, justifiant ainsi une accusation portée à tort contre le chiisme d'être habité de négativisme. Or ce n'est pas le propre du chiisme que d'être réduit à la seule contestation. Le refus et la contestation ne sont pas toujours justes. Le fiqh et les imams chiites ont toujours donné la priorité à l'État, même lorsqu'ils considéraient que ce dernier était injuste. Dans cette perspective, l'État était une valeur supérieure à la justice, parce que son iniquité reste en définitive moins grave que son absence », expliquait-il.

« L'Iran travaille plutôt comme l'impérialisme, comme s'il fallait manufacturer un produit adapté au client russe, une autre au client chinois, un troisième aux Américains. Ainsi, à Téhéran, la logique de l'État existe. Mais l'exportation ne répond pas aux mêmes critères », estimait Hani Fahs.
« Il semble que la mémoire impérialiste iranienne se soit réveillée. Durant des siècles, les Iraniens ont gouverné les deux tiers de l'Asie. De plus, il y a cette idée que ce sont les Turcs, considérés par eux comme une race inférieure, qui leur ont arraché cette suprématie. Dans cette logique, les Iraniens ont été en Palestine, là où les Arabes et le monde musulman avaient fait si peu. Ils ont été chez le Hamas et Abou Nidal, pour se revêtir du prestige palestinien, et brandir l'étendard qui devrait être, en principe, celui des Arabes et des sunnites. Face à la majorité sunnite et arabe, donc face à la logique du nombre, les Iraniens ont décidé d'opposer une logique de la force, de la puissance – mais pas dans le sens du renforcement de leurs partenaires. Cela n'existe pas dans leur logique. Il ne faut pas croire qu'il y a des élections réelles au sein du Conseil de la Choura du Hezbollah. Je connais bien l'Iran, j'y ai vécu », notait-il.

(Lire aussi : Hani Fahs, ou l'interminable nuit qui commence...)

« Téhéran est partout »

Et de poursuivre : « Téhéran a donc initié un processus pour satelliser les autres, par la religion, l'argent, etc. usant de tous les moyens nécessaires, le positif comme le négatif, d'une manière organisée et civilisée, contrairement aux Arabes, qui dépensaient leurs fonds de manière sibylline et désorganisée. L'Iran se retrouve donc partout. La voilà actuellement au Yémen. Elle ne lâchera jamais l'Égypte ni la Tunisie. Elle songe désormais même à un rôle en Libye. Elle joue avec Bahrein et la révolution bahreinie, qui n'est pas une priorité pour elle, mais un moyen de marchander avec le régime – et je sais ce que je dis, puisque je suis un spécialiste de cette question. Elle est bien implantée au Liban. Elle n'est pas sortie de Palestine. Elle ne lâche pas non plus la Jordanie et l'Arabie saoudite. Téhéran est en train de capitaliser sur sa force face au nombre. »

Hani Fahs tirait de ce panorama la conclusion suivante : « L'élément de crise, au plan chiite, c'est que notre musculature s'est trop développée, aussi bien en raison de la résistance que des hormones iraniennes, ainsi qu'en raison de l'absence totale de tout projet arabe. Malheureusement, l'esprit chiite n'a pas accompagné cette évolution au niveau de la puissance. En dépit de leur force, du pouvoir en Irak, de la résistance au Liban, les chiites continuent de se comporter comme s'ils étaient une minorité. » Il était clair, pour lui, cependant, qu'une jeunesse réformatrice en Iran était en train de voir le jour et qu'elle ne voulait plus entendre parler de wilayet el-faqih ou de projet unioniste ou impérialiste, mais qu'elle souhaitait avidement la mise en place à Téhéran d'un « libéralisme national ».

(Lire aussi : Hani Fahs, éternel artisan de l’humanisme arabe)

La chute du système patriarcal

Le tour d'horizon sociologique de la situation de chaque communauté s'était ensuite poursuivi. Hani Fahs dénonçait avec vigueur la proposition de loi dite « orthodoxe », une « manière pour les chrétiens de se saborder eux-mêmes ». « Cette loi ne méritait pas son nom d'ailleurs, dans la mesure où une communauté qui est la plus proche de la laïcité ne mérite pas d'en assumer la responsabilité. Cette loi n'a rien à voir avec l'esprit byzantin, elle est plus proche de la logique russe orthodoxe, dans une perspective soviétique. Il s'agissait d'une tentative de mobiliser une somme numérique contre la majorité », disait-il. Il refusait également de céder à la logique de la peur, appelant la composante chrétienne du pays à ne pas céder à la panique induite par les développements régionaux, notamment la montée de l'islamisme. « Ces craintes sont légitimes, mais elles sont aussi amplifiées, et elles ne sont certainement pas dues au printemps arabe », soulignait-il.

