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Liban - L’éclairage

À Tripoli, encore la guerre des autres...

La situation à Tripoli fait du surplace, en dépit du plan sécuritaire établi par l'État pour mettre fin aux affrontements. La décision de placer l'ensemble des services militaires et sécuritaires sous la direction du commandement de l'armée a été prise lors de la réunion organisée sous la présidence du chef du cabinet chargé de l'expédition des affaires courantes, Nagib Mikati, en présence du ministre de l'Intérieur Marwan Charbel, des députés et des notables de la région. La troupe assumerait de cette manière l'entière responsabilité de la situation, après que les notables de Tripoli se furent plaints de divergences accrues et de conflits de prérogatives entre les différents services. Si bien que des accusations ont été portées à l'encontre de certains responsables et de certaines parties soupçonnés de se cacher derrière les atteintes à la trêve. Selon un responsable sécuritaire, ce qui se produit dans la capitale du Nord n'est autre qu'un conflit politique.

 

Partant, la solution ne pourrait que passer par un accord ou une entente de nature politique, et non sécuritaire. Ce responsable s'étonne des propos tenus par certains notables et leaders tripolitains selon lesquels ils ôtent toute couverture aux fauteurs de troubles, alors qu'ils interviennent prestement dès que les services de sécurité prennent la moindre mesure sur le terrain visant à maîtriser la situation ou procèdent à la moindre arrestation. Il constate par ailleurs l'intervention accrue des cheikhs dans le conflit politique et les affrontements, au moment où les dignitaires religieux devraient plutôt œuvrer à calmer le jeu et pousser à un cessez-le-feu entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané, au lieu de jeter de l'huile sur le feu.


En réalité, ce qui se produit à Tripoli est le résultat de la guerre syrienne entre le régime et les rebelles, comme le prouve l'apparition des drapeaux syriens et des portraits de Bachar et de Hafez el-Assad à Jabal Mohsen, ou encore les déclarations de Rifaat Eid selon lesquelles il serait « un soldat dans l'armée d'Assad », tandis que le quartier de Bab el-Tebbané se parait, lui, des drapeaux de l'opposition syrienne. Selon un responsable sécuritaire, les affrontements entre les deux quartiers sont une répercussion du conflit régional opposant l'Arabie saoudite au régime syrien. Ce dernier accuse d'ailleurs Riyad de soutenir les rebelles. Les dernières déclarations de Rifaat Eid, qui a initié une campagne féroce contre l'Arabie et la famille royale, ont bien reflété cette réalité, puisque Eid est la voix de son maître et ne s'en cache pas. C'est sur cette base qu'un ministre affirme que c'est une fois de plus la guerre des autres qui se déroule au Liban, et qu'il est impossible, partant, de séparer l'arène tripolitaine des combats syriens.


C'est pourquoi des milieux politiques ne sont pas sans craindre que les affrontements aillent crescendo dans la ville ce mois, durant la phase préparatoire de Genève II. C'est en tout cas l'opinion du ministre Marwan Charbel, selon qui le mois de décembre sera crucial. Un député du Nord abonde dans ce sens, estimant que le régime syrien pourrait utiliser la carte tripolitaine pour consolider sa position à Genève II. Selon un député du 14 Mars, le régime Assad n'hésitera pas à utiliser Tripoli comme boîte aux lettres pour adresser des messages aux puissances internationales concernant sa capacité à mettre le feu aux poudres au Liban en dépit du parapluie international qui a jusqu'à présent protégé le pays du Cèdre. Le régime syrien sera tenté de rallumer de plus belle le feu à Tripoli s'il se sent en position de faiblesse à la veille de la conférence internationale. Ne cherche-t-il pas d'ailleurs à modifier la donne militaire et sécuritaire sur le terrain en essayant de reprendre des territoires conquis par les rebelles autour de Damas ?

Cependant, il est clair que le régime Assad n'a plus les moyens de gouverner la Syrie, et ce même s'il réussit à reconquérir le terrain perdu. De son côté, l'opposition ne parviendra pas à établir sa domination et à renverser le régime tant que ce dernier continue de bénéficier de la cohésion de l'armée. Mais il n'est plus possible d'ignorer l'existence d'une vaste opposition à Assad, et c'est ce que Genève II tentera de déterminer comme règlement politique ; une sorte de Taëf à la syrienne dans lequel le régime fait actuellement un forcing pour se trouver une place. Selon les milieux salafistes au Liban, c'est appuyé par les combattants du Hezbollah et des pasdarans que le régime tente de dominer les villages frontaliers du Liban, afin de couper les moyens de contact entre les rebelles et l'hinterland libanais et d'empêcher des salafistes libanais d'aller se battre contre le régime. Les frontières sont en effet un foyer favorable aux révolutionnaires et un va-et-vient s'est installé entre les deux pays à travers ces villages. Les salafistes ont répondu en bloquant la route de Masnaa et en effectuant la prière du vendredi sur la voie routière. Il s'agirait, selon des observateurs, d'un message au régime répercutant le rejet de la stratégie du régime par les musulmans acquis aux rebelles : ils ne permettront pas que la route du jihad leur soit bloquée alors qu'elle est grande ouverte aux combattants du Hezbollah. En d'autres termes, les salafistes feront tout pour empêcher les miliciens du Hezb de se rendre désormais en territoire syrien.


Qu'à cela ne tienne, le Liban est le pays des compromis. La seule solution à Tripoli est donc d'ordre politique, estime un responsable sécuritaire, et elle ne peut se faire que par le biais du dialogue. « Pourquoi donc les parties politiques ne prendraient-elles pas l'initiative de dialoguer ensemble pour désamorcer la situation dans la capitale du Nord ? » s'interroge ce responsable, qui est convaincu que cette flambée de violence cache un agenda politique. C'est dans ce cadre qu'un ministre pointe du doigt les attaques lancées par Rifaat Eid contre le président de la République, dans lesquels il voit un message syrien clair adressé au chef de l'État, accusé par le régime Assad de collaborer avec Riyad contre Damas. Le président Sleiman sera ainsi sommé de prendre position en faveur d'Assad contre l'opposition, et de mettre fin à la politique de neutralité, puisque le Liban devrait tout naturellement se ranger derrière le régime syrien. D'où l'appel du 14 Mars au procureur général de considérer les propos de Rifaat Eid comme une atteinte au chef de l'État et de réclamer sa convocation devant la justice.


Selon un ministre du cabinet Mikati, le front tripolitain ne connaîtra pas d'accalmie, du moins pas avant Genève II. En attendant, c'est la guerre syrienne qui s'y déroule par procuration.

 

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