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Liban - Liban

Pêcheurs vs compagnies privées dans le petit port de Dalyeh

Un procès a été intenté par les propriétaires des terrains sur cette côte de la zone de Raouché pour déloger des familles installées ici depuis des dizaines d'années. Les militants, eux, craignent la privatisation du littoral.

Une vue du petit port de Dalyeh, avec ses bateaux en mer ou sur terre, pour l’entretien. Le bâtiment inachevé en chantier a été construit dans le cadre du projet de modernisation entrepris par le ministère des Travaux publics, interrompu suite au litige sur la propriété des terrains.

Aïda Saleh ne décolère pas. « Il y a 21 familles élargies qui vivent ici, certaines, comme les Itani, depuis plus de deux siècles », s'insurge-t-elle. Aïda fait partie de ces pêcheurs qui habitent à proximité de la mer à Dalyeh, un petit port de la zone de Raouché à Beyrouth, à quelques centaines de mètres de la fameuse plage de Ramlet el-Baïda. Ce port, à proximité duquel sont établis quelques cafés populaires, est bien connu des Beyrouthins. « Ils viennent pour la plupart apprendre à nager ici », nous apprend Imad Miré, un jeune pêcheur qui s'occupe des orphelins de son frère.


Aïda nous reçoit sur une terrasse devant une petite épicerie, qui jouxte sa maison en béton peint donnant sur la mer. Des maisons ou des cabanes plus ou moins bien construites entourent le port. La plage a gardé son aspect d'origine, avec ses rochers blancs caractéristiques devenus rares sur un littoral très bétonné. Profondément niché dans une petite baie se trouve le port de pêche avec ses quelques dizaines de bateaux modestes. Un bâtiment en construction attire l'attention : il paraît disproportionné par rapport au reste du port. Une plaque commémorative explique la présence d'un tel bâtiment : elle porte une inscription sur l'inauguration d'un projet de modernisation du port sous le mandat du ministre des Transports Ghazi Aridi (aujourd'hui démissionnaire), en 2012. Ce projet prévoyait également de construire un brise-lames en vue de protéger les bateaux et les cabanes en cas de tempête.


Ce projet, aujourd'hui gelé, avait représenté un grand espoir pour ces pêcheurs mais il a indirectement réveillé les vieux démons de leur délocalisation au profit de grands projets privés. Cette menace de délocalisation trouve son origine dans les années 90, après que les terrains au-dessus du port et des biens-fonds maritimes ont été achetés par des compagnies privées. Aïda et Imad se souviennent que des pourparlers, engagés avec eux pour leur départ, avaient culminé en 2004. « Les représentants de (l'ancien Premier ministre Rafic) Hariri nous promettaient alors des indemnisations », souligne Aïda. Ils ajoutent que celui-ci, par le biais de trois sociétés foncières – les sociétés « el-Bahr », « Sakhret el-Bahr » et « Sakhret el-Yamama » (source : étude « Cette mer est à moi » du groupe Dictaphone) – avait acheté la plus grande partie des terrains aux familles beyrouthines qui les possédaient jusque-là. Comme, en vertu du décret 402 de 1995, une propriété de plus de 20 000 mètres carrés sur la plage ouvre la voie à un investissement sur les biens-fonds maritimes, les sociétés ont engagé des négociations avec les pêcheurs pour déplacer le port. Mais tout cela avait été interrompu par la mort violente de l'ancien Premier ministre un an plus tard.


Ce n'est que récemment, il y a quelques mois seulement, alors que le projet de réhabilitation du port par le ministère des Travaux publics était bien entamé, que le sujet de la délocalisation des pêcheurs a refait surface. Cette fois, les négociations n'ont pas duré, selon les pêcheurs. Les sociétés – qui appartiennent aux héritiers de Rafic Hariri selon des sources concordantes – ont intenté un procès auprès du juge des référés pour déloger les pêcheurs.
« Nous sommes des pêcheurs et nous n'avons pas beaucoup de moyens, souligne Aïda. Le jugement n'a pas encore été prononcé dans cette affaire, mais un précédent jugement contre lequel nous avons fait appel devait nous obliger à démolir nos maisons à nos frais et à payer un million de livres par jour de retard. Or nous avons besoin d'être indemnisés équitablement au cas où l'on nous obligerait à partir, nous n'avons pas le choix. »
Autant Aïda et Issam que le jeune Amer Mahfouz, un autre pêcheur, décrivent comme suit la dernière séance qui a eu lieu le 17 janvier, présidée par la juge des référés : six ou sept représentants des pêcheurs sont arrivés au tribunal pour être fouillés à l'entrée et constater, ahuris, la présence de forces antiémeute à l'intérieur même de la cour. « Pourquoi nous traiter comme de vulgaires criminels ? » se demandent-ils.

