Il y a vingt-six ans, l'émissaire américain Richard Murphy, venu à Damas écouter le point de vue du président syrien Hafez el-Assad au sujet de la présidentielle libanaise prévue cette année-là, sortit de ses entretiens avec le constat suivant : « Ce sera Mikhaël Daher ou le chaos. » À l'époque, deux hommes, que tout opposera par la suite, se liguèrent pour faire barrage au candidat de la Syrie : Michel Aoun et Samir Geagea. Damas tint parole : ce fut le chaos !
Un quart de siècle plus tard, l'ancien député du Akkar est hors concours, tout comme son ex-mentor, d'ailleurs, et le successeur de ce dernier. Cette fois-ci, ce sont nos deux hommes forts maronites qui sont candidats à la présidence : l'un déclaré, l'autre sous-entendu. Et le chaos menace encore !
L'échec de la cinquième tentative, hier, d'élire un nouveau chef de l'État ouvre la voie à une vacance au niveau de la première magistrature du pays à l'aube du 25 mai, après que le président Michel Sleiman aura quitté le palais de Baabda. Mais ce qui s'annonçait jusqu'ici comme une situation sous contrôle, prévue par la Constitution, risque d'évoluer rapidement en un inconnu très menaçant pour l'ensemble des institutions politiques du pays. Il ne s'agirait plus d'une simple « vacance » à la présidence, comblée à titre intérimaire par le Conseil des ministres, mais plutôt d'un vide plus ou moins total qui s'installerait dans tous les pouvoirs.
D'ores et déjà, on entend de nombreuses voix annoncer qu'au cas où un président n'était pas élu avant la fin du mandat Sleiman, les députés chrétiens des deux camps boycotteraient les séances législatives de la Chambre à partir de la semaine prochaine, afin, en quelque sorte, que la vacance soit symboliquement partagée par les autres composantes du pays. Le bloc du Futur pourrait d'ailleurs s'associer à ce boycottage, neutralisant ainsi le pouvoir législatif « chiite ».
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Dès lors, on peut s'attendre à ce que, le cas échéant, la séance parlementaire consacrée à la grille des salaires convoquée par le président de la Chambre, Nabih Berry, pour le mardi 27 mai, et que de nombreux juristes estiment contraire à la Constitution, soit renvoyée faute de quorum... avec les conséquences que l'on peut imaginer au niveau de l'agitation sociale. C'est d'ailleurs à se demander si le choix de la date pour cette séance ne cachait pas, à la base, une intention de mettre face à face certains blocs parlementaires et la rue.
Mais ce n'est pas tout. Dans les milieux aounistes, on brandit également la menace d'un retrait des ministres du CPL du gouvernement, ce qui pourrait conduire à une paralysie totale de l'exécutif dans sa double dimension ministérielle et présidentielle.
On n'en est pas encore là, il est vrai. Il faudra attendre une conférence de presse annoncée du général Michel Aoun, lundi, pour en savoir davantage. Dans l'intervalle, les analystes se perdront certainement en conjectures sur les tenants et aboutissants de la stratégie du bloc du Changement et de la Réforme qui, après avoir été aux côtés du Hezbollah le principal acteur du défaut de quorum des séances électorales successives, s'apprête à « punir » la République pour avoir échoué à élire un président.
En fait, il ne s'agit pas, aux yeux du CPL, d'élire n'importe quel président. Nul dans les milieux aounistes n'a jusqu'ici fait la moindre allusion sur la possibilité pour le général de se désister en faveur d'un quelconque allié, alors qu'en face, M. Geagea a laissé la porte ouverte à une candidature alternative du 14 Mars si elle est en mesure d'emporter davantage de suffrages.
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De plus, le chef du CPL continue de se poser en candidat « consensuel » : il a clarifié mercredi sa pensée à ce sujet en revendiquant pour lui-même et les chrétiens le tiers de la République, les deux autres tiers revenant, selon lui, à Saad Hariri au nom des sunnites et à Hassan Nasrallah au nom des chiites.
Mais ce « triumvirat » qui, soit dit en passant, exclut cavalièrement pas mal de monde, n'est qu'une vue de l'esprit. Il y a certes eu d'importants progrès dans les discussions entre le CPL et le Futur, notamment sur le plan de l'action ponctuelle du gouvernement en place, mais on est loin, très loin, de la configuration que le général Aoun tente de suggérer, surtout en ce qui concerne la présidentielle.
Jusqu'ici, l'équation haririenne proposée au général est la suivante : pas de veto à sa candidature, certes, mais une exigence préalable claire : le consensus interchrétien sur cette candidature. Pour l'homme de Rabieh, c'est donc un retour à la case départ.
De plus, le chef du Futur se demande pourquoi il lui reviendrait à lui d'être plus royaliste que le roi et de parrainer la candidature de Michel Aoun à l'heure où ni le Hezbollah ni surtout M. Berry ne l'ont fait. Nombre d'observateurs, se fondant notamment sur les affirmations de diplomates occidentaux, continuent d'être persuadés que tout comme il avait réussi en janvier 2011 à imposer Nagib Mikati à la présidence du Conseil, et forcé Walid Joumblatt à l'entériner, le Hezbollah aurait pu obtenir le même résultat en soutenant ouvertement la candidature du général Aoun à la présidence. S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il ne le veut pas et qu'il recherche en réalité le vide institutionnel pour un double objectif : donner à l'Iran une bonne carte de négociation et, à l'intérieur, contraindre tout le monde à aller vers la Constituante.
Et ces mêmes diplomates de conclure : oui, mais le général Aoun, lui, continue de faire le lit de la politique du Hezbollah...
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commentaires (13)
Les députés Aounistes subiront le même destin (politique) que les militaires qui ont fait confiance à Aoun il y a 24 ans...Quant au citoyen ordinaire qui voit en Aoun encore l'homme de 1990... Il est dans l'obscurantisme total...faire confiance à cet homme c'est suicidaire...c'est un mutant politique idéologique par opportunisme ... Il n'a jamais rien accompli de sa vie sinon abuser de la confiance qui lui a été accordé ... C'est un populisme aveugle et ignorant... On dirait les allemands en 1934...Que le sort nous en protège ! Les maronites n'ont jamais eu besoin de lui pour exister ou se défendre ...il n'a apporté aucune valeur ajoutée au Libanais ... Son existence politique est un accident de l'histoire... Heureusement que sur le chemin de Aoun il y a eu et il y a encore Geagea qui lui au moins il a muté dans la bonne direction ... Mais si les deux pouvaient s'assoir en tête à tête et se mettre d'accord sur l'écriture de leur histoire... On leur dira merci ! Adieu! La meilleure chute pour leur histoire peut se faire au parlement ...ils obtinrent une cinquantaine de voix et ne sont jamais devenus présidents ... Jamais est le bon mot commun qui réunira les deux ...plus tard ... En espérant pas trop tard
CBG
14 h 04, le 24 mai 2014