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Moyen Orient et Monde - Rencontre

Bientôt, les femmes jihadistes mèneront de vrais attentats...

De passage à Beyrouth pour la présentation et la signature de son ouvrage au Salon du livre francophone, Carole André-Dessornes a répondu aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

Beaucoup de femmes recrutées par l’EI seraient plus radicales que les hommes. Photo Reuters

Carole André-Dessornes est touche-à-tout, et ne semble pas vouloir s'arrêter. Consultante en géopolitique depuis maintenant 14 ans, elle est également docteur en sociologie et chercheuse associée au Cadis, le centre de recherche en études sociologiques, rattaché à l'Ehess (École des hautes études en sciences sociales) où elle a fait son doctorat.

Femmes martyres dans le monde arabe : Liban, Palestine et Irak (aux éditions L'Harmattan), son second livre, découle directement de sa thèse de doctorat présentée l'année dernière, et elle en prépare un troisième « sur les guerres du Moyen-Orient et traumatismes ».

L'Orient-Le Jour – Qu'est-ce qui vous a poussée à vous intéresser à cette thématique, très peu étudiée par ailleurs ?

Carole André-Dessornes Déjà, tout ce qui concerne les candidats aux opérations-suicide m'interpellait. Après un peu de recherche sur le sujet, et sur les femmes plus particulièrement, je n'ai rien trouvé ou presque, et c'est ce qui a attisé ma curiosité. Je voulais comprendre à quel moment les femmes s'étaient engagées dans cette voie-là, qu'est-ce qui pouvait pousser une femme à adopter une posture extrême, sans retour possible pour celles qui vont jusqu'au bout. Ce qui m'intéressait plus particulièrement avec le Proche-Moyen-Orient, et le monde arabe en général, c'était de voir comment les femmes avaient décidé de transgresser les règles dans un domaine qui n'était pas le leur, et réservé aux hommes. Je suis également partie du fait que la religion est à l'origine de ces opérations, ce qui en fait n'est pas du tout le cas. Je voulais voir aussi comment les choses avaient évolué, étant donné que ce phénomène de femmes martyres a trouvé son origine au Liban.

Avec Sanaa Mehaidli, notamment ?

Tout à fait, avant d'être repris petit à petit par les mouvements islamistes palestiniens, et ensuite utilisé par el-Qaëda dans une logique purement destructrice, car il n'y a plus vraiment de cause. Au départ ils étaient contre le fait d'utiliser des femmes, mais par la suite ils y ont trouvé un intérêt purement stratégique, parce que d'abord il en découle une couverture médiatique plus importante, ensuite parce que cela comble un manque de volontaires, mais aussi parce que cela titille quelque part l'orgueil, la fierté masculine de ceux qui ont besoin d'être poussés sur cette voie-là : si une femme en est capable, pourquoi pas eux ?

À votre avis, le phénomène prendra-t-il plus d'ampleur au fur et à mesure que les conflits régionaux s'éternisent ?

C'est vrai que ces dernières années, cela s'est considérablement tassé. Cependant, vu la situation actuelle, il y a fort à parier que cela va reprendre, ne serait-ce que pour exprimer un ras-le-bol général, une frustration intense, ou, plus encore, un appel au secours. L'on m'a demandé une fois s'il est possible qu'un jour des femmes kamikazes opèrent en Syrie. C'est tout à fait possible, à partir du moment où le conflit s'enlise, et c'est ce qui est arrivé le 5 octobre, pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie, lorsqu'une femme kurde a mené une opération-suicide contre l'État islamique (EI). Cela pourrait très bien encourager d'autres femmes à faire de même, et pas seulement chez les Kurdes.

Des partisanes de l'EI pourraient effectivement s'y mettre aussi...