Aux yeux de Hani Fahs, la crise la plus grave était cependant celle que traversait actuellement la communauté sunnite. « Une majorité a besoin d'un esprit à la mesure de son rôle, puisque ses responsabilités sont plus grandes. Quand une majorité commence à réfléchir en termes de quotas, elle devient un agrégat de minorités en lutte les unes contre les autres. Cet éclatement sunnite fait peur », estimait-il.

Mais il refusait catégoriquement de céder au pessimisme concernant l'aboutissement démocratique inéluctable du printemps arabe. « Toutes les crises, tous les phénomènes dont nous sommes témoins constituent l'amorce d'un processus qui met fin à 150 ans d'oppression des peuples. L'islamisme n'a pas de projet alternatif. Il n'a que des slogans et une haine du projet de l'autre. Il n'y a plus de système patriarcal qui tienne chez toutes les communautés de la région », affirmait-il, avec beaucoup de clairvoyance.
Avant d'exprimer, dans une sorte de testament politique, un ultime souhait qu'il ne verra pas se réaliser : « J'espère pouvoir voir de mon vivant le totalitarisme arabe et islamique disparaître, à l'instar, avant lui, du totalitarisme communiste et nationaliste. »

Le temps assassin a refusé à Hani Fahs sa dernière volonté. Les peuples arabo-islamiques, eux, sauront-ils un jour s'y montrer fidèles ?


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C'était en décembre 2012. Hani Fahs était radieux. Il dégageait une force tranquille impressionnante. Dans un pays de plus en plus abandonné aux démons de la peur et de l'identitarisme, il refusait d'abdiquer, c'est-à-dire de suspendre ses facultés intellectuelles, de cesser de réfléchir rationnellement, de sombrer dans l'émotionnel et de désespérer.Dans un entretien à bâtons...

commentaires (5)

samahet el sayyed vous avez completement raison, depuis la nuit des temps l'imperialisme iranien a fait des ravage au MO il suffit de relire l'histoire !! concernant le liban, l'iran ne croit en rien qu'en elle meme!!! de 1/ pq l'iran a des satellite un peu partout au MO??? pq l'iran arme des groupes bien precis et non pas l'etat dans lekel ces groupes sont affilier??? de 2/ 2 preuves que l'iran s'en fiche des états ou des libanais meme en ordonnant a leur satellite a 2 reprise de foutre la merde une fois en juillet 2006 et une autre fois en forcant sayyed nasrallah a envoyer ces miliciens faire la guerre en syrie ... en fin de compte pq l'iran aide t il juste une communauter et non pas l'etat ou vive ces communautés????

Bery tus

14 h 42, le 17 novembre 2014

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Commentaires (5)

  • samahet el sayyed vous avez completement raison, depuis la nuit des temps l'imperialisme iranien a fait des ravage au MO il suffit de relire l'histoire !! concernant le liban, l'iran ne croit en rien qu'en elle meme!!! de 1/ pq l'iran a des satellite un peu partout au MO??? pq l'iran arme des groupes bien precis et non pas l'etat dans lekel ces groupes sont affilier??? de 2/ 2 preuves que l'iran s'en fiche des états ou des libanais meme en ordonnant a leur satellite a 2 reprise de foutre la merde une fois en juillet 2006 et une autre fois en forcant sayyed nasrallah a envoyer ces miliciens faire la guerre en syrie ... en fin de compte pq l'iran aide t il juste une communauter et non pas l'etat ou vive ces communautés????

    Bery tus

    14 h 42, le 17 novembre 2014

  • C'est exactement ce qu'on appellee vulgairement une branlette intelletuelle ,sur laquelle viendraient se jeter des esprits qui en manque cruellement . Depuis quand le Liban a ete un etat fort et constitue ? jamais ! c'est pas parce que aujourd'hui une communaute brimee se reveille apres avoir subie les affres d'une occupation barbare par des voisins massacres en Europe que subitement on va leur faire supporter le passif du manque chronique d'Etat ! c'est pas parce que Hani Fahes qu'on sort du chapeau dit en toute democratie ce qu'il pense que c'est parole de Thora ! Ecoutez les intellectuels , quand une force vous aide a vous liberer d'une occupation criminelle pendant 20 ans , et que cette force etait la seule a croire en vous , comment pouvez vous concevoir qu'en cas de victoire , de liberation, les comattants qui ont souffert en perdant des martyrs, fils de cette terre puissent donner u coup de pied a son liberateur ???? Et meme mieux , accrochez vous , si ce liberateur a besoin d'un retour d'ascenceur , cad que si la menace se precise sur sa tete , on se doit de l'aider de toutes les forces qu'on a acquises grace a lui . Enfoncez vous ca bien dans la tete et arretez de pleurer avant la veritable gifle , qui vous videra de ce qui vous reste comme larmes .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 08, le 17 novembre 2014

