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Entre ténèbres et lumière, le parcours des prisonnières - Témoignage

Hala : « La machine à broyer l’individu prend tout son sens dans ces lieux »

Les femmes détenues sont quasiment « invisibles » et leurs souffrances, leurs vies, leur sort n'intéressent pas grand monde.

« Souvent, faute d’espace, nous passons des nuits entières allongées sur le côté », raconte Hala.

Grâce à une autorisation spéciale accordée par le procureur général près la Cour de cassation, le juge Samir Hammoud, l'une d'elles, Hala (42 ans), condamnée pour le meurtre de son mari, accepte de prendre la parole pour celles qui ne l'auront probablement jamais, afin de témoigner de l'indifférence générale vis-à-vis des conditions de détention déplorables et raconter dans cet « espace de liberté » sa vie de l'intérieur du monde carcéral.
« Nous sommes 18 personnes dans 20 m2, un chiffre qui peut arriver à 22 dans une salle qui ne devrait contenir en principe qu'une dizaine de détenues. Souvent, faute d'espace, nous passons des nuits entières allongées sur le côté », explique-t-elle.
Priée de dire si les conditions de détention se sont quelque peu améliorées au fil des ans, elle répond : « Nombreuses sont les associations qui œuvrent de plus en plus à améliorer la qualité de vie en prison, qui accompagnent les détenues, les aident et les préparent à une réinsertion sociale. Néanmoins, les conditions restent lamentables, oppressives et déprimantes. Aucun mot ne peut qualifier exactement ce qu'est la détention dans les prisons. »

 

Un poids psychologique lourd
Selon Hala, aux conditions carcérales difficiles, il faut ajouter le poids psychologique de la détention qui est beaucoup plus lourd pour les femmes. Elle souligne ainsi que « les femmes sont beaucoup plus vulnérables face à cette épreuve, à l'humiliation des fouilles entreprises de temps à autre par les gardiennes qui portent atteinte à la pudeur ». « Elles sont fragilisées davantage lorsqu'elles sont mères et qu'elles sont séparées de leurs enfants, d'autant plus qu'elles reçoivent généralement moins de visites de leurs époux, de leurs familles qui les rejettent fréquemment, et se retrouvent de ce fait isolées dans leur incarcération », note-t-elle. Elle parle en connaissance de cause : « Ma famille m'a complètement rejetée. Démunie, je dois me contenter occasionnellement d'un appel téléphonique dû à la générosité d'une codétenue. Psychologiquement, affectivement, il n'y a que le désespoir. La machine à broyer l'individu prend tous son sens dans ces lieux ».
Qu'en est-il de la violence au féminin ? La réponse ne tarde pas : « Elle est différente de celle des hommes, plutôt verbale, sournoise, calculée. La violence entre codétenues est quotidienne au sein de la prison. Il n'est pas rare que la jalousie cède le pas à une violence physique qui n'a rien à envier à celle de "la gent masculine" », raconte-t-elle.
Les détenues essaient tant bien que mal d'améliorer leurs conditions de détention avec le peu de moyens dont elles disposent et de rester du moins nettes. « Rien n'est gratuit en prison. Les produits hygiéniques les plus élémentaires ne sont fournis qu'en rémunération de plusieurs heures de travail et d'exploitation (broderie, couture, ménage, cuisine...), d'où d'importantes lacunes au niveau de l'hygiène personnelle. La réparation d'un robinet d'eau chaude par exemple nécessite la contribution financière de toutes les détenues », explique Hala.
Après un parcours en prison, serait-t-il facile de retrouver la liberté ? Garde-t-on nécessairement des séquelles ? « Tour à tour, des tas d'émotions, des phases de dépression et d'occasionnels espoirs font surface. C'est derrière les barreaux que j'ai réalisé ce que "liberté" voulait dire. J'ai compris sa valeur. Un sentiment d'ivresse nous envahit à l'idée de recouvrer la liberté, de briser les chaînes. Mais très vite, le rêve cède la place à la dure réalité : affronter le regard des autres, d'une société qui n'oublie pas, qui ne pardonne point. On n'en ressort jamais indemne. Je suis stigmatisée, marquée au fer rouge de la misère, de l'humiliation, de la révolte. Il faut donner du temps au temps, énormément d'amour et de compassion pour émerger de cet enfer. »

 

« Je crie mon désespoir »
A-t-elle un message a faire parvenir au « monde extérieur » ?
« Je crie mon désespoir, mon impuissance et ma révolte. Faute d'argent, la grande majorité de la population carcérale subit la lenteur de la procédure judiciaire, l'injustice, l'inconscience, le laxisme de certains avocats (nommés par les autorités judiciaires), de certains magistrats dépourvus de scrupules. Elle attend le procès ou parfois l'acquittement des mois, voire des années. Il est inadmissible par exemple de passer une douzaine de mois en prison pour un chèque sans provision en attendant la condamnation qui ne dépasse pas en principe les trois mois de détention. Les principes relatifs aux droits de la défense sont rarement respectés, ce qui crée un climat de forte tension, de soulèvement, de rébellion extrêmement stressant et démoralisant pour les détenues qui éprouvent encore plus de mal à accepter leur incarcération, à supporter l'attente indéfinie. »
Hala poursuit : « Par ailleurs, je reconnais que certaines femmes, dont moi-même, méritent d'être punies et mises à l'écart des personnes auxquelles on a fait du mal. Je n'excuse pas les coupables. Je m'acquitte de ma dette sociale et je purge ma peine. Mais en contrepartie, je réclame haut et fort l'amélioration des conditions d'enfermement qui sont inhumaines et avilissantes, le droit au respect de la dignité et le droit à une nouvelle chance. »

Grâce à une autorisation spéciale accordée par le procureur général près la Cour de cassation, le juge Samir Hammoud, l'une d'elles, Hala (42 ans), condamnée pour le meurtre de son mari, accepte de prendre la parole pour celles qui ne l'auront probablement jamais, afin de témoigner de l'indifférence générale vis-à-vis des conditions de détention déplorables et raconter dans cet...