« Scandaleux ! Ces grillages ne devraient pas bloquer notre Raouché naturelle nationale. » Ce « statut » du ministre de l'Environnement Mohammad Machnouk dimanche sur son compte Facebook était éloquent, d'autant qu'il était accompagné de quatre photos de promeneurs regardant la plage de Dalyeh, l'une des dernières encore intactes à Beyrouth, à travers le grillage posé là par les entreprises qui comptent privatiser cette plage et y édifier, selon les rumeurs, un grand projet balnéaire. Le ministre était injoignable hier pour plus de commentaires sur la question, mais sa réaction a fait le tour des réseaux sociaux et a été considérée comme un appui significatif des militants qui se battent depuis des mois pour sauver cette plage, jusque-là ouverte au public.
Rappelons que le problème avait commencé à attirer l'attention du public quand les pêcheurs qui habitent près du petit port de Dalyeh ont effectué des sit-in pour protester contre les tentatives de grandes sociétés, qu'ils disent appartenir aux héritiers de l'ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, de les déloger. Un procès est toujours en cours entre les deux parties. Entre-temps, une mobilisation civile a pris forme contre un autre aspect du problème : la privatisation d'une nouvelle parcelle du littoral beyrouthin, qui appartient qui plus est au voisinage de la célèbre Grotte aux Pigeons. Comme pour confirmer les craintes de la société civile, les sociétés privées ont fermé l'accès à la plage et au port par des grillages depuis quelques semaines. Les sit-in des militants se succèdent depuis, dont le dernier a eu lieu dimanche dernier.
Ce sit-in était organisé en marge de l'exploit de Michel Haddad, qui a défié son handicap pour escalader le rocher de Raouché, dimanche. Et du haut du rocher, il a appelé les Libanais à préserver leur littoral. Quant aux militants de la Campagne civile pour la préservation de Dalyeh, ils ont déployé, juste en face de la Grotte aux Pigeons, une énorme banderole sur laquelle on pouvait lire cette inscription : « Raouché est notre vitrine et Dalyeh notre espace, éloignez votre chantier de notre rocher ».
Cette banderole était bien en vue des caméras, mais aussi du président du conseil municipal de Beyrouth, Bilal Hamad, que les militants accusent de ne pas intervenir en faveur de la préservation de la côte de Dalyeh. Dans leur communiqué, les militants dénoncent le fait qu'une fois de plus, M. Hamad a déclaré que « la municipalité n'a pas la prérogative d'intervenir quand les terrains sont privés ».
À cela, les militants répondent par plusieurs arguments : d'une part, selon eux, la propriété des terrains de Dalyeh revenait traditionnellement aux familles beyrouthines, avant que des sociétés ne les achètent en masse dès 1995. Or, rappellent-ils, le zonage de ce qu'on appelle le secteur 10 de Beyrouth – qui comprend Raouché et Ramlet el-Baïda – protégeait jusque-là ces terrains des investissements privés. D'autre part, disent-ils, la propriété privée ne signifie pas que tous les types de développement sont autorisés, même ceux qui n'assurent pas l'environnement propice pour la population. Enfin, les militants estiment que la municipalité a les prérogatives nécessaires pour s'opposer à un projet du fait que c'est à elle d'approuver les permis de construire.
Pour mémoire
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08 h 40, le 10 juin 2014