Le monde arabe et plusieurs pays d'Asie et d'Afrique sont le théâtre depuis plusieurs années d'une montée des tensions confessionnelles et d'un déferlement des violences à caractère sectaire, sur fond de discorde sunnito-chiite sans cesse croissante. Ce déchaînement des passions communautaristes et cette montée aux extrêmes se manifestent quasi quotidiennement par des attentats à la voiture piégée et des explosions un peu partout dans la région, en Asie ou en Afrique – le dernier en date de ces attentats terroristes étant celui qui a coûté la vie, le 27 décembre, à l'ancien ministre Mohammad Chatah, homme d'ouverture et de dialogue par excellence.
Cette vague à caractère centrifuge a commencé à atteindre nombre de pays d'Europe touchés par un sentiment islamophobe grandissant, suscité par un repli identitaire au niveau des populations d'émigrés qui négligent souvent de faire les efforts requis pour s'intégrer dans les pays d'accueil.
Dans un tel contexte de fanatisme, de violence et de profonds clivages sectaires, œuvrer de manière soutenue et concrète en vue d'un dialogue et d'une coopération entre les religions peut paraître sans doute irréaliste, ou tout au moins à contre-courant. Tel est pourtant le défi qu'a lancé en 2007 le roi Abdallah d'Arabie saoudite en prenant l'initiative, audacieuse et avant-gardiste, de créer un centre de dialogue des religions et des cultures, en collaboration, notamment, avec l'Autriche, l'Espagne et le Vatican. Le premier pas sur la voie de la création de ce centre a été franchi à la faveur de la visite historique que le roi Abdallah a effectuée le 6 novembre 2007 au Vatican où il avait été reçu par le pape Benoît XVI à qui il avait fait part de sa volonté de lancer un projet de dialogue entre les religions. Une initiative à laquelle le Saint-Père avait immédiatement réagi favorablement.
Le centre a été inauguré officiellement le 26 novembre 2012. Situé à Vienne, au palais historique de Sturany, il a pour raison sociale « Centre international du roi Abdallah ben Abdelaziz pour le dialogue interculturel et interreligieux » (KAICIID). Il regroupe des représentants des principales religions mondiales : judaïsme ; christianisme (catholiques, orthodoxes et évangéliques) ; islam (sunnites et chiites) ; hindouisme et bouddhisme.
Dans une interview accordée à L'Orient-Le Jour à l'occasion du Forum sur la gouvernance mondiale qui s'est tenu du 13 au 15 décembre derniers à Monaco (voir L'Orient-Le Jour des 13, 16, 17, 18 et 19 décembre), le secrétaire général de ce Centre de dialogue des religions et des cultures, KAICIID, Faïçal ben Abderrahman ben Mouammar, expose les objectifs et la mission de cet organisme international. « Il s'agit du premier centre du genre dans le monde, souligne-t-il. L'objectif essentiel fixé dès le départ a été de briser les barrières psychologiques entre les chefs religieux et d'établir un climat de confiance entre eux. L'initiative de la création de ce centre revient au roi Abdallah ben Abdel Aziz. Il s'agissait de lancer une initiative sérieuse à l'échelle internationale en vue d'amener les dignitaires religieux à contribuer à la résolution des conflits ».
Faïçal ben Abderrahman ben Mouammar précise dans ce cadre qu'aux yeux des promoteurs du KAICIID, « la religion est un facteur important pour le règlement des conflits et elle ne devrait pas être une source de conflit ». « Notre but est de renforcer les points communs humanistes, souligne-t-il. Nous ne discutons pas de la croyance des autres ni des fondements de leur foi. Nous nous employons à renforcer les dénominateurs communs et les points positifs. Le centre a la conviction que le dialogue est le meilleur moyen pour assurer la coexistence, la compréhension et la coopération. Le monde arabe a pâti de nombreuses guerres, et les efforts diplomatiques déployés dans ce cadre n'ont jamais abouti à des résultats concrets. L'idée de base de ce centre est donc que le dialogue entre les chefs spirituels pourrait faciliter la tâche des décideurs politiques en vue de trouver des solutions aux problèmes en suspens, surtout si ces problèmes ont besoin de l'intervention des chefs spirituels. »
Des projets concrets
Le secrétaire général du KAICIID indique en outre que le centre bénéficie du statut d'institution internationale. Il est géré par un conseil d'administration de 9 membres, en plus du secrétaire général, d'un secrétaire général adjoint (une femme) et d'un appareil administratif formé de 30 employés venant de 23 pays. Le financement est assuré par l'Arabie saoudite qui s'emploie, en coopération avec l'Autriche et l'Espagne, à mettre sur pied un fonds permanent pour couvrir les frais de fonctionnement dans la durée.
M. Faïçal ben Abderrahman ben Mouammar précise par ailleurs que le KAICIID œuvre avec des organismes internationaux pour l'accomplissement de sa mission, et il s'est fixé notamment pour objectif d'entretenir des liens étroits avec la base populaire par le biais des ONG et des lieux de culte. « Nous avons la conviction que notre action doit se traduire par des projets concrets et applicables, et nous avons établi des plans à cet égard, souligne le secrétaire général du KAICIID. Nous avons tenu un premier congrès qui avait pour thème l'image de l'autre. Près de 600 personnalités représentant différentes religions et cultures, venant de 92 pays, ont participé à ce congrès. Nous avons organisé dans ce cadre des rencontres entre les chefs spirituels et des responsables pédagogiques afin d'examiner les moyens d'introduire dans les programmes d'enseignement ainsi qu'au niveau de l'information et de la culture tout ce qui pourrait mettre en relief les aspects positifs dans la construction de l'image de l'autre. Nous avons enregistré un acquis important dans ce domaine en amenant les responsables pédagogiques à s'engager à mettre en application une telle mesure, et l'Unesco a soutenu cet effort. »
Ce congrès s'est tenu il y a un peu plus d'un mois et le Liban a joué un rôle actif sur ce plan grâce notamment à la participation du ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, Hassan Diab, qui n'a pas caché son enthousiasme au sujet de l'action du KAICIID, notamment pour ce qui a trait à la focalisation sur les aspects positifs de l'image de l'autre dans les programmes d'enseignement. Le Liban était également représenté à ce congrès par le mufti de Tripoli et du Liban-Nord, cheikh Malek Chaar, ainsi que par M. Mohammad Sammak, secrétaire général du Comité national islamo-chrétien pour le dialogue, et plusieurs dignitaires religieux chrétiens et musulmans.
Parler de dialogue des religions et des cultures, et de focalisation sur les aspects positifs de l'image de l'autre, alors que les assassinats et les attentats terroristes à caractère sectaire se multiplient un peu partout dans la région, pourrait paraitre quelque peu naïf. Mais n'est-ce pas là le meilleur moyen de lancer, contre vents et marées, un message d'espoir à la face des terroristes et des extrémistes des deux camps qui, par leur radicalisme sectaire, se renforcent objectivement l'un l'autre ?
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14 h 35, le 30 décembre 2013