Le Parlement libanais, réuni hier en séance plénière, a adopté le projet de loi sur les anciens loyers, mettant fin ainsi à un vieux débat qui refaisait surface soit à l'occasion d'élections législatives ou aussi, ce qui est pire, à la suite de l'effondrement d'un immeuble vétuste, comme ce fut le cas lors du drame du quartier de Fassouh, en janvier 2012, qui avait entraîné la mort de 27 personnes. Le comité pour les droits des locataires se bat depuis des années contre l'adoption d'une loi sur la libéralisation des loyers, mettant en garde contre l'expulsion de plusieurs dizaines de milliers de familles de leurs logements.
Il reste qu'il paraît très difficile de déterminer combien de ménages seront soumis au bouleversement survenu hier à la faveur de l'adoption du projet de loi. En l'absence d'estimations officielles, certains avancent le chiffre de 60 000 contrats et d'autres celui de 180 000.
Pas plus tard que lundi, les responsables du comité pour les droits des locataires ont publié un communiqué dans lequel ils brandissent la menace d'une « catastrophe humanitaire si la loi venait à être promulguée ». Le projet de loi avait provoqué la colère du comité qui avait lancé en février dernier un cri d'alarme concernant le sort de milliers d'anciens locataires.
C'est désormais chose faite. La commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, présidée par le député Robert Ghanem, en charge de ce dossier, a réussi à faire approuver le projet de loi au Parlement. Cette loi libéralise les anciens loyers c'est-à-dire les contrats de bail signés avant le 23 juillet 1992. Les décrets-lois n° 159 et 160, dits des « anciens loyers », avaient vu le jour à la fin de la guerre civile et prévoyaient un gel des contrats de location signés avant la date susmentionnée. Ces contrats de location ne tenaient donc pas en compte l'inflation, ni l'évolution des prix du marché, ni même l'effondrement de la livre libanaise, comme l'expliquait Bruno Marot dans une étude publiée par l'IFPO en 2012.
(Pour mémoire : Cri d'alarme des anciens locataires : « 180 000 familles se retrouveront à la rue »)
La confusion reste totale pour les experts
Dans les détails, la loi prévoit un mécanisme pour définir la valeur locative du bien équivalente à 5 % du bien en question. La méthode pour déterminer la valeur locative est très complexe. La hausse se fera ensuite de la manière suivante : les quatre premières années, la hausse sera équivalente à 15 % de la différence entre l'ancien loyer et la nouvelle valeur locative ; la cinquième et la sixième année, cette hausse sera de l'ordre de 20 % ; les trois années suivantes la valeur du loyer sera égale à la nouvelle valeur locative. À la fin de la neuvième année, le loyer sera libéralisé.
« Cela posera plusieurs problèmes » a indiqué à L'Orient-Le Jour Marwan Sakr, avocat à la cour. « Comment déterminer la valeur locative si les deux parties ne sont pas d'accord ? » a-t-il souligné, indiquant qu'immanquablement les experts engagés par les parties soumettront des estimations différentes. « C'est une confusion qui mènera à des hécatombes devant la justice », a-t-il affirmé, précisant que si la valeur locative est déterminée comme le prévoit le projet de loi, les anciens locataires seront victimes d'indemnités très basses.
Même son de cloche pour l'avocat Élie Assaf qui se penche depuis des années sur ce dossier. Rappelant que d'ici à ce que la loi soit appliquée (soit 6 mois), on ne sait pas à quelle loi se référer. « Les articles 32 et 55 du projet de loi approuvé au Parlement sont contradictoires, précise-t-il. L'un prévoit que l'on adopte l'ancienne loi durant la période de vacance de loi et l'autre prévoit l'adoption de la nouvelle loi pour résoudre les conflits entre locataires et propriétaires ».
Il souligne en outre que la confusion reste totale en ce qui concerne le décret-loi de février 2012 mis en place par l'ancien ministre Charbel Nahas. « La confusion reste totale en ce qui concerne la hausse des salaires et son adéquation à la hausse des loyers », indique-t-il. Certains avaient évoqué une hausse de 50 %, certains de 17 %, et d'autres encore de 12,8 % ou même 12,5 %, rappelle l'expert qui affirme que « la loi est trop compliquée ». « De plus, comment l'État va-t-il porter le poids du fonds prévu pour le soutien des plus démunis ? » s'interroge-t-il.
(Voir le texte de la loi sur la libéralisation des anciens loyers, via L'Agenda légal)
Un fonds pour venir en aide aux plus démunis
La loi prévoit effectivement la création d'un fonds rattaché au ministère des Finances et géré par la direction du Trésor qui servira à soutenir les ménages les plus vulnérables. Un comité formé par un juge et quatre membres, dont un représentant des locataires, un représentant des propriétaires, une personne nommée par le ministère des Finances et une autre par le ministère des Affaires sociales supervisera le fonds. Les ménages qui pourront bénéficier des aides de ce fonds, alimenté par l'État et des dons approuvés par le Conseil des ministres, sont ceux dont le revenu mensuel ne dépasse pas trois fois le salaire minimum, soit trois fois 675 000 livres. Les ménages non libanais ainsi que ceux dont le contrat de bail est soumis aux décrets 29/67 et 10/74 ne pourront pas bénéficier des aides de ce fonds.
Selon le projet de loi promulgué, les ménages désirant obtenir une aide devront présenter une demande dans un délai qui ne dépasse pas deux mois à partir de la date de la mise en application de la loi. Ils seront exemptés des hausses de loyer prévues le temps que le comité rende sa décision.
Les ménages dont le revenu mensuel ne dépasse pas deux fois le salaire minimum recevront tous les mois la différence entre l'ancien loyer et le nouveau. Ceux dont le revenu est compris entre deux fois le salaire minimum et trois fois obtiendront des aides en fonction de la décision du comité. Les ménages pourront renouveler annuellement leurs demandes d'obtention de ces aides.
Parallèlement, Me Assaf soulève le problème des biens classés. « Leurs propriétaires n'ont pas le droit d'expulser les locataires. Ils n'ont aucun intérêt à restaurer ces biens et les locataires n'ont pas les moyens de le faire », explique-t-il.
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Et pour les personnes âgées aux revenus très modestes , voir même sans revenus réels...que ce passe t'il ? seront jeté à la rue...? ou des réfugiés économiques dans leurs propre pays...? Par ailleurs, qui financera ce fond d'aide ...? Nos impôts...? ou une nouvelle taxe sur l'immobilier de luxe...?
10 h 16, le 03 avril 2014