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Nos Lecteurs ont la Parole - Par Maria KHOURI-HADDAD

Entre trois cultures

Voilà seize ans que je fais des aller-retour entre la Californie où je suis née et Beyrouth, la ville natale de mes parents. Seize ans de voyages et de comparaisons. Seize ans d'observations.
J'ai fait les voyages presque tous les étés; bébé d'abord en bassinnette puis en car seat et enfin en jeune passagère. J'ai traversé le Pacifique puis l'Atlantique pour atteindre la Méditerranée. Deux mondes très différents séparent mon point de départ de mon point d'arrivée. Los Altos n'a rien d'Achrafieh où je passe mes vacances d'été, fais un bain familial annuel et plonge dans une culture libano-française.
Née et élevée en Californie, ayant des parents américains d'origine libanaise francophones, j'appartiens à deux, sinon à trois cultures. Tantôt je suis une Américaine rebelle qui cherche continuellement à se libérer. Je rejette ma famille et dis non sans réfléchir, uniquement pour m'affirmer. Tantôt je suis une Libanaise cajoleuse qui aime se faire dorloter par ses grands-parents et se faire servir par la famille autour d'elle. Des fois encore, je chante la Marseillaise et ne réfléchis qu'en français.
Parfois je me sens une âme californienne qui aime la nature verte et le vent de l'océan. Parfois l'appel de l'eau salée de la Méditerranée se fait plus fort, et je ne rêve plus que des plages de mon Liban. Les pancakes américains du matin arrosés de sirop d'érable sont mes favoris, mais j'adore également les manakiche tout frais ainsi que les croissants français croustillants. Les burgers me mettent l'eau à la bouche tout comme les mezzés, le taboulé, et les brochettes de viande grillée.
À chaque voyage à Beyrouth, je pleure de voir les ruelles défoncées et cabossées de la capitale. Maintenant que j'ai commencé à conduire, je me demande comment je vais avoir le courage de le faire dans un tel décor. Je m'inquiète de savoir où je vais pouvoir garer. Mais plus je passe du temps à Beyrouth, plus la chaleur humaine que j'y retrouve me fait vite oublier le décor qui m'entoure qui me gêne quand j'atterris. C'est alors que les départs pour l'Amérique deviennent difficiles, même émotionnels.
Le Liban est au cœur d'un Moyen-Orient instable, et pourtant plus j'observe les personnes que j'y revois tous les ans, plus je réalise que leur situation est plus ou moins stable. Ma grand-mère va chez le même coiffeur depuis plus de soixante ans; mes cousins fréquentent les mêmes écoles depuis que je les connais; les hommes ont le même travail et personne ne change presque de maison. Même les emplyoés de maison, qui sont en principe engagés sur un contrat de trois ans, trouvent moyen de revenir chez leur employeur presque à vie. En un mot, si la guerre ne touche pas les habitants, leur vie semble comme un long fleuve tranquille. Même routine. Mêmes gestes. Mêmes
destinations.
J'ai 16 ans et j'ai déjà changé d'école six fois peut-être. J'ai même changé totalement de systèmes à plusieurs reprises : d'école Montessori en lycée bilingue franco-américain, d'école publique américaine en école privée franco-libanaise à Dubaï, je peux dire que j'ai navigué sur les systèmes d'éducation et les pays. Ma famille et moi-même avons déménagé plusieurs fois. Mon père a changé de travail à plusieurs reprises. La vie en Californie semble tellement fluide et pourtant la situation politique y est très stable. En vingt ans, ma mère a dû changer de coiffeur peut-être dix fois. C'est pareil pour les médecins. Nous avons dû changer de pédiatres plusieurs fois alors que, quand je reviens au Liban, c'est le même pédiatre que je retrouve tous les ans.
Les Libanaises semblent bien plus belles que les Américaines. Ce n'est pas parce qu'elles ont de plus beaux traits, mais vu l'aide domestique au Liban, elles ont plus de temps pour se faire belles. Elles peuvent aller souvent chez le coiffeur, se permettre plusieurs pauses pédicure et manucure, et n'ont pas à se réveiller aux aurores pour préparer le petit déjeuner ou même le déjeuner de leurs enfants. Aux États-Unis par contre, les femmes n'ont presque pas d'aide domestique. La journée commence par une course contre la montre : préparer petit déjeuner et déjeuner à prendre à l'école, déposer les enfants, revenir se doucher, faire les lits, la vaisselle du matin et, après avoir rangé la maison, il faut faire les courses pour préparer les repas. Après avoir cuisiné, il faut refaire la vaisselle quand sonne l'heure de ramener les enfants.
Depuis vingt ans qu'elle est en Californie, ma mère a tous les ans le même rituel avant son voyage pour Beyrouth : avant le départ, elle s'achète de nouveaux habits, passe chez le coiffeur, fait sa pédicure-manucure et redevient soudain une vraie femme. « J'avoue que je suis une machine pendant une dizaine de mois l'année, et c'est seulement quand approche mon voyage pour Beyrouth que je prends du temps pour prendre soin de ma personne », avoue-t-elle.
Certains diront que les médecins et les hôpitaux au Liban sont médiocres et qu'ils font des erreurs fatales, et d'autres soutiendront le contraire. Ma mère fait partie de ces derniers. Beaucoup de Libanais prennent l'avion pour consulter des médecins aux États-Unis ou pour se faire soigner. Depuis que mes parents vivent en Californie, ils se font soigner entre le prestigieux hôpital de Stanford et la prestigieuse PAMF ou Palo Alto Medical Foundation. Et pourtant, ma mère, elle, ne jure que par la médecine au Liban. Pendant des années, ma mère a consulté des médecins libanais tout en vivant en Californie. C'est tellement plus facile d'appeler un docteur au Liban et de lui poser des questions en dehors de ses heures de travail que de le faire en Amérique où il faut aller aux urgences. Au Liban, le médecin peut vous faire passer entre deux patients si vous n'avez pas de rendez-vous. Parfois même, vous pouvez l'appeler chez lui le soir. Aux États-Unis, c'est plus rigide. Mais de plus en plus, les Américains semblent imiter le système libanais. Une médecine de luxe est née où le patient peut contacter son médecin plus facilement. Cela s'appelle la « médecine de concierge ». Pour quelque 2000 dollars d'abonnement par mois, le patient américain peut maintenant avoir tous les privilèges du patient libanais.
Vous l'avez bien compris : je vis entre trois cultures et je suis une vraie adepte du Liban.

 

Voilà seize ans que je fais des aller-retour entre la Californie où je suis née et Beyrouth, la ville natale de mes parents. Seize ans de voyages et de comparaisons. Seize ans d'observations.J'ai fait les voyages presque tous les étés; bébé d'abord en bassinnette puis en car seat et enfin en jeune passagère. J'ai traversé le Pacifique puis l'Atlantique pour atteindre la...

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