Paris-Dallas, et pourquoi pas Paris-Beyrouth ?

Avec le défilé Chanel Paris-Dallas, la maison fête ses dix ans de métiers d'art avec onze ateliers d'excellence, de la broderie à la plumasserie, en passant par l'orfèvrerie. Le savoir-faire des ateliers Lesage, Desrues, Lemarié, Michel, Massaro, Goossens ou Guillet est mis à l'honneur à travers des défilés exceptionnels rendant hommage à un pays différent.
Avant de prendre la route de l'Amérique, la maison Chanel m'a invitée à découvrir cette flamboyante collection, minutieusement préparée dans le plus grand secret des ateliers des métiers d'art. Le hasard a voulu qu'on commence la visite par la salle de validation, là où chaque prototype avec une étiquette bien détaillée est vérifié une dernière fois avant de quitter les ateliers. Alors, nous posons la question qui sera le chemin de fer de notre visite : pourquoi Dallas ? En 1957, Neiman Marcus fêtait les 50 ans des magasins, invitant mademoiselle Chanel à Dallas pour lui remettre l'oscar de la mode. Les collections de Coco Chanel en 1954 avaient reçu un accueil extrêmement froid en Europe pour 1 001 raisons. En revanche, ses collections se vendaient bien aux États-Unis. Et par cet award de la mode, Chanel était revenue très fortifiée dans son image et dans son action commerciale en Europe.
« Un nouveau départ pour Coco, mais c'est aussi l'occasion de remercier l'Amérique, un client historique », comme le dit Hubert Barrère, directeur artistique des ateliers de broderie Lesage. « Coco Chanel s'intéressait à toutes les cultures, elle ne s'est jamais rendue en Inde, mais c'est chez les antiquaires qu'elle a découvert toutes ses inspirations que nous avons célébrées dans le Paris-Bombay (...). La collection s'est-elle déjà rendue au Moyen-Orient ? Non, mais un Paris-Beyrouth serait fabuleux », s'exclame le directeur artistique. Dans la salle des archives Lesage, plus de soixante mille échantillons répertoriés sont simplement conservés dans des tiroirs, mais ils ne dorment pas. On s'en inspire pour créer de nouveaux échantillons, comme celui avec les franges qui servira pour la mariée de Dallas où elle défilera en pantalon, une première pour la maison. Dans la salle de broderie, le croquis et le papier calque sont tout près des mitaines en cuir qui sont venues à bout de huit aiguilles en une journée.
Qui dit métiers d'art dit artisanat ; et sans les mains patientes des brodeuses, point de rêve au bout des doigts des clientes. L'horizon du Texas n'est pas loin, il se mélange à l'esprit navajo sur les mitaines ou les bottes brodées, mais aussi sur un pull en cachemire avec des étoiles qui brillent, pour rappeler le drapeau de ce pays où Coco Chanel a fait fortune. Dans l'atelier du plumassier Lemarié, on colle et ligature des plumes d'oie, on découvre une coiffe majestueuse et des parures dorées ; un art aussi ancien que la tribu indienne des Karankawas, ces nomades largement tatoués, percés et peints, qui dominaient une grande partie des îles du sud du Texas.
Le savoir-faire des métiers d'art est aussi d'aller au-delà de la matière : « Faisons des plumes qui ne sont pas des plumes », dit Hubert Barrère. Avec de l'organza déchiqueté, on va superposer des pans de tissu et donner l'illusion d'avoir peint dessus comme une aquarelle. Tout le monde est ravi de cette profusion de couleurs et de lumière. Le nom de Karl Lagerfeld revient tout le temps, même pour parler d'une simple robe en velours, avec des franges texanes, hommage à la rodeo girl. Les camélias de la maison côtoient les broderies navajo.
Chanel, c'est un message international. Bienvenue dans la tête de Karl Lagerfeld pour un fabuleux voyage dans la patrie de tous les possibles.