Ce n'est sans doute pas la première fois que les Libanais sont soumis au régime de la douche écossaise. Depuis quelques jours, les indications tantôt optimistes, tantôt pessimistes et le plus souvent prudentes se succèdent au sujet de l'épineux dossier de la formation du nouveau gouvernement.
Hier soir, des recoupements effectués auprès de plusieurs hauts responsables politiques ont permis de clarifier les données disponibles sur ce plan et de faire ainsi le point de la situation qui se présente comme suit, au stade actuel des tractations en cours : le Hezbollah semble avoir effectivement jeté quelque peu du lest, du moins en apparence, au niveau des conditions qu'il posait dès le départ – en l'occurrence depuis près de dix mois – pour faciliter la mise sur pied de l'équipe ministérielle concoctée par Tammam Salam ; le leader du courant du Futur, Saad Hariri, aurait décidé de saisir la balle au vol à cet égard ; pour l'heure, les tractations entreprises au plus haut niveau en sont encore au stade préliminaire et visent à tâter le terrain de part et d'autre, de sorte qu'aucun dénouement n'est à prévoir avant la fin de la semaine ou le début de la semaine prochaine ... Ce qui signifie que le procès du Tribunal spécial pour le Liban dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri s'ouvrira jeudi prochain à La Haye sans que le 14 Mars n'ait eu à siéger, le cas échéant, au sein d'un même gouvernement avec le Hezbollah, pointé (largement) du doigt dans l'attentat terroriste du 14 février 2005.
Autre certitude confirmée hier soir de diverses sources concordantes : si avant la fin du mois les discussions ne permettent pas d'aboutir à un accord sur un cabinet rassembleur, le président Michel Sleiman et le Premier ministre désigné Tammam Salam sont déterminés à se rabattre sans tarder sur une formule regroupant des ministres non partisans.
Les positions en présence
Dans la pratique, ce nouveau cycle de tractations enclenché il y a quelques jours a été lancé à la suite de la volonté manifestée subitement, en apparence, par le Hezbollah de faciliter la tâche du Premier ministre désigné en donnant son aval à une formule qu'il avait rejetée après sa désignation, il y a dix mois : celle des trois « 8 » (huit ministres du 14 Mars, huit du 8 Mars et huit pour le bloc dit « centriste » regroupant des représentants du président Michel Sleiman, de M. Salam et du leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt). Le Hezbollah insistait pour que ces trois blocs soient représentés sur base de l'équation 9-9-6.
À en croire des sources dignes de foi, proches des milieux du palais de Baabda, le changement de cap opéré par le Hezbollah serait dû, entre autres, à une demande pressante formulée à ce sujet par le nouveau pouvoir iranien, conduit par le président Hassan Rohani et le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Jawad Zarif, qui auraient fait valoir que dans le contexte du dégel – bien qu'encore hésitant – engagé minutieusement entre Téhéran et le camp occidental, il est important d'effectuer un geste d'ouverture envers la partie adverse, et plus particulièrement envers l'Arabie saoudite. D'où la volonté exprimée soudainement par le Hezbollah de prendre en considération les conditions posées par le courant du Futur, et le 14 Mars en général, au sujet de la formation du gouvernement.
À l'appui de cette thèse, qui reste à confirmer : les propos conciliants tenus par le ministre iranien des Affaires étrangères, à son arrivée hier soir à Beyrouth pour des entretiens avec les dirigeants libanais. Interrogé sur l'état des relations de son pays avec l'Arabie saoudite, M. Zarif a ainsi souligné, à sa descente d'avion, que son gouvernement essaie d'avoir « des relations fraternelles avec ce pays (...) car nous pensons que si nos relations se renforcent, cela aura un effet positif sur la stabilité, et la paix dans toute la région ».
