La grande vadrouille

Souvent, l'histoire des empires a été jalonnée de mauvais calculs et de piètres paris mal perçus... En voulant fuir les combats sur mer, Napoléon, contre l'avis de ses conseillers, se lança à la conquête de l'ours russe, accélérant ainsi sa triste fin. Un siècle et demi plus tard, Hitler commettait la même erreur fatale. Et en voulant punir le chah d'Iran, l'empire américain renonça à cet allié précieux, héritier d'une des plus vieilles civilisations d'Orient, pensant que le regime des mollahs serait éphémère.
En voulant arracher l'Afghanistan au giron communiste, pourtant moribond déjà, les Américains ont créé al-Qaëda et Ben Laden pour les charger de bouter les Soviétiques hors des steppes afghanes, sans attendre la chute prévisible de l'Union soviétique et du mur de Berlin.
Ils étaient à mille lieues de penser qu'un jour ces apprentis sorciers allaient, pour la première fois de l'histoire américaine, détruire le symbole même de leur capitalisme conquérant, les Twin Towers, une aile du Pentagone, visant selon toute vraisemblance le Capitole ou la Maison-Blanche. En voulant soulager l'allié israélien après sa défaite face aux partisans de Dieu (et des pasdarans), en juillet 2006, ils ont quitté l'Irak après avoir dissous l'armée et garder bien au chaud Izzat Ibrahim el-Douri qui vient de livrer, avec les généraux sunnites, Mossoul, sa banque et ses armes à Daëch. Le seul introuvable des 52 du fameux jeu de carte des wanted du Baas, traqués jour et nuit par les Américains.
En chassant les chrétiens, après l'échec en 1975 du plan Kissinger – s'agissant à l'époque des chrétiens libanais – pour que le face-à-face sunnito-chiite soit total et que la pagaille organisée chère à Condoleeza Rice puisse opérer à merveille, on pensait donner à Israël un long répit. Dans une région ravagée, on laisserait alors ad vitam aeternam des milices exsangues s'étriper au nom d'Allah, avec un flux et un reflux bien régulé et organisé, suivant les succès militaires des uns ou des autres sur le terrain.
On se réjouissait très vite de l'ingratitude du Hamas vis-à-vis de l'Iran, d'Assad et du Hezbollah, des combats en Irak et Syrie, mais on se rend compte qu'Israël à Gaza est en train de ressembler, au fil des jours, aux USA au Vietnam, avec cette différence majeure que les USA n'avaient aucune frontière avec l'Indochine.
Un minuscule et plat territoire est en train de devenir le Stalingrad des Palestiniens. Les réservistes de l'armée israélienne en sont réduits désormais, dans leur affolement, à tirer sur des gamins de 6 ans jouant sur une plage ou dormant après la proclamation d'un cessez le feu. Car Tsahal dispose, elle, d'excellents radars et drones. Des mots comme génocide ou, pire, holocauste seraient-ils de trop ?
Pendant ce temps, Hollande offre l'asile aux chrétiens de Mossoul. Et le primat des Gaules, Mgr Barbarin, vient demander sur place de prier et de réciter avec lui des prières. Ce qui a inspiré cette réplique cinglante de l'unique député chrétien de la deuxième ville d'Irak : « Mais enfin, traitez-nous au moins comme les musulmans du Mali à Tambouctou, Bamako ou Kidal! » «Honte à la fille aînée de l'Église!» s'est-t-il exclamé devant les caméras. Ce sont les vaillants peshmergas qui ont sauvé les chrétiens d'Irak. Danielle Mitterrand avait été bien inspirée de les aider, eux qui n'oublient jamais un service rendu.
En fin de compte, en y regardant de plus près, quel est le résultat de la chevauchée moyen-orientale de Bush fils qui reprochait en 2003 à Chirac et à Villepin, représentants de la « vieille Europe » (dixit Donald Rumsfeld), leur lâcheté quand ils prévenaient Washington de l'ouverture inéluctable des portes de l'enfer. Or, l'enfer est bel et bien là... Qui pourra un jour reconstruire à l'identique les vieilles et belles villes multimillénaires de Syrie ou d'Irak ?
Ce qui devait au départ ressembler à une expédition bien préparée et rodée, aux buts précis, a fini par prendre l'allure d'un rodéo texan, mené par un cow-boy qui a plongé le monde dans un bourbier d'où il n'est pas près de se sortir. Bourvil et Louis de Funès, eux, avaient fait mieux dans La Grande vadrouille...

Chloé KATTAR
Paris