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Moyen Orient et Monde - Billet

Bâillonnés, condamnés, enlevés, assassinés

Photo Reuters

Une semaine dans la vie des journalistes.

Dissoute. Boris ne comprend pas. Devant lui, sa patronne n'a pas l'air de comprendre non plus. Dissoute. Voilà le mot que Svetlana Mironyuk vient de lâcher les yeux mouillés. RIA-Novosti, son agence, la principale agence de presse publique russe, est dissoute. Dissolution irrémédiable car décrétée par l'ultraprésident. Dans la foulée, Poutine a créé Rossia Segodnia, une nouvelle agence, avec pour mission de « faire connaître à l'étranger la politique et la société de la Fédération de Russie ». À sa tête, il a placé un de ses pantins. Ça sent la propagande à plein nez, pense Boris, qui s'interroge : était-il vraiment nécessaire de dézinguer une agence née en 1941, alors que 80 % des journaux régionaux, 70 % des médias électroniques et 20 % de la presse nationale sont déjà aux ordres ?
Boris soupire en pensant à l'alternative qui s'offre désormais à lui : chercher un nouveau boulot à 52 ans ou se vendre à Rossia Segodnia et à son boss Dmitri Kiseliov, un homme qui pense et dit qu'il faut brûler le cœur des homosexuels, en cas d'accident, pour éviter toute transplantation, et pour qui la dernière campagne électorale de l'opposant Navalny est du même acabit que la montée de Hitler au pouvoir. Boris a un haut-le-cœur.

 

Condamnés. Ayman ne comprend pas. Devant elle, le juge Hashi Elmi Nur est serein quand il annonce que Fadumo Abdukadir Hassan, une journaliste de 19 ans qui avait accusé des collègues de viol, est condamnée à six mois de prison avec sursis pour « dénonciation calomnieuse ». Ayman aussi est journaliste, et somalienne. Elle couvre le procès, note la sentence du juge, mais ne comprend pas. Condamné aussi, le journaliste qui a interviewé Fadumo, six mois ferme. Le directeur d'une station de radio qui a diffusé l'interview écope du double pour « insultes aux institutions de l'État ».
En février dernier déjà, Ayman n'avait pas compris pourquoi une femme affirmant avoir été violée par des soldats somaliens ainsi qu'un journaliste à qui elle s'était confiée avaient, eux aussi, été condamnés pour « outrage aux institutions ».

 

Enlevés. Monica ne comprend pas. Monica ne comprend pas pourquoi son mari, Javier Espinosa, et un collègue, Ricardo Garcia-Vilanova, ont été enlevés par des jihadistes de l'État islamique de l'Irak et du Levant à Raqqa, dans le nord de la Syrie.
Enlevés. Depuis le début du conflit, les deux journalistes espagnols se sont acharnés, au péril de leur vie, à écrire, encore et encore, sur la souffrance du peuple syrien. Monica avait eu peine à comprendre aussi quand, venant d'échapper à un bombardement à Baba Amr qui avait coûté la vie à deux de ses confrères, son mari avait décidé de rester, malgré tout, malgré leurs enfants, dans l'enfer homsiote jusqu'à l'évacuation totale des civils. Javier avait expliqué qu'il se devait de rester pour rapporter « le plus fidèlement possible ce qui se passait ». Monica ne comprend pas pourquoi des Syriens enlèvent un homme qui a placé leur tragédie avant sa propre vie.
Monica ne comprend pas pourquoi 55 journalistes ont été tués dans ce conflit. Monica ne comprend pas pourquoi un reporter irakien, Yasser Fayçal al-Joumaili, a été exécuté, le 5 décembre, dans les zones « dites libérées ». Une première pour un journaliste étranger. Monica ne comprend pas non plus pourquoi, en Syrie, 33 journalistes sont toujours portés disparus.

 

Assassiné. Datu ne comprend pas. Devant lui, son patron ne comprend pas non plus. Rogelio Butalib a été assassiné. Datu connaissait Rogelio Butalib, un commentateur pour la radio locale Natin. Son programme évoquait souvent les questions de corruption. Des hommes à moto l'on mitraillé à Tagum, dans le sud de Mindanao. Assassiné. Rogelio Butalib est le troisième journaliste assassiné en deux semaines aux Philippines. Le 75e journaliste assassiné aux Philippines depuis 1992. Les quatre suspects dans l'assassinat de Butalib sont en fuite. Datu a peu d'espoir qu'ils soient jamais arrêtés.

Une semaine dans la vie des journalistes.
Dissoute. Boris ne comprend pas. Devant lui, sa patronne n'a pas l'air de comprendre non plus. Dissoute. Voilà le mot que Svetlana Mironyuk vient de lâcher les yeux mouillés. RIA-Novosti, son agence, la principale agence de presse publique russe, est dissoute. Dissolution irrémédiable car décrétée par l'ultraprésident. Dans la foulée, Poutine a...

commentaires (4)

On fait grand cas des journalistes assassinés ou enlevés pour le risque qu’ils prennent au service de la "liberté d’opinion". Après tout, on entend à chaque fois qu’ils ne sont que des "employés" de maisons d’éditions, de journaux… et alors les médecins, les infirmiers, et agents de secours. Bref si Ayman et Monica n’ont rien compris, c’est qu’il est trop tard, ou bien qu’il n’y a rien à comprendre.

Charles Fayad

20 h 53, le 14 décembre 2013

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Commentaires (4)

  • On fait grand cas des journalistes assassinés ou enlevés pour le risque qu’ils prennent au service de la "liberté d’opinion". Après tout, on entend à chaque fois qu’ils ne sont que des "employés" de maisons d’éditions, de journaux… et alors les médecins, les infirmiers, et agents de secours. Bref si Ayman et Monica n’ont rien compris, c’est qu’il est trop tard, ou bien qu’il n’y a rien à comprendre.

    Charles Fayad

    20 h 53, le 14 décembre 2013

  • Pourtant c est tres simple. Ca c est l esprit democratique qui regne dans certains Pays sous la coupe de dictateurs....

    IMB a SPO

    14 h 44, le 13 décembre 2013

  • "Monica ne comprend pas pourquoi un reporter irakien a été exécuté dans les zones « dites libérées ». Elle ne comprend pas non plus pourquoi, en Syrie, 33 journalistes sont toujours portés disparus." ! Pourquoi donc "dites libérées" ? Bien sûr qu'elles ont été libérées, d'une Dictature infecte datant de plus d'une quarantaine d'années ; Il suffit de demander aux.... Journalistes libanais traqués ou déjà Massacrés ! En conséquence, est-ce une question qui se pose, le fait d'encore se demander "pourquoi en sœur-syrie 33 journalistes sont portés disparus." ! Au fait, ces "33", sont aussi portés disparus en "zones dites libérées", ou bien plutôt en "Zones" encore malheureusement bääSSyrianisées et Non déjà.... "Libérées" ? Simple question mahééék.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 50, le 13 décembre 2013

  • Assassiné. Les Libanais comprennent. Ils comprennent quel intérêt les super criminels "frérots" et locaux avaient d'assassiner le prince du journalisme de ce pays, Gebran Tueini, il y a huiit ans jour pour jour.

    Halim Abou Chacra

    06 h 08, le 13 décembre 2013

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