Comment expliquez-vous la persécussion des chrétiens par l'État islamique (EI) ? Pourquoi maintenant ?
L'État islamique a un plan bien défini, c'est d'installer un « califat » islamique, à la manière wahhabite, et les chrétiens n'y ont pas leur place. Donc dès leur arrivée à Mossoul, les jihadistes ont confisqué tous les biens des chrétiens, avant de les faire fuir, totalement démunis, quelques jours plus tard. Les islamistes ont également occupé les trente églises et trois monastères de la ville, avant de les saccager. Il reste que cette présence islamiste fanatique n'est pas nouvelle. En effet, Mossoul était déjà le foyer d'islamistes fanatiques, et ce à l'époque de l'invasion américaine en 2003. Les hommes de Saddam Hussein s'étaient installés en ville et imposaient une taxe à tous ceux qui traversaient la ville ou y possédaient un commerce. Durant plusieurs siècles, il y a eu plus de 60 000 chrétiens à Mossoul. Durant la dernière décennie, la moitié a quitté la ville, et là, ceux qui étaient restés envers et contre tout ont fini par fuir un climat qui était déjà très tendu depuis 2003.
(Repère : Qui sont les chrétiens d'Irak ?)
À votre avis, les persécutions de l'EI ciblent-elles les chrétiens seulement ou toutes les minorités ?
Bien entendu, dès leur arrivée à Mossoul, les jihadistes ont chassé les chiites de la ville. Mais deux minorités sont particulièrement visées par les jihadistes : les chrétiens et les yazidis. Ils ont pour objectif une épuration religieuse totale, d'autant que les yazidis sont considérés, à tort, comme des adorateurs du diable. Et malgré leur nombre, les chrétiens n'ont su résister aux jihadistes : ni le gouvernement irakien ni l'Église n'ont pu les protéger, et les Kurdes se sont retirés de la région. Les chrétiens se sont donc retrouvés abandonnés de tous, mais c'était déjà le cas depuis 2011, lorsque les États-Unis ont quitté l'Irak et les ont laissés totalement désarmés face aux jihadistes. Pourtant, à l'époque, les chrétiens avaient demandé à être armés, soutenus face à la menace islamiste, et à avoir leur propre préfecture, mais les Kurdes et les Arabes avaient refusé.
(Portrait : Abou Bakr al-Baghdadi, entre la barbarie de ses actions et l'ubiquité de ses silences)
Est-ce la fin de la présence chrétienne en Irak ?
Je ne le pense pas, parce qu'il reste un bon nombre de chrétiens en Irak. À Bagdad par exemple, il y en a encore 50 ou 60 000. Mais jusqu'à quand, étant donné que le conflit sunnito-chiite s'aggrave ? Toutefois, il y a également des chrétiens au Kurdistan irakien, où ils sont très bien intégrés dans et autour des villes. Je pense notamment à la ville d'Ankawa, à l'ouest d'Erbil. Seulement, si cette ville est prise par les jihadistes, cela signifiera la chute d'Erbil. En attendant, dans les régions arabes, comme Bassora et Mossoul, c'est fini. L'Occident laisse ces chrétiens périr, et deux mille ans d'histoire se termineront à cause de sa lâcheté. Quant aux pays arabes, leurs réactions molles et superficielles sont tout aussi graves car un morceau de l'histoire d'Orient, qui est une véritable poudrière, va être effacé si la situation actuelle perdure.
*Apparenté au patriarche chaldéen Louis Sako, Ephrem Issa Youssef est l'auteur, notamment, de l'ouvrage « Les chrétiens de Mésopotamie : histoire glorieuse et future incertain », aux éditions L'Harmattan.
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19 h 40, le 10 août 2014