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À La Une - Rentrée littéraire

« Toute naissance est devant soi », dit Yann Moix...

Grands bruits dans les coulisses pour le Goncourt, le Renaudot et le Décembre qui ont tous les trois jeté leur dévolu, entre autres, sur Yann Moix. Pour l’occasion, on se penche sur le berceau de « Naissance » (édition Grasset,1 140 pages), le dernier livre, rabelaisien, de l’auteur de « Mort et vie d’Edith Stein ».

Yann Moix.

Un grand pavé et c’est le cas de le dire. Mais cela se dévore comme un roman d’aventure. Et pourtant, à part l’aventure humaine et tous ses aléas, de quoi parle au juste cet ouvrage touffu qui fait le procès aux parents, à la vie et aux ouvrages mêmes écrits par l’auteur. Pas tout à fait un procès peut-être, mais une virulente mise au point. Un règlement de compte. Une invitation à sauver sa tête, à la garder hors de l’eau, à revoir toujours le passé. Pour mieux renaître et rebondir.


Un petit mot sur un parcours un peu atypique. Écrivain est certes Yann Moix, avec une dizaine de romans à son actif et, pour ses débuts, le Prix Goncourt du premier roman en 1996 pour Jubilations vers le ciel. Mais aussi poète, journaliste, polémiste (dans les journaux, magazines et télés), acteur, auteur de chansons et cinéaste. Ouf, le chapelet est clos ! Mais qui sait ? Son dernier opus filmé Podium, amusante et tendre comédie sur un sosie de Cloclo, avec Benoît Poelvoorde, a reçu un accueil favorable du public. Un peu touche-à-tout, parfaitement impliqué dans tous les courants de pensée d’un siècle turbulent et agité. Vociférant et violent, Yann Moix, sans s’éloigner de tout ce qu’il a toujours dit et écrit, de la prose à la poésie, de la philosophie à la politique, de la littérature à toute forme d’art, dans ces pages bouillonnantes de sève et de vie, continue dans une torrentialité rabelaisienne sur sa lancée.


Une prolongation de plus pour ses écrits et activités à visages multiples. Pour une prise en main et maîtrise de sa pensée et de son destin. C’est tout cela Naissance...
Pour ce roman «gros comme une femme enceinte de 9 mois» (dixit Moix!), l’autobiographie intellectuelle se mêle aux mouvements des idées qui secouent l’époque ainsi que l’inspiration et les influences littéraires. Car c’est surtout un livre d’un faiseur de livres qu’il s’agit là!
Pour un enfant qui naît au monde circoncis, dans une famille qui ne veut pas de lui, la bataille semble dure dès le départ. Qu’importe, on laisse de côté les géniteurs peu soucieux de leur progéniture et on retrouve la naissance d’un écrivain, à l’insu de sa famille.
Ainsi déferlent les pages sur Péguy, Stendhal, Faulkner, Gide, Bataille, les luttes pour la maîtrise du verbe et les coulisses de l’édition. Avec au-devant de la scène un personnage déluré et fantasque, à l’influence énorme, un dénommé Marc-Astolphe, qui a le flair du talent et l’incommensurable patience et acharnement des collectionneurs, insatiables gourmands pour des traques effrénées ...

 

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Mais l’auteur évoque aussi les déboires d’une enfance malheureuse, maltraitée, et la part de rêve et d’évasion à laquelle il s’accroche. Un monde inhumain avec toutefois des livres amis et consolateurs qui le réconcilient avec la vie ou parfois dont il s’en irrite. Et puis l’écriture, voie royale et salvatrice. Ainsi, au fil de ces pages riches qui donnent une impression de digression ou de prolixité, on revisite les ouvrages de cet auteur à l’intérêt multiple et diversifié. Une sorte de promenade-réflexion dans une galerie qui exposerait les toiles de son propriétaire.


Et c’est là, à travers ce dédale de thèmes soulevés, ressuscités, qu’on aurait peut-être l’occasion de revenir à la source. Et de compulser et décortiquer des œuvres qui ont filé entre nos doigts ou sous notre nez. Pour la curiosité sexuelle, on compulserait peut-être Partouz (quel titre, en ce siècle débridé!).
Mais pour les Levantins flanqués du drame de la cohabitation ou plutôt de l’inimitié arabo-israélienne, il serait tentant de (re)lire sa Mort et vie d’Edith Stein. Déjà l’idée de la mort pour renaître était en l’air : en observant l’ordre des mots tracés, car cela devrait être vie et mort et non mort et vie... Alors là, on découvre la réflexion entre judaïsme et catholicisme avec la conversion au catholicisme d’une élève juive de Husserl. Elle sera arrêtée par les nazis en 1942 et gazée à Auschwitz. Le pape Jean-Paul II la béatifiera.


Pour Yann Moix, l’important «c’est naître à soi-même. Les parents nous ont donné la vie? À nous de la leur reprendre, le plus tôt possible. Naître, c’est semer ses géniteurs. Non pas tuer le père, mais tuer en nous le fils. Chercher, trouver d’autres parents spirituels. Ce qui compte, ce n’est pas la mise au monde, c’est la mise en monde.»
Voilà un roman pas comme les autres, qui sort du rang sans porter de gants. Et certainement pas pour tous publics tant les références littéraires (et sociales) abondent. Jusqu’à l’excès. Un vertigineux tour d’horizon sur les contradictions d’une humanité en perte de vitesse de la plupart de ses valeurs et références.
Un ouvrage riche, démesuré, à l’écriture prenante, surprenante, baroque, aux mille ressources. Un ouvrage à la fois libérateur et agitateur de conscience. Si écrire c’est se dévoiler, se cacher, se découvrir, se projeter, renaître, alors le pari de Yann Moix est réussi.

 

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