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Erdogan président... et maintenant, la Turquie vers où ? - Scrutin

Erdogan président... et maintenant, la Turquie vers où ?

Des défis majeurs attendent le nouveau chef de l'État turc, tant sur le plan interne que sur le plan régional. Des experts expliquent à « L'Orient-Le Jour » les enjeux de la période à venir.

Pour la première fois dans l'histoire de la Turquie, le président de la République a été élu au suffrage universel direct. Grand favori, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a remporté haut la main le scrutin. Homme fort du pays depuis presque dix ans, le candidat islamiste a su bénéficier de la machine à gagner bien rodée du Parti pour la justice et le développement (AKP). Les médias, qui lui sont presque totalement soumis, l'ont aussi dépeint comme ayant une personnalité emblématique, charismatique, endurante sur le plan politique. Il est le grand favori des sondages, le préféré des Anatoliens... Avec Erdogan comme président, quel avenir pour la politique étrangère de la Turquie ? Comment va-t-il gérer ses liens avec ses voisins ? Quels défis internes attendent celui qui fut durant dix ans Premier ministre de la Turquie ?

Pour répondre à toutes ces questions, L'Orient-Le Jour a interrogé Bayram Balci, expert de la Turquie, Marc Pierini, ancien ambassadeur de l'Union européenne et chef de la délégation turque, et Sinan Ülgen, ancien diplomate turc et président du Centre d'économie et études internationales à Istanbul. Réponses :

Ses liens avec l'Europe

L'Union européenne ne gagnerait-elle pas à avoir la Turquie de son côté ?
Erdogan, en pleine dérive autoritaire et islamiste, a vu son image se dégrader en Occident. Mal vu pour son non-respect des droits de l'homme et libertés fondamentales, notamment lors de la répression de la fronde de juin 2013, le futur président passe de scandale en polémique mais reste quand même « le plus fréquentable de la région », selon Bayram Balci. En effet, dans un Moyen-Orient en crise, entre les régimes Assad, Maliki ou un gouvernement Netanyahu, Erdogan semble très équilibré, et la Turquie « un îlot de paix et de prospérité », selon Marc Pierini. Si l'on regarde ces élections du point de vue occidental, « il faudra reconnaître le charisme du chef de l'AKP et ses réalisations économiques », poursuit l'ancien diplomate. Mais il faudra aussi souligner que le musèlement des médias, la connotation religieuse de ses messages politiques, le récent scandale de corruption ou la mise a l'écart de l'appareil judiciaire et policier sont incompatibles avec les principes européens. Pour M. Pierini, la Turquie d'aujourd'hui n'est certes pas la Turquie d'il y a quatre ou cinq ans, mais l'Europe veut plus que jamais compter sur elle. Selon le chercheur invité à Carnegie Europe, cela va se voir notamment au prochain sommet de l'Otan dans quelques semaines. Malgré tout, « les Européens n'iront sûrement pas jusqu'à lui offrir une place dans l'UE, » conclu M. Balci.

(Lire aussi : Erdogan s'en prend à nouveau à la presse et attaque une journaliste « effrontée »)

 

 

Ses liens avec les pays du Moyen-Orient

Erdogan cherchera-t-il à retisser des alliances avec ses anciens alliés ?
Avant le printemps arabe, la Turquie avait des liens privilégiés avec l'Égypte, la Syrie ou encore Israël. Erdogan était apprécié partout et la Turquie était comme une grande sœur dans la région. Aujourd'hui, « à part le Hamas, peu de personnes soutiennent Erdogan », confie Bayram Balci constatant l'isolement turc.

 

Ses liens avec l'Égypte

Jadis meilleure amie de la Turquie, surtout au temps de Hosni Moubarak et Mohammad Morsi, l'Égypte est passée dans le camp ennemi. Depuis l'aggravation de la crise en Syrie, Erdogan considère comme « perdre la face que de négocier la moindre concession », affirme M. Balci. En outre, les Frères musulmans égyptiens entretiennent des liens étroits avec l'AKP. La Turquie s'est d'ailleurs montrée très critique après le renversement le 3 juillet du président Morsi, issu des Frères musulmans, qu'elle juge victime d'un « coup d'État inacceptable ». « J'espère que nos relations reviendront à la normale », a déclaré le président turc Abdullah Gül, réagissant à l'initiative égyptienne lors d'une allocution télévisée. C'est alors un candidat égyptien aux antipodes de Recep Tayyip Erdogan qui prend les rênes de l'Égypte. Le maréchal Abdel Fatah al-Sissi, un militaire jusqu'au bout des doigts, n'inspire pas la confiance d'Erdogan, ce dernier ayant « lutté toute sa vie contre l'armée », rappelle M. Balci.
Et avec la position du Caire dans la crise de la bande de Gaza, l'Égypte n'a certes pas gagner d'estime aux yeux d'Erdogan. Ce dernier a essayé de contrer une médiation égyptienne de la guerre par une médiation turco-qatarie... en vain.

