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À La Une - Interview

« Avec une solution politique à l’horizon en Syrie, la situation au Liban se décantera », souligne le professeur Pascal Monin

Professeur et chercheur en relations internationales et diplomatiques, expert en géopolitique et en communication, le professeur Pascal Monin est connu pour son analyse perspicace et sa perception lucide des bouleversements qui marquent le monde d’aujourd’hui. Dans un entretien avec « L’Orient-Le Jour », il partage sa vision des derniers développements en rapport avec la crise syrienne et leurs ramifications au Liban.

Le professeur Pascal Monin : La question centrale est de savoir quel rôle régional l’Iran sera autorisé à jouer.

Il y a quelques semaines seulement, les menaces de frappes occidentales contre le régime syrien bouleversaient la région. Depuis, le scénario du retour à la diplomatie semble avoir définitivement prévalu. Pour Pascal Monin, professeur et chercheur en relations internationales et diplomatiques, spécialiste en géopolitique et en communication, c’est un signe que « le président américain Barack Obama n’a pas une idée claire de ce qui pourrait remplacer le régime syrien ». « À cela, il faut ajouter l’absence d’une résolution du Conseil de sécurité et la fermeté de la position russe, explique-t-il. Les États-Unis semblent avoir très vite entamé les négociations sous la table avec les Russes, alors même qu’ils essayaient de mettre en place une coalition pour une guerre. Je pense qu’Obama voulait surtout pousser les Syriens à accepter le principe de négociations. »
Cela explique-t-il aussi les réticences de l’opinion publique américaine contre la frappe ? « Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte, relève le professeur Pascal Monin sur ce plan. Le président Obama a été élu parce qu’il a promis de mettre un terme aux guerres dans lesquelles s’enlisaient les Américains. Et de manière générale, les Syriens payent le prix des mensonges qui avaient précédé la guerre d’Irak, comme celui des expériences égyptienne, tunisienne et libyenne. »

 

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À ce propos, le professeur Monin note que les Américains semblent être soucieux de ne pas provoquer le démantèlement de l’armée syrienne, d’une part pour ne pas renouveler le scénario irakien, et d’autre part pour assurer une relève en cas de chute du régime, afin de contrer, le cas échéant, l’influence des islamistes. « À mon avis, en Irak, les Américains cherchaient à diviser le pays en trois entités, estime-t-il. Ils n’ont pas cette vision de la Syrie et je ne crois pas que des plans de partition soient sur la table pour l’instant. Une partition en Syrie poserait des problèmes aux pays voisins comme la Turquie pour la question kurde, ainsi que la Jordanie et le Liban. »

Habileté de la diplomatie russe, absence des opposants syriens
Si l’épisode de menaces de frappes semble avoir constitué un tournant dans cette crise syrienne, c’est en partie parce que, ainsi que le note le professeur Monin, « les Russes ont très bien manœuvré ». « Pour la première fois depuis la chute du mur de Berlin et de l’empire soviétique, les Russes parviennent à casser l’unilatéralisme américain dans la politique internationale, profitant des tergiversations américaines, dit-il. Après avoir laissé entendre qu’ils n’interviendraient pas militairement pour secourir Assad, les Russes ont haussé le ton face aux Occidentaux lors des menaces de frappes, et ils ont intercepté les deux missiles au large des côtes syriennes, lançant par là même un message important : sans nous, pas de solution. Ils ont aussi joué sur l’avenir des minorités. Vladimir Poutine revient en tant que président et non plus comme Premier ministre, il a besoin de redorer son blason. »
C’est ce qui explique le soutien indéfectible du pouvoir russe au régime syrien ?
« Beaucoup d’intérêts sont en jeu, répond le professeur Monin. D’une part, ils veulent retrouver un rôle important au M-O, par le biais du dernier champ d’opérations où ils sont toujours présents. D’autre part, il y a les intérêts économiques, liés notamment au gaz : sur un premier plan, ils veulent empêcher le gaz qatari d’arriver en Europe via la Méditerranée et de concurrencer le gaz russe. Sur un second plan, les Russes n’ont pas obtenu assez de contrats après la frappe de l’OTAN en Libye il y a quelque temps, ce qu’ils ont mal perçu. Enfin, ils sont intéressés par les prospections de pétrole et gaz sur le littoral libanais et syrien. »

 

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Si les Russes se sont illustrés par leur habileté, on ne peut pas en dire autant de l’opposition syrienne qui n’a pas su soutenir l’option de la frappe... L’image de la crise syrienne reflétée par certains médias internationaux est celle d’un conflit opposant el-Qaëda à Bachar el-Assad, ce qui peut rendre service à ce dernier. Y a-t-il à cet égard un manque de communication de la part de l’opposition, ou est-ce le résultat d’un lobbying des Russes et/ou des Israéliens, d’où la virulence de l’opposition aux frappes partout dans le monde ?
« Je pense qu’il y a des deux, souligne le professeur Pascal Monin. Les responsables politiques israéliens étaient divisés sur la frappe et sur la perspective de la chute du régime Assad. L’opposition française, qui soutenait dans un premier temps le président François Hollande dans sa décision de participer aux frappes, a changé d’avis en 24 heures. Sur un autre plan, on constate un dramatique manque de visibilité de l’opposition syrienne politique et de l’Armée syrienne libre sur la scène internationale, en raison de la multiplication des divisions, des démissions... Par voie de conséquence, pour les opinions publiques, l’identité de ces opposants syriens reste très floue. Enfin, Assad a utilisé la carte des minorités : alors que les frappes semblaient imminentes, son armée s’est retirée de la ville-symbole de Maaloula, alors qu’il avait le dessus d’un point de vue militaire dans la région. Il l’a reprise par la suite aux rebelles. Pour leur part, les chrétiens de Syrie n’ont pas pu, ou su, montrer qu’ils n’étaient pas inféodés à ce régime, lui cédant leur liberté en contrepartie de leur protection. Cet épisode de Maaloula a en outre montré que l’ASL n’arrive pas à contrôler le terrain, loin de là. »

