Que se passe-t-il en Irak ? Les frontières du nouveau Moyen-Orient sont-elles en train d'être tracées avec le sang des chrétiens ? C'est la question que tous les Libanais se posent, les yeux rivés sur la plaine de Ninive, où cent mille chrétiens fuyaient hier, sous un soleil accablant, par une température supérieure à 40 degrés, la progression des jihadistes et des ténèbres religieuses qui les accompagnent.
Les patriarches orientaux catholiques et orthodoxes ont réagi hier, lors d'une réunion à Dimane, à cette tragédie en demandant aux autorités civiles et religieuses musulmanes de promulguer des fatwas et des lois pour proscrire le véritable génocide culturel qui se produit dans les régions conquises par les jihadistes. Ils ont même songé, sans la demander explicitement, à une intervention des Nations unies en Irak. Dans un SOS lancé de Bagdad, le patriarche des chaldéens, qui s'était fait représenter à la réunion de Dimane, a déploré le manque de coordination entre le gouvernement central irakien et les autorités kurdes, dont la pieuvre islamique profite pour étendre ses tentacules. « La situation va de mal en pis », a-t-il conclu son appel au secours.
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Ce sont ces mêmes ténèbres que l'armée libanaise est parvenue à repousser en reprenant hier le contrôle de l'agglomération de Ersal, tombée quelques jours durant entre les griffes des groupes islamistes. On ne s'explique pas encore ce qui a poussé ces bandes à couper la branche sur laquelle ils étaient assis, d'autant que la ville où ils venaient se reposer, se faire soigner et/ou se réapprovisionner est une ville entièrement sunnite. Le seul réconfort que l'on peut trouver dans l'épilogue de cet épisode sanglant qui a coûté la vie à une vingtaine de nos militaires, c'est que la ville s'est montrée réfractaire au joug jihadiste et que le comportement brutal de ces derniers leur a fait perdre encore plus de leur aura.
(Voir aussi notre diaporama : Tombés pour le Liban)
La bataille de Ersal est-elle terminée ? Devons-nous cette victoire au Rassemblement des ulémas musulmans ? Ces questions sont à débattre. La bataille n'est certainement pas terminée, mais il est tout aussi certain que son règlement ne sera pas militaire, du moins dans l'immédiat, et que le Rassemblement des ulémas y est pour quelque chose. Certes, aucun compromis n'est possible avec le terrorisme, mais avec 39 otages entre leurs mains (22 militaires et 17 agents des Forces de sécurité intérieure), les jihadistes disposent d'une carte qu'ils ont sans doute déjà jouée pour assurer leur sortie sains et saufs de Ersal et qu'ils vont continuer à jouer pour faire pression sur le gouvernement. Vont-ils demander, en échange de la liberté de leurs prisonniers, celle du chef de l'EI, Imad Ahmad Jomaa, arrêté par l'armée ? Les otages pourraient-ils aussi servir de monnaie d'échange pour négocier un désengagement du Hezbollah de Syrie ? Les jours qui viennent le diront.
(Repère : Le Liban dans l'engrenage du conflit syrien)
En tout état de cause, l'irruption au Liban du danger jihadiste a poussé le Premier ministre, Tammam Salam, à prendre contact par téléphone avec le roi Abdallah de Jordanie, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et l'émir de Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
Le roi de Jordanie a promis une assistance à l'armée libanaise et a chargé son ministre des Affaires étrangères du suivi de cette question, a assuré l'Ani. On ignore quels ont été les sujets abordés avec le Premier ministre turc et l'émir de Qatar, et si le Liban parle avec ces deux États, au sujet des jihadistes, le même langage.
Ce que la bataille de Ersal a par ailleurs révélé et que des officiers supérieurs soulevaient depuis des années, c'est l'affaiblissement d'une institution militaire où la moyenne d'âge a largement dépassé la norme requise ; une institution qui, de surcroît, manque des moyens adéquats pour remplir sa mission interne, la lutte contre le terrorisme. La décision du Conseil des ministres d'enrôler 5 000 nouveaux militaires a cherché à pallier ce manque. Elle a certainement un coût, qu'on ira peut-être puiser dans le don saoudien promis par le roi Abdallah.
(Lire aussi: Le blocage inacceptable du « deal » franco-saoudien sauvé par le milliard du roi)
On a épilogué ces derniers jours sur la raison pour laquelle l'Arabie saoudite tarde à accorder son don de 3 milliards de dollars en équipement militaire français. Il a été question d'une commission. Sans doute. Les marchés d'armes s'accompagnent toujours de malversations, disent les experts. Mais les Libanais n'assument-ils pas une part de responsabilité dans ce retard ? À quel gouvernement, dans quel Liban et sous le mandat de quel président le don saoudien sera-t-il accordé ? Le flou constitutionnel dans lequel baigne le Liban et l'incertitude sur son avenir sont autant d'entraves à l'octroi d'un don qui, pour être généreux, ne peut être accordé sans discernement.
C'est ainsi que la boucle est bouclée, et que les événements de Ersal et la décision du Conseil des ministres renvoient à la lancinante question de la présidentielle. Certes, un nouveau rendez-vous a été donné à la Chambre, le 12 août, pour élire un président. Mais, n'en déplaise à M. Joumblatt, il faut être sans illusion sur ce plan, la question est appelée à rester encore longtemps au point mort... pendant que le Liban (avec tout le Moyen-Orient) brûle, que désespèrent des étudiants pris en otages par des enseignants qui ont perdu tout sens éthique et que glosent les gloseurs à la télévision.
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Ben oui hélas aussi. C'est pourquoi face à l'impitoyable adversité terroriste donc sioniste aussi et obcurantiste dirigé par les riches arabies très démocratiques, il faudra choisir son camp et payer le tribut comme tout le monde.. de manière à gagner le défis ensemble avec les autres composantes de nos pays.
17 h 32, le 08 août 2014