Sous un ciel de plomb, des dizaines de citoyens se sont regroupés hier sur la corniche maritime de Beyrouth, près de l'entrée du port de Dalyeh, pour dire non à ce qu'ils dénoncent comme « un nouveau projet de construction prévu sur le littoral et qui entraînerait de facto la privatisation de cette portion de la côte ». Dalyeh est un petit port sur une plage de beaux rochers blancs, à quelques mètres seulement de la grotte aux pigeons. Ce sit-in était l'occasion de lancer la Campagne civile pour la préservation de Dalyeh-Raouché.
Une campagne qui reflète une grande colère de voir disparaître une nouvelle plage, formée qui plus est de beaux rochers blancs encore intacts. « C'est tellement dommage pour le Liban ! », s'écrie une dame venue participer au mouvement.
Rappelons que des dizaines de familles de pêcheurs habitent ce petit port et qu'un litige juridique les oppose avec les compagnies propriétaires des terrains adjacents et qui tentent de les déloger. Mais pour les militants de la société civile, le préjudice social va bien au-delà de la situation des pêcheurs. C'est toute la question du droit d'accès gratuit et ouvert à la côte qui est soulevée. Sans compter la proximité du futur projet à un emblème national qui est le rocher de Raouché, selon les organisateurs.
Dans le communiqué lu par Abir Saksouk, jeune ingénieure qui fait partie de la campagne, les organisateurs ont demandé aux autorités de dynamiser les outils de planification urbaine en leur possession afin de protéger les lieux publics, par le biais de l'expropriation ou de n'importe quel autre moyen.
(Pour mémoire : Pourquoi des travaux publics sur un site contesté ?)
Concernant le projet présumé (dont les contours sont encore flous, précisons-le) sur le port de Dalyeh, le communiqué évoque la nécessité, vu l'importance du site, de fournir une étude d'impact environnemental, comme précisé dans le code de l'environnement, la loi n° 444 votée en 2002, et conformément au décret
n° 8633, adopté en 2012 (qui réglemente de telles études).
De manière plus générale, la campagne souhaite que toute la zone dix de Beyrouth (qui va de Raouché à Ramlet-el-Baïda) soit réorganisée. Et pour cela, il faudrait, selon le texte, revenir au plan directeur de 1954 qui interdisait toute construction, quelle qu'elle soit, le long du littoral de Raouché. Dans la même veine, les militants préconisent l'annulation du décret 4810 datant de 1966, ainsi que ses amendements datant de 1989, qui ont ouvert la voie vers des constructions sur ce littoral.
(Pour mémoire : « Ils nous ont dispersés de force », accusent les manifestants de Dalyeh)
« Je veux ce qui me revient de droit »
Les organisateurs de la campagne se sont également adressés au « peuple de Beyrouth », l'appelant à « exercer son droit d'accès libre à la mer ». Et c'était exactement l'état d'esprit des manifestants hier. « Je viens en tant que citoyenne défendre mon droit aux lieux publics, déclare Dalia, jeune sociologue et urbaniste, membre de la campagne. Je veux reprendre la propriété de ce qui me revient de droit. »
Dalia dit avoir été très attristée de savoir que certains ont l'intention d'altérer le voisinage de la grotte aux pigeons, cet emblème national. « Ils prétendent ainsi moderniser la ville, mais tout ce qu'ils font est de la privatiser, poursuit-elle. De quel droit privent-ils le peuple libanais, et les touristes par le fait même, de cette portion du littoral, pour en réserver la jouissance à une centaine de personnes seulement ? »
Mohammad, un jeune homme de trente ans, dit craindre que « le site de Dalyeh ne soit fermé aux moins nantis ». « Les plages publiques deviennent une denrée rare, dit-il. S'ils veulent y investir, qu'ils organisent le littoral mais dans l'intérêt public. »
Le jeune Rakan, tout juste vingt ans, est un pêcheur de Dalyeh, venu se solidariser avec la campagne. Il confirme que les compagnies continuent de parlementer avec les familles de pêcheurs, « mais les prix qu'ils nous proposent sont ridicules, ils ne nous permettraient pas de nous installer ailleurs ». Pour lui, « il serait préférable que l'espace reste public de toute façon, sinon où iraient tous les baigneurs et les vacanciers qui s'y rendent tous les week-ends ? »
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09 h 49, le 12 mai 2014