Pourquoi la province d'Alep est-elle centrale dans le conflit en Syrie ?
Avant la guerre, la ville d'Alep était la plus importante démographiquement parlant et la capitale économique du pays. Déjà, cela donne beaucoup de valeur à la province. À partir de 2012, c'est aussi devenu un enjeu majeur de la révolution. La province a une valeur psychologique à ne pas négliger. Si l'opposition est vaincue par le régime ou par les jihadistes de l'État islamique (EI, ex-Daech), voire par les deux, l'effet pourrait être dévastateur pour l'ensemble de l'opposition syrienne, que ce soit à l'intérieur de la Syrie ou à l'étranger.
Une défaite des rebelles pourrait permettre aussi bien à l'armée d'Assad qu'à l'État islamique de resserrer les rangs, voire de recruter en leur sein. À plus long terme, la plus grosse inquiétude serait la reproduction en Syrie d'un schéma similaire à l'Irak, l'EI s'appuyant sur la détestation du régime pour se renforcer jusqu'à devenir le courant « rebelle » dominant.
Quels sont les grands tournants, depuis 2011, en ce qui concerne le contrôle de la province d'Alep ?
Le premier moment-clé est très certainement juillet 2012, quand la bataille d'Alep a été lancée. Une bonne partie des rebelles engagés dans la bataille d'Alep venait de zones de la province contrôlées par le régime. Depuis, la situation à Alep est restée plus ou moins la même.
En revanche, au niveau de la province, on a pu observer, tout au long de 2013, des combats sur les lignes de ravitaillement du régime, que l'opposition tente toujours de couper. Vers septembre 2013, le régime a ouvert une nouvelle ligne de ravitaillement vers la ville d'Alep. Elle part de Hama, traverse le désert à l'est, en passant par al-Safira. Cette démonstration de force explique les petites avancées de l'armée de Bachar el-Assad dans Alep et marque le début du recours aux barils (remplis d'explosifs) contre la population. Fin 2013, et particulièrement en décembre, le régime a utilisé massivement ce type d'arme.
Parallèlement, les tensions entre les rebelles et les jihadistes de l'État islamique ne cessent de croître. Un élément que l'armée syrienne cherche à exploiter.
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Depuis janvier 2014, les rebelles font donc face à deux fronts : l'EI et l'armée de Bachar el-Assad. Cette situation a permis la progression du régime, qui encercle peu à peu les rebelles à l'intérieur d'Alep. Si l'Armée syrienne libre (ASL) a réussi à expulser l'EI de la ville d'Alep, le groupe jihadiste a renforcé son offensive dans la province et repousse les rebelles en certains points de la province.
En fait, nous sommes en train de vivre un moment-clé dans l'évolution de la bataille d'Alep et au niveau du contrôle de la province.
Carte réalisée par Roxanne D'Arco
Comment la province est-elle divisée, en termes de contrôle, entre les différents acteurs ? Ce rapport de force influence-t-il l'évolution des combats dans la bataille d'Alep ?
Concrètement, c'est compliqué, mais, globalement, on peut déterminer ces zones comme les suivantes : au nord et plus à l'ouest de la province, les territoires sont plutôt occupés par les Kurdes. Les rebelles de l'ASL contrôlent le nord et l'ouest de la périphérie d'Alep. L'EI contrôle l'est de la périphérie de la ville, et tente de prendre l'avantage sur les territoires contrôlés par l'ASL.
Dans la ville-même d'Alep, les rebelles contrôlent la partie « est », tandis que le régime contrôle l'« ouest », mais aussi l'aéroport international (situé au sud-est de la ville). De là, l'armée de Bachar el-Assad tente d'encercler les rebelles jusqu'au nord-ouest de la ville.
Il ne reste qu'une seule route que le régime veut couper pour véritablement asphyxier Alep. Cela ne veut pas dire nécessairement que le régime va totalement affamer l'opposition, comme cela est ou a été le cas dans des banlieues de Damas. Je ne pense pas que le régime ait véritablement les capacités de tenir un siège aussi important, mais il peut engendrer une hausse significative des prix des denrées en coupant cette dernière ligne de ravitaillement, ce qui rendrait la situation encore plus difficile pour l'opposition.
En quoi l'avancée de l'EI dans la province bouleverse-t-elle ces rapports de force ?
Si les jihadistes de l'EI continuent de progresser, ils peuvent couper la route de ravitaillement des rebelles, entre la frontière turque et Alep. Ils l'ont déjà fait en février dernier, et peuvent recommencer. Un tel retournement de situation aiderait le régime dans la reprise d'Alep même et rendrait les combats difficiles pour les rebelles à l'intérieur, mais aussi dans le reste de la province.
Aujourd'hui, l'EI consolide son contrôle dans l'est du pays, comme à Raqqa et Deir el-Zor (où ils ont battu le régime) mais aussi à Hassakah, où il y a avait encore récemment des Kurdes. Par contre, en termes de valeurs, ce qui compte le plus, c'est la région d'Alep. C'est là où ils peuvent infliger le plus de dégâts à la rébellion syrienne. À l'échelle du pays, seuls les rebelles sont capables de reprendre la plupart des territoires tombés sous le contrôle de l'EI.
Quel est le rôle des Kurdes dans le nord de la province ? Y a-t-il une coordination ou une entente avec l'ASL ou le régime dans la lutte contre l'EI ?
Il y a eu des alliances entre le régime et les Kurdes, notamment dans le nord-est de la Syrie. Mais, en même temps, il y a aussi eu des alliances, moins connues mais tout aussi significatives, entre les Kurdes et les rebelles de l'ASL durant certaines batailles contre l'EI. Cela a déjà été le cas à l'est, notamment dans le nord-est d'Alep. Par ailleurs, depuis 2012, les Kurdes ont combattu les rebelles à plusieurs reprises, et les relations entre Kurdes et régime sont parfois tendues... C'est donc assez compliqué.
Cependant, Kurdes et rebelles de l'ASL ont vraiment un intérêt commun à combattre l'État islamique.
Repères
La bataille d'Alep décryptée
Avant la guerre, la ville d'Alep était la plus importante démographiquement parlant et la capitale économique du pays. Déjà, cela donne beaucoup de valeur à la province. À partir de 2012, c'est aussi devenu un enjeu majeur de la révolution. La province a une valeur psychologique à ne pas négliger. Si l'opposition...