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Liban - Liban

Le retour des déplacés de Brih scelle la réconciliation entre frères ennemis

Samedi, une cérémonie rassemblant le président de la République, Michel Sleiman, le patriarche maronite Béchara el-Raï et le chef du PSP Walid Joumblatt a été organisée à Brih pour marquer le retour des déplacés du village. Ils sont les derniers à revenir au Chouf, déserté de ses chrétiens durant la guerre de la Montagne, en 1983.

Prière pour les victimes des massacres de 1983.

« Non, je ne suis pas originaire de Beyrouth. Je suis d'ici, de Brih. Cette terre est à moi », indique Tony Hassoun, 39 ans, à une personne qu'il vient de croiser alors qu'il descend de sa voiture. Tony a quitté son village en 1983 quand il avait 8 ans. Samedi, pour la première fois, il revenait chez lui. Très vite, il retrouve ses cousins. L'un d'eux est né à Beyrouth et découvre Brih pour la première fois.


Tony entre dans sa maison, évacuée la veille par les voisins druzes. Il retient son souffle, inspecte chaque chambre vide, les murs, le plafond, le carrelage. Il prend son téléphone portable et commence à filmer. « Je n'oublierai jamais ce moment », dit-il. L'instant est émouvant, presque solennel ; les trois cousins ne se parlent pas, marchent dans l'espace comme pour se le réapproprier.
« Au rez-de-chaussée, il y avait mes grands-parents, nous habitions au premier étage. Je ne me souviens presque de rien », indique Tony en redescendant les marches pour regagner le chemin menant à la place du village. Le père de Tony, qui était agriculteur, est mort en attendant le retour à Brih.


Le groupe de cousins croise d'autres parents membres de la famille, parmi lesquels la mère de Tony, Vahena, qui porte toujours le deuil de son mari. Une famille druze est sur sa terrasse ; l'une des femmes interpelle le groupe. « Soyez les bienvenus au village », dit-elle. Le groupe s'approche, les anciens voisins se reconnaissent, engagent la conversation avec beaucoup de retenue.
Vahena poursuit son chemin avec ses proches et indique d'une voix à peine audible : « C'étaient nos amis. Je ne les ai pas tous reconnus... Il nous faudra du temps pour classer le passé et revivre ensemble. »


Le groupe continue à marcher, grossit petit à petit et arrive à ce qui était le quartier de la famille Hassoun. À l'instar des autres quartiers du village, nombre de maisons ont été dynamitées, transformées en un amas de pierres, d'autres sont encore debout, mais la plupart d'entre elles ont besoin de beaucoup de travail pour redevenir ce qu'elles étaient avant le départ de 1983.
« Maman, regarde, le vignoble est toujours là... » Un homme d'une quarantaine d'années interpelle sa mère, montrant le vignoble qui ombrage la terrasse d'une maison fraîchement abandonnée. C'est là où il avait passé les premières années de sa vie. Il retourne sur ses pas, cherche quelque chose, ne le trouve pas. Le figuier tout comme le puits qu'il ombrageait ont disparu.


Michel Hassoun, âgé d'une soixantaine d'années, franchit la terrasse et se dirige vers un champ, une sorte de terrain vague, avec des amas de pierres, vestiges des maisons détruites. Habillé d'un complet, il s'avance dans les herbes folles. « C'est la première fois que je retourne au village depuis 1977. J'étais témoin du massacre de l'église. Regardez ma maison, c'est le tas de pierres là-bas », dit-il, montrant un amas de pierres blanches à moitié couvertes de végétation sauvage. « Je reconstruirai petit à petit. C'est ma terre et je rentre enfin chez moi », dit-il.

 

Des pétales de fleur pour Michel Sleiman
Toute la République était présente à cette cérémonie. Avec le retour des chrétiens de cette localité du Chouf, une page de la triste histoire de la guerre du Liban est tournée.
Dès 9 heures, les chrétiens du village, qui vivent depuis plus de trente ans à Beyrouth, au Metn et au Kesrouan, ont commencé à affluer, alors que l'armée était déjà sur place pour assurer la sécurité du chef de l'État Michel Sleiman, qui a tenu à clore le dossier des déplacés avant la fin de son mandat. Étaient également présents le chef du PSP Walid Joumblatt, la ministre des Déplacés Alice Chaptini, le patriarche maronite Béchara Raï, et nombre de ministres, de députés et de religieux chrétiens et druzes
Acclamé par la foule, le président de la République a été reçu par des pluies de pétales de fleur. Pour les chrétiens de la localité, c'est à lui qu'ils doivent leur retour.


