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Liban - Liban

Hani Fahs, ou l’interminable nuit qui commence...

Le grand uléma disparu en compagnie de Ghassan Tuéni à la cérémonie de signature d’un ouvrage de Samir Kassir.

Il fait si bon se retrouver en sa compagnie. Et pour cause : il se dégage de lui une aura singulière, une force tranquille à déplacer les montagnes. Certes, dans la conversation passionnée transparaissent rapidement le grand humaniste, son bouillonnement interne, son foisonnement d'idées, sa personnalité si riche et si complexe, venue depuis belle lurette à bout de toutes les identités meurtrières. Cependant, au dehors, Hani Fahs est un arbre de vie, un roc de sérénité – un peu Gandalf, un peu maître zen, un peu philosophe des Lumières, avec un zest de facétie lutine, même. Un monolithe vivant de sagesse universelle. Oui, Hani Fahs est tout cela.

Comment résumer un homme aussi dense en quelques mots, en quelques lignes ? La tâche paraît monumentale. Les mots, l'écriture ne semblent pas avoir été faits pour figer une source de vie et de connaissance aussi vive, aussi ondulante, aussi profonde et complexe que Hani Fahs. Il faut savoir saisir, reconnaître l'incontournable, l'irréparable échec. Car ce n'est pas uniquement un uléma éclairé, un homme de foi ouvert et cultivé, un dignitaire religieux oriental prônant la séparation de la religion et de l'État (la laïcité), un partisan invétéré du dialogue, un militant pour la paix, un véritable défenseur des opprimés loin des démagogues criminels d'ici et d'ailleurs, ou encore l'un des derniers grands piliers de la tradition chiite amelite étatiste, hostiles aux armes illégales et aux aventures eschatologiques des sectes apocalyptiques, que le monde vient de perdre.


Hani Fahs était bien plus que tout cela réuni. C'est un des derniers grands humanistes, des derniers vrais « progressistes » de la planète qui nous laisse orphelins. Car ce qu'il voyait en chacun de nous, le sujet auquel il s'adressait, l'objet de son combat de tous les jours, c'était l'homme, dans un milieu malade, rongé par la violence frénétique et barbare de la montée aux extrêmes.


Son parcours politique, religieux et intellectuel est d'ailleurs parfaitement représentatif de cette quête humaniste : de la gauche universaliste à l'humanisme du mouvement des déshérités de l'imam Moussa Sadr, de la lutte contre l'oppression de la révolution iranienne au désenchantement khomeyniste, de la tradition du Najaf et l'option traditionnelle libaniste contre le projet particulariste des pasdaran (et du Hezbollah) au soutien clair et net au printemps arabe et à la révolution syrienne, Hani Fahs n'avait que faire des idéologies sottes et des dogmes étriqués. Sa finalité, c'était l'homme libre, le citoyen, au nom de valeurs supérieures morales, universelles, d'un bon sens civique, humaniste. C'est pour cela qu'il se battait sur tous les fronts pour la démocratie et la liberté : contre la violence et les milices, la tyrannie et l'oppression, le sectarisme et les intégristes, l'ignorance et la haine, depuis sa communauté, sa religion, son pays et son environnement arabe... jusqu'aux horizons sans limites de la pensée.


Hani Fahs fait partie de ces hommes qui, du fait de l'interaction magique avec lui, pleine d'humilité, de modestie, de simplicité, mais en même temps si dense, si riche, si complexe, en venaient presque à réhabiliter le (dignitaire) religieux, à le parer d'une sagesse et d'une modernité qui lui font cruellement défaut, surtout dans ce monde de plus en plus intolérant, violent, cruel, de replis identitaires et d'enclos culturels surfaits et imbéciles.


C'est pourquoi il portait en lui le fol espoir, indestructible, que les nouvelles générations réussiraient là où la sienne avait échoué « en raison non seulement du système politique, mais aussi du système scientifique, de la manière avec laquelle la connaissance est diffusée ». Hani Fahs voulait en effet immuniser les jeunes contre l'extrémisme et la violence par l'éducation, la connaissance et le dialogue. Une immunité qui commencerait par le biais d'une réconciliation interne, à l'échelle individuelle, pour que l'identité complexe de chacun de nous soit apaisée et ouverte sur les autres.


Mais le plus dur dans la longue éclipse de Hani Fahs, cette interminable nuit à laquelle son absence nous confine, est dans le vide quasi sidéral que cet homme immense laisse derrière lui, à l'heure où ses compagnons de lutte, démocrates libanais en général ou chiites en particulier, ont tant besoin de sa rationalité, de son intelligence, de sa sagesse, de son calme, de sa sérénité – et surtout de son ouverture et sa témérité intellectuelles, et de sa modernité. La disparition de Hani Fahs est d'ailleurs particulièrement douloureuse et emblématique, à l'heure où la plaie purulente enfle, où les monstres les plus abjects sortent des profondeurs de leur antre, où la médiocrité s'est abattue sur nous tous comme les dix plaies d'Égypte, où les ténèbres remplissent progressivement les espaces abandonnés par la culture et l'humanité.


Ne serait-ce la puissance des ténèbres qui a plongé le monde arabe entre la peste de la tyrannie, le choléra de l'extrémisme et, entre les deux, l'Ebola incurable de la peur et du repli identitaire, ce sont des foules d'individus qui, de l'Iran à la Palestine, en passant par Bagdad, Mossoul, Kerbala, Damas, Alep, Beyrouth (banlieue sud comprise) et Tripoli qui descendraient dans la rue, rameaux d'olivier à la main, pour saluer la mémoire de Hani Fahs, ce phare visionnaire et nahdaoui, l'un des véritables artisans du monde arabe de demain – une fois que ce dernier en aura fini avec les tyrans, les miliciens, les intégristes et les coupeurs de tête néomédiévaux.

 

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UN TRES BEL HOMMAGE RENDU A LA GRANDEUR ET AU COURAGE DE CET HOMME QUI EST RESTE FIDELE JUSQU'AU DERNIER SOUFFLE A SES CONVICTIONS A CONTRE COURANT DE SON TEMPS.QU IL REPOSE EN PAIX

Jouni Nadia

10 h 19, le 19 septembre 2014

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Commentaires (1)

  • UN TRES BEL HOMMAGE RENDU A LA GRANDEUR ET AU COURAGE DE CET HOMME QUI EST RESTE FIDELE JUSQU'AU DERNIER SOUFFLE A SES CONVICTIONS A CONTRE COURANT DE SON TEMPS.QU IL REPOSE EN PAIX

    Jouni Nadia

    10 h 19, le 19 septembre 2014

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