Le sixième attentat à la voiture piégée qui vient de frapper le quartier de Bir Hassan, à quelques mètres seulement du Centre culturel iranien, démontre, une fois de plus et dans un langage des plus macabres, la vulnérabilité du Hezbollah dans son propre fief. Ayant prouvé des décennies durant son efficacité face à la puissance de feu de l'armée israélienne, l'une des plus sophistiquées du monde, le parti chiite est désormais de plus en plus fragilisé face aux méthodes archaïques employées par les jihadistes.
Pourtant, les multiples mesures de sécurité préventives prises dans le bastion du parti, en coordination avec les habitants, étaient destinées à prévenir toute attaque future et, à défaut, à atténuer un tant soit peu son impact et ses effets si elle devait avoir lieu.
Depuis les deux récents attentats qui se sont produits dans la rue commerçante Arid, à quelques mètres seulement du bureau politique du Hezbollah, le secteur a été transformé en véritable bunker.
Délimitant chaque coin de magasin, des murailles de sacs de sable ont été édifiées pour protéger les commerçants, mais aussi pour rassurer les clients.
(Pour mémoire : Psychose dans la banlieue sud de Beyrouth: un rappeur pris pour un kamikaze)
« Nous ne nous laisserons pas terroriser. Rien ne pourra nous déboulonner, nous resterons ici », lance Ibrahim, un sympathisant du parti chiite.
De la bouche de son collègue fuse un « non » catégorique dès qu'on lui demande si les attentats visant la banlieue sud ne sont pas l'équivalent d'une action punitive contre le Hezbollah pour son ingérence dans la guerre syrienne : « Les takfiristes avaient prévenu qu'ils viendraient s'en prendre à sayyed Nasrallah en plein cœur de sa banlieue, bien avant que celui-ci n'ait pris la décision d'aller combattre en Syrie », dit-il.
Ibrahim renchérit, reprenant mot pour mot la rhétorique du secrétaire général du parti, qui avait clairement signifié que ses combattants avaient été envoyés en Syrie dans le cadre d'une guerre préventive contre les fondamentalistes, pour les empêcher précisément de transposer leur combat au Liban, plus particulièrement dans les zones chiites. « Il a fait ça pour nous protéger », assure Ibrahim.
Adossé contre un mur de sac caché derrière une structure en bois « conçue de manière esthétique », le commerçant affirme détenir des armes à l'arrière de la boutique pour les utiliser « au cas où les terroristes devraient s'aventurer ici ».
Les armes, qui ne manquent pourtant pas dans ce périmètre, pourront-elles pour autant dissuader les véhicules de la mort, conduits par des jihadistes qui ne rêvent qu'à se faire tuer en emportant avec eux le plus grand nombre possible de civils ? Les habitants en sont bien conscients et multiplient les tactiques pour tenter de réduire, à leur strict minimum, les risques.
La montée en flèche des ventes de sacs de sable, combinés à certains endroits à des structures de citernes d'eau pour amortir les ondes de l'explosion, ne reflète que partiellement la stratégie de défense adoptée dans ce secteur.
Des chaînes en fer ont fait leur apparition tout au long des trottoirs, interdisant le stationnement, une mesure couplée de dispositions inspirées de la police de proximité. À chaque coin de rue, les habitants montent discrètement la garde et surveillent toute visite incongrue sur les lieux.
Plus explicites et fermes dans leur approche, des jeunes en tenue bleue à moto, vraisemblablement des membres du parti, interceptent le premier inconnu pour s'enquérir sur ses déplacements, son identité.
Ces artères populaires du quartier, réputées pour leurs embouteillages légendaires et leur fourmillement continuel, sont désormais boudées par les visiteurs aussi bien que par les locaux.
Si elle ne s'exprime pas toujours ouvertement et explicitement, la peur ici est latente, souvent refoulée, histoire de ne pas se désolidariser avec la résistance et, surtout, pour ne pas donner raison aux fous de Dieu qui sèment la mort dans ces parages.
Une immense banderole noire représentant le chef du parti chiite donne le ton : « Partout où tu iras, nous serons avec toi. »
(Pour mémoire : Le Hezb et les habitants de la banlieue sud en état d'alerte permanent)
Propriétaire d'un magasin de peinture, Mahmoud nous montre du doigt l'impact, à un mètre de la devanture, de l'explosion du 7 janvier dernier.
Le véhicule du kamikaze, qui cherchait vraisemblablement à atteindre le bureau politique du Hezbollah situé quelques mètres plus loin, a fini par actionner en toute hâte la charge explosive devant son magasin.
Lui et ses employés ont échappé par miracle à la déflagration qui a fait son lot habituel de morts et de blessés.
Assise à la caisse placée tout près de la vitrine, Loubna porte encore les traces psychologiques profondes du traumatisme vécu qui pèse bien plus que les quelques égratignures que l'explosion lui a provoquées au visage.
« La scène était terrible. Je ne pourrai jamais l'effacer de ma mémoire », confie la jeune employée.
Mahmoud, qui a pourtant remis à neuf son magasin, n'a pas pris la peine de protéger son commerce à l'aide de sacs de sable.
« L'explosion s'est produite devant nos propres yeux, et nous avons pourtant survécu sans les sacs de sable. Dieu nous protège », conclut Mahmoud qui ne cache pas son inquiétude face à la situation, d'autant que plusieurs habitants de l'immeuble en face « ont quitté le quartier ». « Il faut le reconnaître, les gens ont peur », dit-il.
Plus loin, un distributeur en gros de tabac nous explique comment l'étrange montage érigé devant le magasin – d'immenses citernes d'eau consolidées à l'arrière par des sacs de sable « pour renforcer la capacité d'amortissement du souffle de l'explosion et absorber les éclats d'obus » – a servi à attirer les badauds du quartier qui se sentent plus protégés chez lui que dans la rue.
Colorés de jaune paille, les citernes d'eau ont été affublées de petites fleurs et de motifs divers peints à la main pour atténuer le caractère lugubre du dispositif et transcender l'idée de la mort.
Un peu plus loin, l'on peut lire au bas d'un graffiti aux couleurs vives, exécuté sur un pan de mur : « Une belle leçon de patience. »
Un message qui fait clairement allusion à la philosophie propre à la communauté chiite, la patience étant devenue, plus que jamais auparavant, l'arme ultime pour lutter contre le désespoir vers lequel semblent vouloir la pousser, peu à peu, les jihadistes.
Le coup de bouc asséné une fois de plus, mercredi dernier, par un nouvel attentat à Bir Hassan est venu rappeler aux chiites, mais aussi à l'ensemble des Libanais, qu' ils auront besoin de bien plus que cette philosophie fondée sur la patience.
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commentaires (6)
Ennemi redoutable, oui OK ; mais "puissance" de ce hézébbb, là c'est un chouia exagéré SVP !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
14 h 27, le 22 février 2014