La cérémonie officielle s'est tenue à l'emplacement de la Maison druze, qui avait été construite durant la guerre sur des terrains appartenant à des chrétiens du village et détruite à coups de bulldozer il y a quelques années, grâce à l'intervention du chef du PSP.
Au programme de ces retrouvailles, l'inauguration de la nouvelle Maison druze et la pose de la première pierre des deux églises détruites du village, Saint-Georges et Saint-Élie.


Si Brih a été le dernier village du retour, c'est parce qu'il porte probablement l'une des histoires les plus lourdes de la Montagne. Les faits, tels qu'établis par les indications fournies par les habitants, eux-mêmes témoins des événements qui ont touché la localité entre 1977 et 1983, reposent sur trois facteurs : les massacres historiques de 1860, qui n'ont pas débouché sur une véritable réconciliation entre druzes et chrétiens ; l'assassinat de Kamal Joumblatt en mars 1977 qui avait conduit à des représailles menées par les druzes contre des villages chrétiens ; et l'invasion israélienne de 1982, qui avait joué sur la fibre minoritaire des chrétiens.


En septembre 1977, le village est témoin d'un premier massacre. Lors du quarantième d'un jeune médecin de la localité, Georges Chalhoub, vivant à Paris et rentrant à Brih pour rendre visite à ses proches, avait été tué à Aley à un barrage syrien. Lors des obsèques, des miliciens druzes entrent dans l'église Saint-Georges et tuent 15 personnes.
L'enterrement avait déjà provoqué des remous, notamment à cause des inscriptions sur les couronnes de fleurs envoyées par le Front libanais, « Bach Maroun », un caïd de guerre chrétien, et Bachir Gemayel.
Après le massacre, les chrétiens, qui constituent les deux tiers des habitants du village et qui possèdent 70 % des terrains, n'ont pas le temps d'évacuer leurs morts dont les corps ne seront pas sortis de l'église. Les cadavres seront entourés de linceuls et enterrés dans la crypte, sous l'autel. La communauté quitte le village, revient quelques mois plus tard. La situation était moins tendue.
En juin 1982, l'armée israélienne occupe le Liban. Ses alliés chrétiens des Forces libanaises pensent tenir le terrain à Aley et au Chouf. À Brih, plus de 200 combattants druzes sont tués. Le village est un champ de bataille. En septembre 1983, les Israéliens se retirent de la Montagne et leurs alliés chrétiens sont obligés de partir. Hommes, femmes, enfants et personnes du troisième âge iront à pied jusqu'à Deir el-Qamar avant de regagner Beyrouth-Est trois mois plus tard.
Onze chrétiens sont tués à Brih après le départ des Israéliens. Les églises et la plupart de leurs maisons sont dynamitées. Les tombes sont profanées et la route qui mène au cimetière est détruite. Dans la plupart des champs agricoles, les arbres fruitiers et les oliviers sont coupés. La situation est restée ainsi... jusqu'à samedi dernier, date du retour qui scelle une réconciliation entre frères ennemis.

 

(Lire aussi : Taëf, déclaration de Baabda, stratégie de défense Les trois orientations léguées par Sleiman à son successeur)

 

« Nous ne pouvons vivre qu'avec les chrétiens »
Samedi matin, avant la cérémonie, certains chrétiens, qui avaient repris le contact au fil des ans avec leurs voisins druzes et qui se rendaient parfois au village avant la réconciliation officielle, sont passés chez leurs anciens voisins pour prendre le café.


Sally el-Ali, la quarantaine, est parmi les hôtesses de la cérémonie officielle. « Ma voisine m'a tout de suite reconnue. J'avais sept ans quand elle était partie, mais je jouais tout le temps sur sa terrasse. Elle passait beaucoup de temps avec ma mère. À chaque Pâques, ma mère se rendait chez elle pour l'aider à cuisiner les galettes au lait de la fête », raconte-t-elle. « Mon oncle a été tué durant la guerre. Les chrétiens aussi ont eu leurs morts. Mais je suis sûre qu'avec de la bonne volonté, nous revivrons ensemble », dit-elle.
Un homme âgé d'une cinquantaine d'années, debout près d'elle, raconte : « Je me suis rendu devant la maison d'un ancien ami, Chucrallah Adwan. Nous faisions partie de la troupe musicale du village et je jouais de l'orgue. Il est parti avec la guerre. Nous avions 17 ans. Je l'ai aussi cherché dans la foule, mais je ne l'ai pas trouvé. »


