Avec la disparition du cardinal Nasrallah Sfeir, l’Église maronite et le Liban perdent un personnage central de leur histoire. Le cardinal, dont l'état de santé déclinait depuis 2014, est décédé dimanche, trois jours avant de fêter ses 99 ans.
"L'Église maronite orpheline, le Liban en deuil". C'est en ces termes que le patriarche Béchara Raï a annoncé dans un communiqué que son prédécesseur a rendu l'âme, à l'aube, après plusieurs jours de combat aux soins intensifs. Dans un communiqué publié par Bkerké, Mgr Raï a appelé toutes les églises du Liban à sonner le glas à 10h et à prier pour l'âme du cardinal Sfeir lors des messes de ce dimanche.
La dernière apparition publique du cardinal datait du 20 avril lorsqu'il a reçu, en compagnie de son successeur, Mgr Béchara Raï, le chef de l’État, Michel Aoun, à l'occasion de la messe de Pâques à Bkerké. Quelques jours plus tard, le 26 avril, le patriarche émérite avait été admis à l'hôpital Hôtel-Dieu de Beyrouth pour une congestion pulmonaire.
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Né le 15 mai 1920 à Reyfoun dans le Kesrouan, Nasrallah Sfeir, 76e patriarche de l’Église maronite, s'est longtemps illustré par des prises de positions fortes alors que le Liban traversait des moments déterminants de son histoire. De son opposition farouche à la présence syrienne au Liban à son engagement pour la réconciliation entre druzes et chrétiens, les positions et réalisations de Mgr Sfeir ont souvent fait l'unanimité au niveau local et international, mais aussi, ont quelques fois irrité certaines parties.
Ordonné prêtre le 7 mai 1950, Mgr Sfeir enseigne, pendant les années 50, la littérature, la philosophie, et la traduction au collège des sœurs Mariamites de Jounieh. Il gravit les échelons de l’Église pour enfin être élu, le 19 avril 1986, Patriarche des maronites d'Antioche et de tout l'Orient, en pleine guerre civile, notamment entre milices chrétiennes. Le 26 novembre 1994, il est nommé cardinal par le pape Jean-Paul II.
Le cardinal Nasrallah Sfeir avec l'ancien souverain pontife Benoît XVI. Photo d'archives OLJ
De la contestation anti-syrienne à la réconciliation druzo-chrétienne
Trois ans après sa prise de fonction, Mgr Sfeir sera l'un des artisans de l'accord de Taëf qui mit fin à la guerre au Liban en 1989. Il réussit à rassembler les pôles chrétiens autour de l'accord, à l'exception du général Michel Aoun, à l'époque Premier ministre par intérim censé assurer l'élection d'un président de la République.
Onze ans ans après la fin de la guerre, le cardinal maronite s'attaque à la présence syrienne au Liban. C'est en 2001 que, sous son patronage, le Rassemblement de Kornet Chehwane voit le jour dans le village du même nom du caza du Metn. Formé de personnalités chrétiennes, le rassemblement appelle à mettre un terme à l'occupation syrienne au Liban, en écho à l'appel de Bkerké lancé un an auparavant. Le retrait syrien aura lieu quatre ans plus tard, après l'assassinat de l'ancien-Premier ministre Rafic Hariri.
C'est dans ce contexte que le cardinal Sfeir avait boycotté le voyage en Syrie de Jean-Paul II en 2001, accueilli par tous les dignitaires chrétiens d'Orient. Il avait fait de même en 2008, lorsqu'il fut invité par les autorités syriennes à inaugurer la tombe présumée de St Maron, dans le village de Brad, au nord-est d'Alep. Les Libanais détenus en Syrie lui tenaient également à cœur. Mgr Sfeir avait promis à leurs familles de ne pas abandonner leur cause, même si jusqu'à présent celles-ci attendent toujours des informations sur le sort de leurs proches.
La cardinal Nasrallah Sfeir (au centre) et son successeur, le patriarche maronite, Mgr Bechara Raï (droite), entourés du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, l'ancien président Amine Gemayel, le chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun et le chef des Marada, Sleimane Frangié, le 4 avril 2011. Photo d'archives OLJ
Au niveau interne, l'autre réalisation phare de l'ancien chef de l’Église maronite est la réconciliation entre les chrétiens et les druzes. Scellée par la tournée de Mgr Sfeir dans le Chouf, elle a mis fin officiellement à des décennies d'animosité entre les deux communautés, exacerbées par les années de guerre. Le cardinal n'a également pas hésité à se prononcer contre les armes du Hezbollah, exprimant à maintes reprises la nécessité de trouver une solution à l'arsenal du parti chiite afin de pouvoir bâtir un Etat libanais fort.
Après avoir reçu l'accord du Vatican le 26 février 2011 sur sa démission, présentée des mois auparavant, le cardinal Sfeir s'était peu à peu effacé de la scène religieuse et politique libanaise, cédant sa place à l'actuel patriarche Béchara Raï.
Pour mémoire
Le patriarche Sfeir, un homme de paix et de résistance
Timbre commémoratif à l’effigie du cardinal Sfeir,« fondateur de la 2de indépendance du Liban »
Face à la tutelle syrienne, la résistance du patriarche-patriote
UN VRAI ET UN RARE PATRIOTE QUI N'A PAS CRAQUÉ. UN ANTI MERCENAIRES. MERCI LE GRAND.
14 h 23, le 12 mai 2019