  • Le milieu conFessionnel est un enfer, un profond abîme d'iniquités, de mensonges, de trahisons. Une boutique où l'on vend au chaland des paroles de la couleur dont il les veut. S'il existait un véritable milieu des Gnomes bossus, il prouverait matin et soir la beauté, la bonté, la nécessité des bossus Nains. Le genre communautariste n'est pas fait pour éclairer mais pour flatter. Ainsi, tous les conFessionnalistes et donc fanatiques seront des lâches, des hypocrites, des infâmes et des menteurs : ils tueront les idées et "fleuriront par cela même." ! A dire vrai, foin de nuance à l’encontre d’1 milieu qui n'est à l'examen qu'1 énorme océan de turpitudes, 1 salmigondis de compromissions ordonnés à coups de schlague par un patchwork sectaire sunnitique-chïïtique-druzizte et "chréti(e)n". Rien à sauver, donc, dans un milieu qui n'est qu'un véritable "panier de crabes". Pas un seul pour sauver l'honneur du boutre éventré, dans les quelques Sains qui survivent encore dans ce milieu Malsain. Et pas un résidu de la déontologie des pères fondateurs "libanistes", dans une offre si sournoise et si niaise. Non, vraiment non. Les dérives de ces confessionnalistes communautaristes sont telles, qu'y a urgence, qu'il faut mitrailler sous tous les angles et dénoncer 1 X pour toutes sous ce déluge fanatique, la fatuité, l'impunité et l'expansionnisme politicard d’un milieu sectaire qui continue inexplicablement et inextricablement, de bénéficier d'un pouvoir immérité et en sus usurpé !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 52, le 17 novembre 2014

  • L'IMPÉRIALISME IRANIEN ! EN FAIT, L'ANALYSE DIT QUE : CE SONT LES RÊVES D'HÉGÉMONIE DE L'IRAN... QUI N'HÉSITE PAS À EMPLOYER LES COMMUNAUTÉS CHIITES ARABES (LESQUELLES MALHEUREUSEMENT S'Y LAISSENT ALLER AUX INSTIGATIONS DES AYATOLLAHS) POUR ÉTENDRE SON INFLUENCE ET SA MAINMISE SUR LES PAYS ARABES... QUI SONT LA SOURCE DE TOUS LES CONFLITS RELIGIEUX DE LA RÉGION PAR LA PLUS SIMPLE LOGIQUE DE LA RÉACTION CONTRE L'ACTION ! LE GRAND IMAM MOUSSA SADR S'Y ÉTAIT OPPOSÉ... Où EST-IL ? L'IMAM FAHS S'Y EST OPPOSÉ, MALHEUREUSEMENT IL N'EST PLUS. QUI VONT REMPLACER CES IMAMS DE LA MODÉRATION ET DE LA LOGIQUE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 50, le 17 novembre 2014

  • L'uléma Hani Fahs se caractérisait par une extraordinaire lucidité. C'est dans ce cadre qu'il donne à l'Etat une importance incommensurable, convaincu que sans la primauté unique et absolue de l'Etat, c'est la ruine de tout et de toutes les communautés de ce pays. Dans cette interview inédite à L'Orient-Le Jour, l'uléma rappelle que "l'imam Moussa Sadr s'est rattaché au slogan Etat, armée, institutions", substitué hélas par le slogan mensonge du Hezbollah, "peuple, armée, résistance". Slogan mensonge qui ne produit que des malheurs pour le Liban, depuis la guerre de juillet 2006 qui ruine ce pays, jusqu'à la guerre sectaire en Syrie qui y amène DAECH et al-NOSRA, en plus d'un million et demi de réfugiés syriens. Toutes ces catastrophes parce que le Hezbollah ignore et méprise complètement le peuple, l'armée et l'Etat.

    Halim Abou Chacra

    05 h 40, le 17 novembre 2014

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