 

Sur les terrains privés ou sur les biens-fonds maritimes ?
C'est à la suite de cette séance que les pêcheurs ont décidé de transposer leurs protestations à la rue et d'effectuer un sit-in au cours duquel ils ont coupé la route de la corniche, ce fameux 17 janvier. « Nous ne voulons pas quitter nos domiciles, surtout après la façon avec laquelle on nous a traités », affirme Amer. Toutefois, il précise que les pourparlers avec les représentants de la compagnie ont repris par le biais du chef de la gendarmerie de Beyrouth Dib Tbeili. « Notre revendication première est l'abandon du procès contre nous », dit-il.


Au cours de notre enquête, nous avons essayé, en vain, de recueillir l'avis de la partie adverse. Ni un des députés de Beyrouth du bloc de l'ancien Premier ministre Saad Hariri, généralement engagé dans les affaires concernant le littoral, ni le bureau d'avocats chargé du procès pour le compte des compagnies n'ont souhaité s'exprimer. Toutefois, L'Orient-Le Jour a pu vérifier que le procès intenté contre les pêcheurs se fonde principalement sur des cartes topographiques montrant que les cabanes se trouvent sur des terrains privés, ainsi que sur le rapport d'un expert dépêché sur les lieux par la juge des référés, qui dit avoir constaté que les pêcheurs ne détiennent aucun titre de propriété ou autre document faisant valoir leur droit de rester sur place.

Tout cela n'empêche pas l'avocat des pêcheurs, Me Ali Khalil, de se montrer optimiste. « Pour demander l'éviction des pêcheurs de leur domicile, les compagnies se basent sur l'argument que leurs maisons et cabanes se trouvent sur des terrains privés, dit-il. Or c'est faux. Je compte produire, au cours de la prochaine séance, qui se déroulera le 17 février, des cartes prouvant que tous les domiciles des pêcheurs se trouvent sur des biens-fonds maritimes. Et nous détenons une autre preuve : dans les années 80, des jugements ont été prononcés par la cour pénale demandant aux pêcheurs d'évacuer les biens-fonds maritimes publics. » Rappelons qu'il est interdit de construire ou de faire un quelconque investissement sur les biens-fonds maritimes, à moins d'une autorisation exceptionnelle.
Il est étonnant de défendre les droits des pêcheurs à demeurer dans leurs domiciles face au secteur privé en invoquant des jugements qui rappellent qu'ils occupent des terrains publics... « Ce n'est pas faux, répond le juriste. Mais alors, ce n'est pas au secteur privé de les déloger mais à l'État. »
Alors pourquoi pense-t-il que les chances de remporter cette bataille sont sérieuses ? « La juge ne pourra pas émettre un jugement le 17 février, affirme Me Khalil, confiant. Quand nous présenterons notre mémoire avec nos cartes, nous contesterons les arguments de la partie adverse sur des bases solides. La juge des référés qui, comme nous le savons, est chargée des affaires présentant un caractère d'urgence, n'aura plus d'autre choix que de transférer le dossier à une autre cour. »


Récemment, Me Khalil a présenté une demande pour inclure le ministère des Travaux comme partie dans le procès. « Le ministère a effectué des travaux dans le port, il est concerné par l'affaire et il est important qu'il soit mêlé au procès », assure-t-il.
Alors, les cabanes se trouvent-elles sur le domaine public ou sur les terrains privés ?
Selon les dernières informations, la cour a demandé aux pêcheurs d'avoir recours aux services d'un topographe de leur choix pour déterminer l'emplacement exact de leurs maisons. De cela dépendra l'avenir des négociations et/ou du procès.

