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Liban - Salon du livre francophone

Le Liban ou la matrice des libertés publiques en Orient

Arrivé à la dernière page de l'ouvrage de Hyam Mallat*, Le Liban, émergence de la liberté et de la démocratie au Proche-Orient (publié aux éditions Gheutner), le lecteur demeure pensif. Que vient-il de découvrir ? Un livre d'histoire ? Pas vraiment. Un essai de philosophie de l'histoire ? Oui et non. Une réflexion approfondie sur une tranche de l'histoire du Liban et du Levant ? Oui mais il n'y a pas que cela. Une analyse en matière de droit public et administratif ? En partie. Un essai de sociologie et d'anthropologie ? Oui mais pas exclusivement.


Le livre de Hyam Mallat se révèle ainsi le fruit d'un esprit largement interdisciplinaire. L'auteur déploie, avec la rigueur exemplaire de l'universitaire, plus d'une facette de ses compétences. Juriste, sociologue, historien, philosophe, anthropologue, penseur ayant le souci de l'épistémologie, Hyam Mallat nous fait découvrir de larges facettes de l'histoire du Proche-Orient à travers une réflexion profonde et méthodique sur l'évolution sociopolitique des populations du Mont-Liban dans le cadre, plus vaste, de la Méditerranée orientale.
Le présupposé fondamental de Hyam Mallat semble être un souci des rapports entre l'histoire, vue comme processus évolutif, et les stratifications socioculturelles et sociopolitiques que les sociétés humaines imposent à la marche de l'histoire, par leurs interactions permanentes avec leur environnement multifactoriel. À ses yeux, des nations comme le Liban « appartiennent à l'histoire sans en être l'artisan » tant leur « expérience humaine transcende l'expérience politique ». Ce statut intermédiaire, d'être à la fois sujet et objet de l'histoire, fragilise ces sociétés en leur faisant subir les conséquences des périodes historiques avec toutes les souffrances qui en découlent. Cependant, au sein de telles sociétés particulières, l'expérience humaine agit comme une sorte de processus évolutif qui n'est pas sans rappeler les idées de Charles Darwin en matière de sélection naturelle. De petits événements, qui passent inaperçus dans leur cadre spatiotemporel, s'accumulent et peuvent, au bout d'un certain temps, créer du neuf qui s'impose par lui-même à la réalité sociopolitique et peut infléchir le cours des événements au sein de son propre horizon, voire au-delà.


Sans vouloir simplifier à l'extrême, c'est ainsi que l'émergence des concepts de « liberté » et de « démocratie » au Proche-Orient nous est présentée comme évolution particulière au sein de l'histoire du Mont-Liban. Pour asseoir son argumentaire, l'auteur s'attarde sur certains événements spécifiques comme le conseil des prud'hommes de Beyrouth en 1833, institué par les autorités égyptiennes sur base de la distribution paritaire, préfigurant ainsi les accords de Taëf, et qui établit une procédure de fonctionnement en son sein des plus rigoureuses et des plus modernes. Plus significative est la création du premier conseil municipal à Deir el-Qamar en 1864, événement que rien ne laissait prévoir. Cette innovation résulte de la « concomitance entre une volonté politique et une capacité locale des habitants ». Et que dire de la consécration, de fait, du droit sur les eaux en 1870, « d'abord par le droit coutumier, ensuite par le droit positif ». Sans compter d'autres « petits événements » comme le premier congrès contre l'usure et la cherté de vie (1817), la première révolte estudiantine du monde arabe (1882), voire la question de la mixité au travail (dès 1858) ou la première représentation théâtrale (1847). Toutes ces innovations, ainsi que beaucoup d'autres, sont minutieusement répertoriées et les conditions de leur genèse finement analysées.
Afin d'étayer son propos, l'auteur convoque le témoignage de plus d'un « voyageur en Orient » et de plus d'un observateur étranger, tels Wood, Volney, Lamartine et bien d'autres.


Ainsi, Hyam Mallat nous invite à contempler un triptyque. Le premier panneau est une présentation grandiose du cadre de la Méditerranée orientale sur les longues durées, à la Braudel. Le deuxième panneau est un récit analytique et séquentiel de certains événements marquants du Mont-Liban durant toute la période ottomane. Le troisième panneau nous introduit à une réflexion sur les structures sociopolitiques qui ont pu, ainsi, être mises en place à partir de 1920, ainsi que sur la dynamique en matière de libertés publiques de vie démocratique, faisant ainsi du Liban le vivier et le modèle de la démocratie au Proche Orient, en dépit des difficultés et des turbulences.


Le message de Mallat demeure résolument optimiste car profondément marqué par la flèche du devenir. L'auteur est un homme de progrès qui croit à un certain devenir historique, sans toutefois tomber dans un hégélianisme dogmatique. Il serait pertinent de lire Hyam Mallat à travers les idées de Charles Darwin sur l'évolution naturelle et l'apparition de nouvelles espèces. En un lieu donné, le Mont-Liban en l'occurrence, de petites adaptations locales sont induites par interaction avec les conditions environnantes. Infimes et inaperçues au départ, elles s'accumulent de génération en génération et finissent par forger des structures anthropologiques et sociologiques relativement stables. Lorsque des conditions politiques s'avèrent favorables, ces structures s'imposent comme un état de fait et peuvent infléchir la décision politique. C'est ainsi que cette dernière crée de nouvelles dynamiques institutionnelles, au sein de l'espace public, qui permettent de jouir de plus de droits et d'exprimer un plus grand degré de liberté.

 

*Une causerie avec Hyam Mallat aura lieu demain mercredi 5, à 19h, au Salon du livre, suivie d'une séance de signature à 20h.

 

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commentaires (2)

C'ÉTAIT... LE TEMPS DES FLEURS... ET C'EST LE TEMPS DES PLEURS...

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 23, le 04 novembre 2014

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Commentaires (2)

  • C'ÉTAIT... LE TEMPS DES FLEURS... ET C'EST LE TEMPS DES PLEURS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 23, le 04 novembre 2014

  • Le Mythe d’ici, s'enorgueillit d'un "libanisme que nul peuple n'a reçu avant lui, et que nul peuple n’aura après lui. On n’a fait que partager les sectarismes alentours en partageant à peine leurs révolutions. On a été re-tyrannisés, alors que ces autres ont continué leur révolte en vue de la désillusion ; tandis que nous on a re-supporté ce sectarisme ante parce qu’on a eu peur…. de lui. On n'a jamais été qu'une fois en compagnie de cette liberté sans illusions sectaires, ce fut le jour de son enterrement en 05. Un sectarisme qui déclare que toute critique énoncée contre lui par le Libanais enfin désillusionné sera typée rebelle, vu que ce sectarisme risque d’être perpétuel. Et à qui l'histoire ne montre que son a posteriori : ce satané sectarisme aurait donc d’après lui, ainsi inventé l’Histoire aussi : Il le jure même sur son apparence sectaire ! Des bons "garçons" d’ici, nationalistes par tempérament, honnêtes intellectuellement, libéraux par réflexion "économique!", recherchent au contraire l'histoire de leur liberté sans illusions sectaires au-delà de leur propre histoire : dans les forêts cédraies ! Mais en quoi l'histoire de cette liberté diffère-t-elle de l'histoire de la liberté d’une "chevrette" si l'on ne peut la trouver que dans des forêts ? D'ailleurs, le proverbe libanais(h) ne dit-il pas : La forêt ne renvoie jamais en écho que ce qu'on lui a crié ? Donc, Paix aux forêts Cédraies !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    05 h 46, le 04 novembre 2014

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