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Un souffle de normalité

Il ne répond sans doute pas à toutes les attentes. Et néanmoins, on est soulagé qu'il soit là enfin, au terme d'une gestation aussi longue que laborieuse.

Fruit d'une somme d'inévitables compromis, le nouveau gouvernement formé samedi peut surprendre d'abord par la joyeuse pagaille qui a présidé à l'exploitation de ses propres potentialités humaines. Ce gouvernement ne manque en effet ni de personnalités en tout point estimables ni de ces compétences ciblées que confèrent des carrières professionnelles bien remplies. Après dix mois d'âpres marchandages entre les blocs politiques, bien peu de ces hommes pourtant se trouvent là où il l'aurait fallu, in the right place, comme disent les Anglo-Saxons. Et encore moins de femmes : ce qui n'est que façon de parler, puisque le cabinet ne comprend qu'une seule, une unique représentante du sexe féminin. À cette juriste de grand renom a échu, comme par ironie, le ministère... des Déplacés !

Si ce gouvernement est tout de même bienvenu aux yeux de l'opinion publique, c'est en premier lieu parce que les concessions mutuellement consenties traduisent, à l'image du Premier ministre Tammam Salam, un souci de modération que l'on croyait totalement disparu. Du coup est rétabli un semblant de normalité dans un pays cruellement rattrapé, au plan de sa cohésion nationale comme de sa sécurité interne, par les terribles événements de Syrie. Sauf éclatement du cabinet (cela s'est déjà vu hélas, et même deux fois plutôt qu'une) voilà qui permet d'envisager avec un minimum de sérénité ces échéances cruciales que sont l'élection d'un nouveau président de la République et l'adoption d'une loi électorale.

Bien que voué à une existence limitée à quelques mois seulement, le gouvernement Salam vient rétablir salutairement aussi un équilibre politique rompu depuis trois ans. L'équipe de 24 ministres répartie en trois tiers égaux entre le 8 Mars, le 14 et les centristes prend en effet le relais d'un gouvernement quasiment monochrome dominé par le Hezbollah ; en prime, elle relègue aux oubliettes cette hérésie constitutionnelle qu'était, au sein des précédentes expériences, la minorité de blocage. Par voie de conséquence, c'est au Centre qu'il va appartenir de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, lors des futurs passages au vote en Conseil des ministres.

Quant aux pertes et profits des protagonistes, considérés en termes de ministères sensibles, le bilan n'échappe évidemment pas à la règle du donnant-donnant. Le 8 Mars s'assure ainsi plus d'un département à ressources, les Finances en tête. Si en outre le Courant patriotique libre, qui s'y refusait avec véhémence, est finalement dessaisi de l'Énergie, c'est tout de même à ses alliés du parti arménien Tachnag qu'est confiée la gestion des réserves gazières gisant au large des côtes libanaises. Et si l'enfant chéri du CPL est bien amené à quitter ce qu'il considérait comme sa chasse gardée, c'est un appréciable lot de consolation qu'il obtient avec les Affaires étrangères. Même en s'appliquant, il ne risque pas toutefois d'y faire autant de dégâts que son prédécesseur...

C'est sur un tout autre terrain, non moins important, que se rattrape le 14 Mars qui, avec les ministères de l'Intérieur, de la Justice et des Télécommunications, détient désormais trois leviers décisifs garantissant une coopération désormais sans faille, sans atermoiements ou faux-fuyants, sans sabotages, entre l'État et le Tribunal spécial pour le Liban statuant sur l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri. D'où sans doute la décision du général Jamil Sayyed, ancien patron de la Sûreté libéré pour insuffisance de preuves de rompre rageusement avec ses amis, soutiens et protecteurs du 8 Mars.

Au total, les inconnues sont encore nombreuses, certes : la moindre n'étant pas l'élaboration d'un programme gouvernemental traitant de questions aussi invariablement conflictuelles que l'arsenal privé du Hezbollah et son obstination à guerroyer en Syrie, réaffirmée hier même par Hassan Nasrallah. La langue arabe est riche en possibilités, affirmait il y a quelques jours le président de l'Assemblée Nabih Berry se voulant rassurant. C'est bien là notre drame : langue de bois ne saurait faire illusion.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Il ne répond sans doute pas à toutes les attentes. Et néanmoins, on est soulagé qu'il soit là enfin, au terme d'une gestation aussi longue que laborieuse.
Fruit d'une somme d'inévitables compromis, le nouveau gouvernement formé samedi peut surprendre d'abord par la joyeuse pagaille qui a présidé à l'exploitation de ses propres potentialités humaines. Ce gouvernement ne manque en effet...