Il semblerait ainsi que c'est un paramètre essentiellement régional qui aurait fait évoluer la position du Hezbollah (ce qui est d'ailleurs conforme à la doctrine politique de base du Hezbollah qui s'en remet systématiquement à Téhéran pour toutes les grandes décisions politiques à caractère stratégique). C'est cette nouvelle donne apparue manifestement au plan régional qui a été, en toute vraisemblance, au centre de l'important entretien que M. Saad Hariri a eu hier à Paris avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
(Lire aussi : Le Hezbollah plaide en faveur d'un « gouvernement politique rassembleur »)
Les démarches de Siniora et Joumblatt
Le leader du courant du Futur aurait donc décidé de « jouer le jeu » à la suite des signaux positifs transmis par le Hezbollah, et c'est le chef du bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, qui a été chargé de prospecter le terrain sur ce plan, sur base d'un retour à la formule des trois « 8 ». L'entretien d'une heure que M. Siniora a eu samedi au palais de Baabda avec le président Sleiman s'inscrit dans le cadre de cette tentative de tâter le pouls du paysage politique à la lumière de la position du parti chiite pro-iranien. La réunion de M. Siniora avec le chef de l'État a permis de discuter des conditions – ou du moins de certaines des conditions – posées par le 14 Mars, et plus particulièrement par le courant du Futur, afin d'accepter de siéger au gouvernement avec le Hezbollah, en dépit du fait que les pôles du 14 Mars avaient affirmé à plusieurs reprises par le passé qu'une telle « cohabitation » était totalement exclue en raison du contexte actuel et de l'engagement massif des miliciens du Hezbollah dans les combats en Syrie afin de sauver le régime de Bachar el-Assad. Pour accepter cette cohabitation, le 14 Mars a posé plusieurs conditions : le refus de tout tiers de blocage, même masqué ; le rejet définitif du triptyque armée-peuple-résistance, auquel le Hezbollah a toujours été farouchement attaché ; l'engagement à respecter la teneur de la déclaration de Baabda portant sur la neutralité du Liban à l'égard des conflits régionaux ; l'alternance dans la répartition des portefeuilles ministériels.
Ces positions de principe ont donc été passées au crible lors de l'entretien de M. Siniora avec le chef de l'État et la discussion devrait se poursuivre et être complétée au cours des réunions que le chef du bloc du Futur aura incessamment avec M. Salam et le leader du mouvement Amal, Nabih Berry, qui est chargé pratiquement de négocier au nom du Hezbollah.
C'est d'ailleurs à ce même titre que M. Berry s'est entretenu hier en fin de journée avec le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. Dans une déclaration à L'Orient-Le Jour, hier soir, M. Joumblatt a indiqué qu'il s'emploie avec le président de la Chambre à « déminer la formule des trois 8 », de manière à « sortir du dilemme des conditions contradictoires » posées de part et d'autre. M. Joumblatt n'a pas manqué de relever à cette occasion que M. Berry « est un interlocuteur très valable, d'autant qu'il est peut-être le seul à avoir une vision globale et régionale de la situation présente ». Le leader du PSP s'est toutefois montré dans le contexte présent particulièrement prudent quant à l'issue des démarches en cours afin de débloquer la crise gouvernementale.
(Lire aussi : Ahdab dénonce les concessions du 14 Mars)
L'attitude de Geagea et la campagne des réseaux sociaux
La prudence de M. Joumblatt s'explique sans doute par le fait que pour l'heure, les conditions posées par le 14 Mars – sous forme de « questions » adressées au 8 Mars – afin d'accepter la cohabitation avec le Hezbollah au sein du pouvoir exécutif, n'ont pas encore trouvé d'échos favorables publiquement, si bien que nombre d'incertitudes persistent encore et retardent par le fait même le dénouement de ce nouveau cycle de tractations.
Certains milieux politiques affirment en coulisses que le Hezbollah a implicitement accepté de renoncer au triptyque armée-peuple-résistance, d'avaliser la teneur de la déclaration de Baabda et de donner son feu vert à l'alternance dans la répartition des portefeuilles. Mais à en croire les sources proches de M. Berry, le tandem Hezbollah-Amal souligne qu'il serait maladroit de le coincer en lui demandant un engagement public au sujet de ces trois points fondamentaux. Or c'est là que le bât blesse. Divers courants du 14 Mars font valoir à ce propos – à juste titre – que le Hezbollah n'a honoré par le passé ni sa parole politique ni sa signature, lorsqu'il a sabordé l'accord de Doha (qu'il avait pourtant signé à l'ombre de garanties arabes), lorsqu'il a provoqué la chute du cabinet de Saad Hariri, en janvier 2011, lorsqu'il a renié son soutien officiel à la déclaration de Baabda, et surtout lorsqu'il a sapé purement et simplement les résultats des élections législatives de 2009 en imposant manu militari un torpillage milicien de la majorité parlementaire issue de ce scrutin. À l'ombre de ces malheureuses expériences passées, comment peut-on donc faire confiance à un simple geste de bonne volonté exprimé par le Hezbollah, oralement et en coulisses de surcroît ?
