Le suspense semble s'estomper petit à petit par rapport à l'échéance présidentielle, et les espoirs de voir émerger un nouveau chef d'État d'ici à demain sont devenus quasiment nuls. Certes, l'obligation pour le Parlement de poursuivre ses efforts pour pourvoir au poste de la première magistrature pèse toujours, mais la vacance et le vide conséquent – tant redouté - deviendront on ne peut plus réels.
Les conséquences de cette vacance à la tête de l'État ont d'ailleurs commencé à pointer en amont, le bloc du Futur ayant envisagé dès hier soir l'éventualité de boycotter les séances parlementaires prévues dès mardi prochain, quand bien même elles ne sont pas constitutionnellement autorisées, en dehors de tout autre exercice que celui d'élire un nouveau chef d'État, selon plusieurs avis.
L'hémicycle sera très probablement boudé également par l'ensemble des chrétiens – CPL et FL confondus cette fois-ci –, dira pour sa part l'analyste politique Antoine Constantine. Ce dernier reste convaincu que les chrétiens, bien qu'ils soient en compétition dans le cadre de la course à la présidence, n'accepteront pas la paralysie des institutions politiques et, à leur tête, celle de la présidence, ainsi que ses effets pervers.
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C'est ce qui fera dire d'ailleurs à une source informée – également convaincue que le pays n'aura pas un président de sitôt – que le vide politique ne doit pas être interprété dans un sens restrictif applicable seulement à la présidence de la République. « Le vide politique n'est pas un fait ponctuel en lui-même, mais un véritable syndrome de la vie politique libanaise, désormais érigé en culture nationale depuis pratiquement le retrait des forces syriennes du Liban. »
La source égrène à ce propos la série de « vides successifs » qui ont ponctué la scène politique libanaise depuis plusieurs années déjà, que ce soit au niveau des nominations à la tête de l'armée, du service des renseignements, au sein de l'appareil judiciaire ou de l'administration dans son ensemble, ou au niveau du pouvoir exécutif, avant la naissance, au forceps une fois de plus, du dernier gouvernement, « fruit d'une entente, et de pressions régionales et internationales par excellence ».
Un syndrome qu'il faut analyser comme étant la résultante du conflit stratégique qui s'est radicalisé au cours des dernières années – entre l'Occident et l'Iran principalement –, d'une part, et, d'autre part, à l'ombre de l'absence d'un médiateur externe « influent ». Ce dernier, rappelle la source, avait pour fonction de parer aux dysfonctionnements du système, et à ses vides politiques et institutionnels en l'occurrence.
Car, ajoute la source, après la levée de la mainmise syrienne qui remplissait ce rôle, la médiation n'est désormais plus centralisée mais disparate, les acteurs internationaux influents étant devenus pluriels sur l'échiquier libanais.
D'où la difficulté pour ces forces morcelées, voire opposées, de s'entendre sur un seul mot d'ordre lorsque les échéances se font pressantes. À l'exception près de la formation de ce dernier gouvernement, né suite à un compromis international survenu 9 mois plus tard seulement, « pour parer précisément à un éventuel vide escompté au niveau de la présidence », assure la source.
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Antoine Constantine ne cache d'ailleurs pas ses craintes de voir la crise de la vacance présidentielle se transformer en une véritable crise de régime, d'autant qu'il « n'existe aucun mécanisme constitutionnel qui puisse trancher cette impasse ».
En effet, rien n'oblige les députés à faire acte de présence à l'hémicycle pour s'acquitter de leur devoir éthique et national. Pas de texte non plus qui les contraint à le remplir, rappelle-t-il.
Selon lui, l'échec des élections d'un chef d'État ne peut pas être imputé à la compétition entre les différents candidats chrétiens – qui est un signe de santé démocratique partout dans le monde –, mais plutôt aux symptômes d'une maladie endémique du système politique pris dans son ensemble et qui ne pourra survivre sainement s'il ne subit pas, entre-temps, quelques réformes profondes.
Le problème, poursuit un expert constitutionnel, est la « dictature d'un système non pas parlementaire comme on l'appelle communément, mais plutôt parlementariste » dans lequel le Parlement monopolise aussi bien l'élection présidentielle que la formation du gouvernement après « l'imposition », suite aux consultations parlementaires que le président est contraint d'effectuer, d'un Premier ministre.
« Inutile de rappeler le bazar auquel se livrent les blocs parlementaires en s'étripant pour arracher, à chaque fois, une plus grosse part au sein de l'exécutif », affirme la source.
Celle-ci tient à rappeler au passage que les desiderata des 128 députés sont en définitive accaparés par 6 ou 7 grandes personnalités politiques qui gouvernent les blocs, laissant une marge de manœuvre et d'indépendance presque nulle aux représentants de la nation, pris individuellement.
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Autre élément de blocage du système, renchérit M. Constantine, les vetos mutuels que détiennent, de par la Constitution, les trois « présidents » : le chef de l'État dans une moindre mesure, et les chefs du législatif et de l'exécutif.
En effet, le président de la Chambre a le pouvoir de décider, unilatéralement, de la tenue des sessions parlementaires – un pouvoir qui se transforme par moments en une véritable dictature qui peut aller jusqu'à la fermeture arbitraire des portes de l'hémicycle. À son tour, le Premier ministre désigné dispose constitutionnellement d'un délai indéfini pour la formation du gouvernement.
Bref, autant de failles qui nécessitent en toute urgence des solutions par le biais d'amendements constitutionnels ponctuels, soutient l'analyste.
Sans aller jusqu'à avaliser la proposition prônée par le Hezbollah de mettre en place un « comité fondateur », ni une refonte radicale des accords de Taëf, Antoine Constantine rappelle que la Constitution nécessite, aujourd'hui plus que jamais, des remèdes pour rectifier les déséquilibres en présence, notamment au niveau des prérogatives du président de la Chambre « qui doivent être revues à la baisse ».
Les solutions doivent également englober un renflouement des prérogatives du chef de l'État, dont le mode d'élection devrait être reconsidéré à la lumière d'une participation du peuple libanais, qui, en définitive, reste complètement écarté de l'opération de désignation de l'arbitre suprême de la nation, dit-il.
Il s'agit, dit M. Constantine, de réfléchir par conséquent à la possibilité de son élection au scrutin universel, à deux tours : le premier exclusivement consacré aux électeurs chrétiens qui choisiront dans le tas, le second à l'ensemble des électeurs de la nation qui viendraient trancher la sélection préalablement effectuée par les chrétiens.
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LA LIBRE EXPRESSION
14 h 48, le 25 mai 2014