Debout à leur terrasse, des femmes druzes lancent des fleurs en direction du cortège du président de la République et du chef du PSP. « J'habite à côté de l'église Saint-Georges. Avant la guerre, les dimanches d'été, nous attendions nos amis chrétiens à notre terrasse avec de la limonade. Ils passaient se rafraîchir après la messe », indique Fadwa el-Ali.
Nadima Abdelsalam, portant le voile druze traditionnel, souligne de son côté : « Nous avons toujours été bons voisins. Nous allions à leurs funérailles et ils venaient aux nôtres. C'est bien qu'ils reviennent. D'ailleurs, nous ne pouvons vivre qu'avec les chrétiens. »
Il faudra encore du temps pour mettre de côté le passé à Brih. Youssef Saouma, membre du comité chargé du retour, souligne qu'il faudra plus que « les trente millions de livres versées par le ministère des Déplacés pour chaque maison détruite pour que les chrétiens puissent vraiment revenir au village, reconstruire leurs maisons et se sentir vraiment chez eux. »


Le ministère à déjà consacré des sommes pour la reconstruction des deux églises. Les terrains agricoles seront prochainement restitués à leurs propriétaires initiaux et la route du cimetière chrétien sera reconstruite.
Rares cependant sont ceux qui retourneront définitivement. Habitués à la vie urbaine, les chrétiens de Brih, à l'instar de tous leurs coreligionnaires déplacés durant la guerre, passeront probablement des week-ends ou les vacances d'été dans leur village natal.
Rares aussi sont ceux qui osent rêver de l'avenir, imaginant que dans vingt ou trente ans, des enfants du village, druzes et chrétiens, joueront ensemble dans la fanfare locale ou encore que des femmes druzes attendront leurs voisines avec café et limonade à la sortie de l'église.

 

« Non, je ne suis pas originaire de Beyrouth. Je suis d'ici, de Brih. Cette terre est à moi », indique Tony Hassoun, 39 ans, à une personne qu'il vient de croiser alors qu'il descend de sa voiture. Tony a quitté son village en 1983 quand il avait 8 ans. Samedi, pour la première fois, il revenait chez lui. Très vite, il retrouve ses cousins. L'un d'eux est né à Beyrouth et...

commentaires (4)

L'initiative est bonne mais il reste malheureusement encore beaucoup d'entraves a une veritable reconciliation apres tant d'annees d'abus par l'hegemonie druze sur la region. Il est vrai que beaucoup de terrains et maisons doivent etre restituees aux chretiens de Brih mais il reste encore et surtout a debloquer les 45 milliards de LL du ministere des deplaces afin de concretiser les belles promesses et les discours de sourds.

K1000ch@gmail.com

16 h 13, le 21 mai 2014

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Commentaires (4)

  • L'initiative est bonne mais il reste malheureusement encore beaucoup d'entraves a une veritable reconciliation apres tant d'annees d'abus par l'hegemonie druze sur la region. Il est vrai que beaucoup de terrains et maisons doivent etre restituees aux chretiens de Brih mais il reste encore et surtout a debloquer les 45 milliards de LL du ministere des deplaces afin de concretiser les belles promesses et les discours de sourds.

    K1000ch@gmail.com

    16 h 13, le 21 mai 2014

  • A défaut de grives, on se rabat sur des merles !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 36, le 20 mai 2014

  • RÉCONCILIATION BORGNE ET ESTROPIÉE... CAR RÉCOMPENSANT LES ACCAPAREURS POUR LES BIENFAITS QU'ILS ONT FAIT EN ACCAPARANT LES MAISONS DES AUTRES ET EN LES CHASSANT, APRÈS EN AVOIR TUER UNE PARTIE... OU : LA DAMMOU-CRATIE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 17, le 20 mai 2014

  • C'est comme ca que le Liban est le plus beau pays du monde . Les immigres de l'interieur qui rentrent chez eux , sous la couverture d'un etat fort et respectable , respecte de tous , ses ennemis en 1er .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 32, le 19 mai 2014

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