 

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Le professeur Monin reconnaît que, du point de vue de l’opinion publique internationale, très peu de gens savent qu’il y a non seulement une différence entre ASL et islamistes, mais qu’ils se battent également entre eux. « Pour moi, c’est une erreur, autant de la part de Bachar el-Assad que des Occidentaux, de laisser la guerre civile s’enliser, ce qui donne aux jihadistes de plus en plus de chances de s’enraciner et de gagner du terrain, affirme-t-il. Aujourd’hui, on a la chance de saisir l’initiative russe qui doit mener à la conférence de Genève 2, afin de déboucher sur une solution politique. Une initiative diplomatique est en cours, mais il demeure difficile d’aboutir à un accord parce que chacun tire la couverture vers soi. »

 

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Une résolution qui ira plus loin que le chimique
Pour le professeur Pascal Monin, il semble désormais clair que les Russes mènent la barque en Syrie, et que toute résolution au Conseil de sécurité ne peut être contraire à leur vision. « À mon avis, une éventuelle résolution ne concernera pas seulement le démantèlement de l’arsenal chimique syrien, dit-il. L’attaque chimique contre la Ghouta le 21 août a été une occasion saisie par les Américains et les Russes pour mettre sur les rails un processus de négociations qui commencerait par le chimique, qui pourrait aboutir après juin 2014 à un début de négociations de paix et peut-être à la conférence de Genève 2, et qui conduirait vers des négociations ou un éventuel accord entre Américains et Iraniens sur le nucléaire. »


Selon le professeur Monin, les frappes contre le régime affaibli d’Assad se sont avérées impossibles dans les circonstances actuelles. Mais que pense-t-il de l’éventualité de frappes occidentales contre l’Iran ? « Je crois qu’une solution militaire est écartée, estime-t-il. Même si le pouvoir de décision en Iran est entre les mains du guide suprême, l’arrivée de Hassan Rohani au pouvoir permet d’atténuer l’isolement de l’Iran. Les Iraniens sont très habiles à manœuvrer, ils ne se sont jamais attaqués de manière frontale militaire à l’Occident. Rohani lance d’ailleurs beaucoup de signaux en direction des Américains sur le nucléaire. C’est dans ce cadre que s’inscrivent d’ailleurs l’entretien avec le président François Hollande, et la visite prévue en Arabie saoudite. Les Iraniens, connus pour leur pragmatisme, savent qu’ils ont perdu en partie sur le dossier syrien au profit des Russes et en tirent les conclusions. La question centrale est la suivante : quel est le rôle régional qu’on permettra à l’Iran de jouer, dans un contexte de futures négociations, notamment sur le nucléaire ? »

 

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Pour ce qui est des alliés des États-Unis dans la région, à commencer par la Turquie et nombre de pays arabes, ils ont été mis à mal par la renonciation aux frappes. « C’est ce qui pousse l’administration américaine à hausser le ton au Conseil de sécurité afin de réclamer une résolution forte, souligne le professeur Monin. Ils veulent compenser quelque peu ce qu’ils ont perdu de leur superbe dans l’épisode des frappes. »
Et d’ajouter qu’il ne faut pas perdre de vue dans ce contexte les deux constantes de la politique américaine dans la région : la sécurité d’Israël et le pétrole. Même si le grand perdant reste, selon lui, la Syrie en tant que pays. « Le président Assad se retrouve ainsi livré aux Russes, son régime est affaibli de manière irréversible, et il est conscient désormais qu’il n’y a pas de solution militaire en Syrie, tout comme ses opposants d’ailleurs. »

 

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Le Liban, à nouveau une scène-message ?
C’est au Liban que la situation pourrait s’avérer particulièrement délicate. « Nous n’avons pas su ou pu mener la politique de neutralité par rapport à la crise syrienne, déplore le professeur Monin. Comment concevoir qu’il n’y aurait pas d’implication, vu l’histoire, la géographie et les alliances des uns et des autres ?
D’ailleurs, si Bachar el-Assad se trouve coincé, pour lui, la scène libanaise reste la plus vulnérable et la plus accessible, beaucoup plus que certaines parties de la Syrie actuellement. C’est cela qui devrait nous inquiéter. Plus une solution politique en Syrie sera en vue, mieux le Liban s’en sortira, et plus rapidement ses institutions seront redynamisées. »
Interrogé sur l’implication du Hezbollah dans les combats, le professeur Monin dit « oser penser que les dirigeants de ce parti ne sont pas heureux de voir leurs fils mourir en Syrie ». Mais est-ce qu’il peut décider de lui-même de se retirer des combats ? « Je crois que, vu la conjoncture régionale, il lui est très difficile de le faire, répond-il. Toutefois, si on veut que la situation au Liban soit stabilisée, il faut qu’il sorte au plus vite de Syrie, tout comme il faudrait appliquer la politique de neutralité sur toutes nos frontières nord et même dans les positions politiques, pour que nous puissions sur le plan interne nous attaquer à un dossier primordial pour le Liban, qui est de remettre le pays sur les rails et de redynamiser ses institutions. »
Sur le plan purement interne, le professeur Monin conclut en appelant au rétablissement d’une relation de confiance entre les différentes parties libanaises, en particulier entre les chrétiens qui doivent dépasser leurs divisions et prendre conscience des sérieuses menaces qui pèsent sur la présence chrétienne au Liban et dans toute la région.

 

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