 

Encore une parcelle du littoral privatisée...
Une question fondamentale parallèle se dégage de cette affaire, et elle ne concerne pas les pêcheurs seuls mais tous les Beyrouthins, voire tous les Libanais. Un nouveau projet privé sur une parcelle du front de mer de la capitale signifie que celle-ci sera fermée à la population et ne sera accessible qu'à un public restreint et nanti.
Ce futur projet touristique, dont les rumeurs disent qu'il a déjà été exposé à certains cercles fermés, suscite un courant de refus matérialisé sous forme d'une pétition lancée par une campagne qui s'organise actuellement en vue de « sauver le port de Dalyeh », comme nous l'indique Abir Saksouk, architecte urbaniste qui en fait partie. La pétition (qu'on peut retrouver en tapant www.alarida.org) a déjà été signée par des centaines de personnes venues d'horizons très divers.
« Notre combat est de sauver ce qui reste du littoral, et cela est indissociable de la bataille que mènent les pêcheurs pour rester sur place, explique Abir Saksouk. Nous ne sommes pas contre tel ou tel investisseur, mais pour le droit de la population à jouir de la côte en tout lieu. Pour cela, il faudra revenir sur les amendements de certaines lois qui autorisent les grands investissements privés sur les biens-fonds maritimes (voir encadré). »


De retour à Dalyeh, le jeune Ali Itani nous montre du doigt un petit café tenu par sa famille depuis des décennies et donnant sur le port, déjà plein à la mi-journée. « Où vont aller les pêcheurs et tous les habitués de cet endroit ? », dit-il. Pour lui, il n'y aura d'autre choix que l'escalade si le procès contre les pêcheurs n'est pas abandonné. « Ils doivent s'entretenir directement avec nous, sinon nous en tirerons les leçons pour les prochaines élections », ajoute ce fils d'une grande famille beyrouthine.

 

Aïda Saleh ne décolère pas. « Il y a 21 familles élargies qui vivent ici, certaines, comme les Itani, depuis plus de deux siècles », s'insurge-t-elle. Aïda fait partie de ces pêcheurs qui habitent à proximité de la mer à Dalyeh, un petit port de la zone de Raouché à Beyrouth, à quelques centaines de mètres de la fameuse plage de Ramlet el-Baïda. Ce port, à proximité duquel...

commentaires (2)

De toute façon,l'éternel mauvais goût libanais aura le dessus...mauvais goût architectural,mauvais goût de corruption,mauvais goût de menaces...les "hommes d'affaires" libanais,la cosa nostra locale,ne sera heureuse que quand elle aura bétonné toute la côte et installé un "cabaret " tous les 100 mètres...et la montagne suit le même chemin...même la kadicha est menacée...arrêtez d'ennuyer ces braves gens avec vos procès...ayez au moins la décence de les indemniser honorablement,avant de déverser sur ce lieu vos tonnes de sale béton...sale comme vous! sales types!

GEDEON Christian

11 h 51, le 07 février 2014

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Commentaires (2)

  • De toute façon,l'éternel mauvais goût libanais aura le dessus...mauvais goût architectural,mauvais goût de corruption,mauvais goût de menaces...les "hommes d'affaires" libanais,la cosa nostra locale,ne sera heureuse que quand elle aura bétonné toute la côte et installé un "cabaret " tous les 100 mètres...et la montagne suit le même chemin...même la kadicha est menacée...arrêtez d'ennuyer ces braves gens avec vos procès...ayez au moins la décence de les indemniser honorablement,avant de déverser sur ce lieu vos tonnes de sale béton...sale comme vous! sales types!

    GEDEON Christian

    11 h 51, le 07 février 2014

  • Depuis plusieurs années des compagnies privées sont en train de s’approprier toute la cote de Beyrouth et arracher le droit d’exploitation à ceux qui étaient en règle que serait-ce pour ces petits pêcheurs de Dalyeh ?

    Sabbagha Antoine

    11 h 33, le 07 février 2014

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