 

Ses liens avec Israël

Contrairement à beaucoup de pays à majorité musulmane du Moyen-Orient, la Turquie entretenait des relations diplomatiques et économiques plutôt bonnes avec Israël. Toutefois, depuis l'abordage par l'armée israélienne du navire turc Mavi Marmara qui voulait briser le blocus de Gaza en 2010, les relations entre ces deux pays connaissent un regain de tension.
L'offensive israélienne des dernières semaines contre la bande de Gaza a encore envenimé une relation qui semblait pourtant sur le point de s'arranger, l'État hébreu et la Turquie « s'étant presque mis d'accord sur l'indemnisation des victimes de 2009, preuve d'une volonté de normalisation des relations », selon M. Balci. Avec l'opération « Bordure protectrice » qui vise ouvertement à éliminer le Hamas, « normaliser les relations avec Israël serait perdre la face pour Erdogan », poursuit l'expert. Et, preuve de sa prise de position radicale sur le sujet, Recep Tayyip a comparé à deux reprises le Premier ministre israélien à Hitler.
Pour M. Pierini, ce dénigrement israélien n'est qu'un argument de plus dans la campagne présidentielle d'Erdogan et ne devrait pas s'éterniser. L'ancien diplomate n'exclut pas une normalisation de leurs relations mais il est conscient que cela ne devrait pas arriver avant longtemps. Le temps de digérer les près de 2 000 morts côte bande de Gaza peut-être ?

(Lire aussi : L'élection annoncée d'Erdogan ne fait pas rire ses critiques, surtout féminines)

 

 

 

Ses liens avec l'Irak

La lutte commune contre l'État islamique pourrait rapprocher M. Erdogan du gouvernement irakien, selon M. Balci. Mais ce qui intéresse vraiment le Turc en Irak, c'est bien ses Kurdes. En effet, Erdogan, qui a lui-même entamé un processus de dialogue avec les Kurdes turcs, a trouvé dans cette communauté un partenaire économique de taille. Aujourd'hui, au grand dam de Bagdad, la Turquie vend le pétrole du Kurdistan irakien sur les marchés internationaux.
Par ailleurs, alors que cette question était encore taboue il y a peu de temps, la coopération d'Erdogan avec les Kurdes d'Irak donne encore plus d'espoir aux Kurdes turcs de se voir considérer comme une entité autonome. Les Kurdes d'Irak sont ainsi « un outil, un allié pour contrôler la question kurde en général », selon Bayram Balci, car aujourd'hui, Erdogan a compris que s'allier avec les Kurdes de Turquie contribuerait à multiplier sa puissance.
La Turquie voudrait même voir un Kurdistan irakien indépendant, capable de se défendre, grandir à ses frontières. D'après M. Pierini, « ce serait la meilleure zone tampon pour la Turquie » pour contrer ou freiner une éventuelle avancée des jihadistes vers les territoires turcs.

 

Ses liens avec l'État islamique

La Turquie, frontalière de deux des grands conflits moyen-orientaux de notre temps, est au centre d'une polémique. D'un coté, elle jure ne soutenir que les rebelles modérés en Syrie, de l'autre, elle est devenue aussi un lieu de transit privilégié pour les armes et les jihadistes sunnites étrangers plus ou moins radicalisés. « Des preuves ont été fournies montrant que la Turquie dispose de plus de 1 000 hommes dans les rangs de l'EI », détaille M. Pierini. « D'un côté, nous avons vu quelques résultats sur le plan du contre-terrorisme, mais en même temps certains membres de l'EI prétendent qu'ils ne seraient pas là où ils sont sans le soutien de la Turquie », renchérit M. Pierini.
M. Balci est d'accord pour dire qu'« en désespoir de cause, la Turquie a pu soutenir des éléments radicaux ».

 

Ses liens avec la Syrie

Bayram Balci rappelle qu'au début de la crise, pendant des mois, Erdogan a essayé de faire entendre raison à Bachar el-Assad, alors son allié dans la région. Mais face à l'entêtement de ce dernier, le gouvernement turc s'est fortement engagé du côté des insurgés syriens, se prononçant pour un changement de régime quelques mois après le début de l'insurrection. Les autorités turques ont très tôt accueilli sur leur sol l'opposition syrienne, qui a constitué à Istanbul sa première structure de coordination politique, le Conseil national syrien. L'Armée syrienne libre a également trouvé refuge et soutien en Turquie.
M. Erdogan voulait aussi éviter cette crise car elle permettait de renforcer les Kurdes de Syrie. Bayram Balci parle ici de double jeu du gouvernement Erdogan. En effet, d'un côté, celui-ci soutient les Kurdes d'Irak, de l'autre il réprime les Kurdes syriens. « En fait, Erdogan ne veut pas de deux entités kurdes fortes dans la région, » affirme M. Balci.


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La Turquie va vers une islamisation ...Sainte Sophie n'est pas prête de revenir une cathédrale.....

M.V.

07 h 17, le 11 août 2014

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Commentaires (1)

  • La Turquie va vers une islamisation ...Sainte Sophie n'est pas prête de revenir une cathédrale.....

    M.V.

    07 h 17, le 11 août 2014

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