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Géométrie élémentaire

Vous le saviez depuis l'école déjà : un triangle équilatéral est fait de trois côtés rigoureusement égaux. Au plan strictement graphique, est-ce bien le cas de cette figure, tenue pour parfaite et même idéale, que traçait mercredi le maronite Michel Aoun, et dont il se partageait les angles avec le sunnite Saad Hariri et le chiite Hassan Nasrallah ? Et même si cela était, une telle configuration serait-elle vraiment le remède à la méchante, la douloureuse arthrite dont souffre la formule libanaise ?


Audacieuse est la démarche du chef du CPL. Cependant – et qu'on n'y voie aucune malice –, elle pèche d'abord par immodestie. Car si Saad Hariri et Hassan Nasrallah, chacun à sa manière, peuvent raisonnablement se poser en leaders quasiment incontestés de leurs communautés, nul chef chrétien ne bénéficie d'un tel degré d'homogénéité sociopolitique. Qu'ils s'en lamentent ou qu'ils y voient au contraire un signe de démocratie, c'est en rangs dispersés que se présentent les chrétiens : deux hommes forts, deux fortes têtes se détachant du lot et qui, un quart de siècle après, n'ont pas encore fini de vider leur querelle. Le général Aoun est bien le détenteur du bloc parlementaire chrétien le plus important ; mais à cette réalité, ses adversaires objectent que, bien que fortes du soutien électoral du Hezbollah, ses troupes n'ont recueilli que la moitié à peine des suffrages chrétiens lors des dernières législatives.


Voilà pour l'arithmétique, revenons à la géométrie. Pour commencer, l'idée même d'un tel triangle n'est guère nouvelle et elle suscite, de surcroît, trop de mauvais souvenirs : entre autres, celui de cette troïka bancale mise en place par un occupant syrien attisant – puis arbitrant – les inévitables tiraillements pour mieux régner. En second lieu, elle ouvre inconsidérément les portes de la république sur l'inconnu tout en faisant miroiter le mirage d'une idyllique entente entre chefs absolus engageant souverainement l'intégralité de leurs tribus religieuses et assumant librement, sans influence étrangère, leurs responsabilités nationales.
L'inconnu, le tristement célèbre Triangle des Bermudes, théâtre de tant de naufrages, c'est l'intention prêtée au Hezbollah d'œuvrer méthodiquement à la paralysie des diverses institutions, à seule fin d'imposer une répartition du pouvoir, par tiers égaux, entre chrétiens, sunnites et chiites : une telle mise en terre du principe de la parité islamo-chrétienne devant alors être confiée à une assemblée constituante. Or, s'il est vrai que les bouleversements et expériences des dernières décennies commandent certains réajustements – on pense notamment à plus d'une faille dans l'accord de Taëf –, le contexte ne se prête en aucun cas à un réaménagement de fond en comble. On ne mise pas aussi gros quand les cartes sont truquées, on ne négocie pas un revolver pointé sur la tempe, ni sous la pression d'un vide programmé.


Cela étant, qu'advient-il donc du soutien non encore formellement déclaré, mais seulement présumé, du Hezbollah à la candidature du général à la présidence ? Et en excluant bruyamment toute élection d'un président qui ne serait pas entièrement gagné à sa cause, qui ne cautionnerait pas à fond son armement devenu le premier objet de discorde entre Libanais, ce parti n'est-il pas en train de saboter objectivement les efforts d'un allié s'escrimant à se poser en présidentiable de consensus, accepté de tous ?


Équilatéral, isocèle ou rectangle, c'est de la quadrature du cercle que tient en définitive le singulier triangle du général.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Vous le saviez depuis l'école déjà : un triangle équilatéral est fait de trois côtés rigoureusement égaux. Au plan strictement graphique, est-ce bien le cas de cette figure, tenue pour parfaite et même idéale, que traçait mercredi le maronite Michel Aoun, et dont il se partageait les angles avec le sunnite Saad Hariri et le chiite Hassan Nasrallah ? Et même si cela était, une telle...