Ce sont ces réserves et cette attitude de principe qui dictent la position du leader des Forces libanaises, Samir Geagea, qui estime qu'il ne servirait à rien d'accepter une cohabitation avec le Hezbollah si ce dernier ne modifie pas clairement et de façon radicale et publique sa ligne de conduite. M. Geagea a exposé son point de vue à ce sujet au cours de l'entretien téléphonique prolongé qu'il a eu ce week-end avec M. Saad Hariri, qui est entré en contact avec lui afin de faire le point de la situation. Selon certaines sources dignes de foi, le leader du courant du Futur aurait informé M. Geagea qu'il ne donnera pas son aval à une participation au gouvernement au côté du Hezbollah si les FL rejettent une telle cohabitation dans les conditions actuelles. L'ensemble des composantes du 14 Mars adopteront ainsi une position unifiée à cet égard, une fois que M. Siniora aura achevé ses concertations avec MM. Berry et Salam.
En tout état de cause, un fort courant hostile à la cohabitation se manifeste au sein du 14 Mars. Ceux qui défendent une attitude ferme sur ce plan font valoir qu'au stade actuel, rien ne permet encore d'indiquer avec certitude que le Hezbollah est disposé sérieusement à donner une suite favorable aux conditions posées par le 14 Mars. Et c'est sans doute le non-respect par le Hezbollah de ses engagements passés et de sa signature apposée à des accords et des documents de base (l'accord de Doha et la déclaration de Baabda) qui sous-tend la vaste campagne menée depuis plusieurs jours dans les réseaux sociaux pour rejeter la participation du Hezbollah dans le prochain gouvernement. Sous #notinmyname ( « pas en mon nom » ) ou #la position_des Forces libanaises_me représente, de très nombreux ténors, cadres et militants du 14 Mars et de la société civile entretiennent ainsi une campagne soutenue pour mettre l'accent sur le refus d'une cohabitation avec le Hezbollah dans les conditions présentes au sein du gouvernement.
Aoun irrité
Il reste que le mécontentement n'est pas uniquement perceptible au niveau du 14 Mars. Le chef du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun, aurait ainsi exprimé dans certains milieux son irritation au sujet du cours pris par les tractations portant sur la formation du gouvernement, notamment en ce qui concerne le principe de l'alternance dans la répartition des portefeuilles (ce qui impliquerait que son gendre, Gebran Bassil, ne détiendrait plus le ministère de l'Énergie). Le chef du CPL craint, à en croire certaines sources, d'être abandonné par son allié – le Hezbollah – dans le sillage d'un « package deal » qui serait en gestation à l'échelle régionale. Il s'apprêterait à se rendre sous peu à Paris et au Vatican. À Paris, afin de tenir une réunion avec Saad Hariri. Et au Saint- Siège afin de plaider, selon les sources susmentionnées, pour une élection présidentielle anticipée. L'histoire de court-circuiter en quelque sorte, par une ouverture vers l'extérieur, le lâchage, s'il se confirme réellement, opéré par son allié chiite.
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commentaires (9)
Beaucoup de bla bla politique, le hezbollah semble vivre encore dans le passé, le 14 mars est encore sur la défensive, et cette république ne fait que dégoûter quotidiennement au citoyen ordinaire sa citoyenneté... ils se disputent les postes ministériels mais pas les devoirs envers les libanais, c est ce qu'on appelle de la bassesse politique qui dure, perdure, et se perpétue... En attendant un grand homme Libanais qui marquera encore l'histoire par son audace...
CBG
15 h 38, le 15 janvier 2014