En effet, l'EI recrute beaucoup de femmes, notamment pour leurs check-points. De plus en plus d'Occidentales (européennes, françaises, américaines,...) rejoignent leurs rangs, dans le but de mener le jihad, soit s'engager dans une voie « humanitaire », ou encore épouser un jihadiste. Elles ne sont pas encore dans l'optique de mener des attentats mais cela ne saurait trop tarder. Certaines d'entre elles sont même plus radicales que les hommes. À cela il faut rajouter la très forte présence des jihadistes sur les réseaux sociaux, l'impression d' « exotisme » que ces hommes peuvent avoir pour des adolescentes européennes. Je précise « adolescentes », parce que leurs personnalités sont encore en gestation, elles sont vulnérables, influençables, en pleine construction de soi et de recherche de modèle. On ne peut écarter la possibilité que certaines d'entre elles, regrettant leur engagement qui s'est avéré être très différent de ce qu'elles imaginaient, et ne pouvant rentrer dans leur pays, soient poussées, volontairement ou pas, à de telles extrémités, à savoir devenir une bombe humaine.

Dans votre ouvrage, vous expliquez l'« islamisation » du terme « martyr », à l'origine chrétienne...

Effectivement, il y a eu un glissement à partir d'un terme désignant ceux qui, refusant d'abjurer leur foi, meurent pour elle, sans pour autant rechercher cette mort. En Iran, la révolution qui, au départ n'a rien de religieux, a été récupérée par l'ayatollah Khomeyni, qui s'est beaucoup inspiré de (Ali) Shariati, un intellectuel progressiste. Ce dernier a lui-même été très influencé par le tiers-mondisme et les idéologies de gauche occidentales, et qui ont donné une connotation beaucoup plus révolutionnaire au chiisme. Et ce « chiisme rouge » va encourager les gens, non plus à attendre ce qu'on appelle le quiétisme, l'arrivée du Mehdi, mais à provoquer un événement. Et lorsqu'il est arrivé au pouvoir, l'ayatollah Khomeyni va utiliser cela pour créer et manipuler son armée, composée de bassidjis. Il va les encourager à offrir leur vie, ce qui nous renvoie aussi à la connotation doloriste aussi de la religion. Shariati a même déclaré que « tous les jours sont des Achoura, et tous les lieux sont des Kerbala ». C'est à partir de là que le glissement va se faire : au début, les attentats étaient appelés « opérations-suicide », mais comme toutes les religions condamnent le suicide, le terme « martyr » sera utilisé, dans une sorte de validation.


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Carole André-Dessornes est touche-à-tout, et ne semble pas vouloir s'arrêter. Consultante en géopolitique depuis maintenant 14 ans, elle est également docteur en sociologie et chercheuse associée au Cadis, le centre de recherche en études sociologiques, rattaché à l'Ehess (École des hautes études en sciences sociales) où elle a fait son doctorat.Femmes martyres dans le monde arabe :...

commentaires (3)

Elles les mèneront "camouflées" de cette drôle de façon ?

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

09 h 56, le 04 novembre 2014

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Commentaires (3)

  • Elles les mèneront "camouflées" de cette drôle de façon ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 56, le 04 novembre 2014

  • EST-CE QU'IL Y A UNE PRÉVISION DE 70 JEUNES HOMMES CHASTES ET IMLMACULÉS POUR CHAQUE FEMME JIHADISTE À L'INSTAR DES 70 VIERGES POUR CHAQUE HOMME JIHADISTE ? SI OUI, LE NOMBRE DE VOLONTAIRES JEUNES HOMMES CHASTES ET IMMACULÉS RISQUERAIT DE CRÉER UN EMBOUTILLAGE MONSTRE DANS LE PARADIS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 05, le 03 novembre 2014

  • C'est vraiment incroyable! On sait ce que les hommes attendent des "opérations-suicide"(ou "martyre" si l'on préfère): rejoindre les "houriat" au paradis...Mais les femmes, qu'espèrent-elles accomplir au juste? Devenir des "houriat"? mais elles peuvent très bien le faire ici-bas, ad libitum et avec autant d'hommes qu'elles veulent...Ah! la religion, quel poison! Surtout quand elle est "abrahamique"...

    Georges MELKI

    10 h 06, le 03 novembre 2014

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