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Nos Lecteurs ont la Parole - Ibrahim TABET

L’EI, le retour du religieux et le choc des civilisations

Il convient de distinguer, d'une part, le message religieux et, d'autre part, les religions constituées et l'instrumentalisation politique de la religion. Le caractère contradictoire de certains versets du Coran fait que l'islam a pu être qualifié soit de religion pacifiste, soit de religion guerrière. Ses contempteurs ne manquent pas de privilégier la seconde interprétation. Alors que, pour les musulmans modérés, les agissements des jihadistes sont une trahison de l'islam authentique. Ceci dit, le jihad moderne a moins affaire à tel ou tel verset du Coran qui lui sert d'alibi qu'à une conjonction de causes sociopolitiques et culturelles profanes. La montée de l'islamisme et de la réaffirmation identitaire de l'islam s'inscrit dans ce qui semble être une inversion de la tendance à la « sortie du religieux » et de « désenchantement du monde » amorcé au siècle des Lumières. Ce « retour du religieux », qualifié par Gilles Kepel de « revanche de Dieu », revêt des formes et des intensités différentes selon les sociétés. Quels dénominateurs communs y a-t-il entre un zélateur de Mgr Lefebvre et un terroriste de l'État islamique? Il s'agit moins en Europe d'un coup d'arrêt à la déchristianisation que d'une réaction au matérialisme d'une société de consommation repue et à la « crise de la culture ». Après avoir vaincu les idéologies séculières, nazisme et communisme, l'Occident peine à redéfinir ses valeurs éthiques et politiques. La réaffirmation de ses valeurs « judéo-chrétiennes » pouvant paraître comme un antidote face au défi intérieur et extérieur supposé de l'islam. Au sein du monde musulman par contre, ce retour exprime souvent un sentiment de frustration, d'humiliation et d'échec, ainsi qu'une révolte contre des situations d'injustice, d'exclusion et de pauvreté. D'où la montée d'un islamisme politique radical et parfois violent. L'apparition de l'État islamique (EI) marque incontestablement une escalade dans cette montée. Représentant une menace globale plus grave que celle d'el-Qaëda, il fait désormais figure d'ennemi public n° 1. Nul ne peut prédire si la large coalition internationale qui se forme contre ce monstre parviendra à le détruire. Malgré la crainte légitime des pays occidentaux de la menace terroriste qu'il fait peser sur leur sol, celle-ci est toutefois moindre que le risque de débordement des conflits en Irak et en Syrie sur les pays voisins. D'ailleurs, depuis le 11 septembre 2001, les attentats terroristes islamistes les plus nombreux ont eu lieu dans les pays musulmans. Et les conflits au sein du monde musulman sont de loin plus profonds et plus meurtriers que ceux qui l'opposent à l'Occident, ce qui semble démentir la théorie du choc des civilisations. Le phénomène de l'État islamique change-t-il les choses et s'inscrit-il dans le cadre du « retour du religieux » ? Si l'on entend par ce terme l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, c'est le cas. Jamais auparavant un groupe islamiste n'avait représenté une telle force de mobilisation du fait de l'impact psychologique de ses victoires et de la portée symbolique de la notion de califat. Mais les causes de son apparition sont surtout politiques et tiennent principalement à la marginalisation des sunnites par les régimes syrien et irakien. À la différence d'el-Qaëda, ses objectifs prioritaires sont moins transnationaux que régionaux. Et sans minimiser l'horreur de ses crimes contre l'humanité et de sa pratique exécrable de l'épuration religieuse, il faut admettre que les chrétiens d'Irak ont malheureusement été les victimes collatérales du conflit sunnite-chiite. Même si une coalition internationale devait se former sous la houlette des États-Unis pour le contrer, il ne s'agira pas, comme du temps de la guerre froide, d'un affrontement entre deux blocs. Le niveau d'intégration politique économique et militaire de l'Occident n'a rien à voir en effet avec la désunion régnant entre pays arabo-musulmans. Et les pays arabes, qui sont encore plus menacés que l'Occident par l'EI, ont exprimé leur volonté de faire partie d'une telle coalition.
On a donc moins affaire en l'occurrence à un choc de civilisations qu'à un choc de cultures et de valeurs entre l'islam et l'Occident postchrétien. Et surtout à un conflit politico-religieux interne au monde arabo-musulman. Lequel se conjugue avec des clivages idéologiques et des crispations identitaires et communautaires au sein même de chaque « civilisation ». C'est pourquoi le combat contre l'extrémisme politico-religieux ne peut être gagné que par une alliance entre modérés musulmans, chrétiens et juifs autour d'une affirmation du principe de laïcité et du rejet du virus du communautarisme et des diverses formes de fondamentalisme. Il faudrait en particulier que les leaders sunnites modérés condamnent les crimes de l'EI plus fermement qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici. Enfin, même si l'éradication de la violence jihadiste passe auparavant par une solution militaire, elle devra s'accompagner de solutions traitant ses racines politiques, culturelles et socioéconomiques.

Il convient de distinguer, d'une part, le message religieux et, d'autre part, les religions constituées et l'instrumentalisation politique de la religion. Le caractère contradictoire de certains versets du Coran fait que l'islam a pu être qualifié soit de religion pacifiste, soit de religion guerrière. Ses contempteurs ne manquent pas de privilégier la seconde interprétation....

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