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Liban - Polémique

Barrage de Hammana : le Conseil d’État décide l’arrêt temporaire des travaux

La municipalité assure que les travaux se poursuivent sur le site en dépit du jugement, alors même que le CDR, partie au procès, dit avoir pris acte du jugement et notifié le consultant.

Le site où devrait être érigé le barrage controversé, à Hammana, au-dessus de la source du Chaghour.

Après la pose de la première pierre du barrage dit de Qaïssamani dans la région de Hammana (source du Chaghour, Haut-Metn), une cérémonie accompagnée d'un sit-in de protestation des habitants de la région (voir L'Orient-Le Jour du 25 octobre 2013), les travaux ont été entamés sur le site. Mais les causes du mécontentement populaire sont restées les mêmes (risques sismiques, sol perméable et glissant, pertes au niveau de l'eau de la source du Chaghour qui alimente le village, etc.).

Le procès intenté par la municipalité de Hammana en Conseil d'État pour l'annulation du décret 8229 (sur la construction du barrage) a donné lieu, le 19 février dernier, à un jugement pour l'arrêt temporaire des travaux. Le texte de ce jugement considère aussi le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), chargé de la construction du barrage, comme partie au procès.

Le jugement du Conseil d'État se fonde entre autres sur une étude faite par des experts de l'AUB à la demande de la municipalité de Hammana (comme on peut le lire dans le texte du jugement). Cette étude « a tranché le litige autour des dégâts que pourrait causer (ce barrage) à l'eau de la source du Chaghour, des points de vue quantitatif et qualitatif, tout comme les risques potentiels de séismes au cas où le barrage et le lac artificiel seraient créés dans la plaine de Mghité », lit-on dans le texte. Ce paragraphe comporte également une mention concernant « le coût du projet qui a dépassé le plafond initial fixé par le Conseil des ministres sans que celui-ci ne soit consulté à nouveau ». Le texte du jugement évoque également « des obstacles techniques annuels répétés, au niveau du stockage tout comme au niveau de la conception du projet ».

Georges Farhat, avocat de la municipalité, explique à L'Orient-Le Jour que ce jugement « est un sursis à exécution des travaux le temps que le procès se termine ». Le jugement du Conseil d'État est contraignant, mais selon le responsable municipal Jean Abi Younès, les travaux se poursuivaient toujours hier sur le site du barrage. Interrogé sur ce point par L'Orient-Le Jour, Nabil el-Jisr, président du CDR, assure que « les travaux devraient être interrompus aujourd'hui (hier) parce que j'ai signé hier (jeudi) la lettre à envoyer au consultant ». « Nous n'avons été notifiés du jugement qu'il y a deux jours », ajoute-t-il.
M. Jisr poursuit : « Ce n'est qu'un jugement temporaire d'arrêt des travaux qui donne le temps à toutes les parties de présenter leurs documents afin que ceux-ci puissent être inclus dans le procès. »

Pour sa part, Me Farhat nous donne plus de détails sur la procédure. « Le jugement a été émis le 19 février, un jeudi, explique-t-il. Le ministère de l'Énergie et de l'Eau et le CDR sont notifiés par la réception d'une copie conforme du jugement par le Conseil d'État. En tant qu'avocat de la partie plaignante, je demande une copie exécutoire à remettre à la municipalité. En principe, le CDR et le ministère devraient exécuter le jugement dès qu'ils sont notifiés, sinon la copie exécutoire pourra être utilisée pour obtenir l'arrêt des travaux. » Et au cas où le jugement ne serait pas exécuté après toutes ces procédures ? « Dans ce cas, il nous restera deux options, poursuit l'avocat. Nous pouvons intenter un procès contre l'entrepreneur lui-même devant le parquet général. En dernier recours, nous ferons éclater le scandale dans les médias. »

Si le barrage rompt sous l'effet d'un séisme...
Cette polémique vieille déjà de plusieurs mois ne fait donc que s'envenimer. Antoine Jabr, ingénieur diplômé de Ponts et Chaussées originaire de la région, donne de plus amples détails sur les raisons techniques qui poussent les habitants de Hammana et la municipalité à s'opposer à ce barrage. « Il y a tout d'abord un risque sismique important dans la région, ce que confirment les cartes de sismicité publiées par le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), dit-il. Ce risque implique une possibilité d'effondrement du mur du barrage, ce qui entraînera une disparition des deux flancs de la vallée du Chaghour en contrebas. Les concepteurs du barrage n'ont fait aucune étude pour déterminer quel impact aura sur ces terrains un débit d'eau de sept mètres de hauteur sur une durée de quinze minutes... Il existe également une possibilité de coulées de boue. »

Par ailleurs, M. Jabr souligne les contradictions dans les estimations du CDR sur les pertes en eau de la source du Chaghour (qui alimente le village de Hammana) après la construction du barrage. « On nous assure que les barrages conçus par l'État devraient s'alimenter à partir de l'eau qui, en l'absence d'une infrastructure, irait à la mer, dit-il. Or ce barrage est situé juste au-dessus du bassin versant, ce qui signifie qu'une partie de son eau au moins proviendra des cours qui alimentent les nappes phréatiques. Selon quelle logique construire un barrage pour puiser dans une eau stockée naturellement dans les nappes souterraines afin de l'acheminer ailleurs ? »

M. Jisr balaie tous les arguments présentés par les détracteurs du projet. Pour lui, « des raisons politiques animent la campagne contre le barrage », refusant de donner plus de détails. Il rappelle qu'un autre projet de barrage avait été conçu avant celui-là sans provoquer la moindre opposition. « Les deux barrages, l'initial et le plus récent, sont situés dans le même bassin versant, dit-il. Nous avons juste déplacé le barrage de 200 mètres et augmenté sa capacité de 600 000 à un million de mètres cubes. Qu'est-ce qui justifie une telle campagne ? » Me Farhat nous apporte une réponse à cette interrogation. « Le premier site du barrage n'était pas dans la zone de protection du bassin même, or le second l'est, dit-il. La distance entre les deux est de 650 mètres et non de 200. De plus, nous étions très mal informés précédemment, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. »

Pour sa part, M. Abi Younès note les multiples contradictions et imprécisions dans les études présentées par le CDR et le ministère. Il insiste sur le fait qu'un même bureau, Liban Consult, a effectué l'étude pour le barrage et l'étude d'impact environnemental, cette dernière devant être réalisée par une partie neutre selon lui. En réponse, M. Jisr dément formellement que les études soient insuffisantes. « On nous a demandé plusieurs fois de mener des études, et nous l'avons fait », dit-il, se disant prêt à répondre par écrit à toutes les interrogations autour du projet.

Une alternative « qui garde la source intacte »
Pour répondre au CDR et au ministère de l'Énergie et de l'Eau, les détracteurs du projet à Hammana n'arrivent pas démunis. Antoine Jabr nous présente une alternative qui, selon lui, « apporterait aux villages supposés être alimentés dans l'avenir par ce barrage plus d'eau que ne le ferait une infrastructure exposée à un important taux d'évaporation et de fuites ».

« Nous proposons, poursuit-il, d'acheminer l'eau superficielle de plusieurs localités de la région, toutes riches en eau, vers des réservoirs en béton situés dans ces villages mêmes. Ces réservoirs ont une durée de vie qui égale au moins celle du barrage. La quantité d'eau ainsi partagée sera beaucoup plus importante que celle stockée dans un seul barrage coûteux. Cette solution permettra de garder intactes les sources de Hammana et d'éviter les dangers sismiques. »


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