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À La Une - Analyse

Egypte : Jusqu'au bout, Américains et Européens ont mis en garde l'armée

Le bain de sang de mercredi aurait pu être évité, selon des diplomates occidentaux.

Le secrétaire d'Etat américain John Kerry. Evaristo Sa/AFP

Les Etats-Unis et l'Union européenne ont tenté jusqu'à la dernière minute de convaincre l'état-major de l'armée égyptienne de ne pas démanteler par la force les rassemblements des Frères musulmans au Caire, en le mettant en garde contre les conséquences politiques et économiques d'une telle initiative.

 

L'issue violente survenue mercredi, qui a entraîné la mort de centaines de personnes à travers l'Egypte, semblait inéluctable dès lors que le nouveau pouvoir mis en place par l'armée avait proclamé une semaine auparavant l'échec de la médiation internationale destinée à trouver une issue pacifique à la confrontation entre militaires et islamistes.

 

Américains et Européens ont cependant continué à adresser des messages coordonnés au chef d'état-major de l'armée égyptienne, le général Abdel Fattah al Sissi, et au vice-président par intérim, Mohamed ElBaradeï, durant les quatre journées de la fête musulmane de l'Aïd el-Fitr, qui a pris fin dimanche.

Il s'agissait de les exhorter à rechercher une issue négociée à la crise ouverte par le renversement du président islamiste Mohamed Morsi par l'armée le 3 juillet, rapportent des diplomates occidentaux.

 

(Voir aussi : Images d'une journée sanglante au Caire (vidéo))

 

"Nous avions un plan politique qui avait été posé sur la table, qui avait été accepté par l'autre partie (les Frères musulmans, ndlr)", affirme l'émissaire de l'Union européenne (UE), Bernardino Leon, qui a dirigé la médiation internationale avec le secrétaire d'Etat adjoint américain William Burns.  "Ils auraient pu choisir cette option. Donc tout ce qui s'est passé (mercredi) n'était pas nécessaire", ajoute-t-il, interrogé au téléphone par Reuters.

Le dernier appel lancé aux autorités égyptiennes l'a été mardi, quelques heures avant l'assaut des forces de sécurité contre les rassemblements des pro-Morsi.

 

Après l'assaut, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a usé d'un ton inhabituellement direct pour condamner le rétablissement de l'état d'urgence, en vigueur durant les près de 30 années de présidence d'Hosni Moubarak jusqu'à son renversement par un soulèvement populaire en 2011.

"Au cours de la semaine écoulée, à chaque occasion (...) nous et d'autres avons exhorté le gouvernement à respecter le droit de rassemblement et la liberté d'expression et nous avons aussi exhorté toutes les parties à tenter de sortir de cette impasse de manière pacifique et insisté sur le fait que les manifestants devaient s'abstenir de toute violence et de toute incitation à la violence", a dit John Kerry.

 

(Lire aussi : La presse internationale indignée par les violences en Egypte)

 

 

L'Arabie saoudite appelée à la rescousse

Certains des messages les plus fermes des Etats-Unis ont été adressés directement à Abdel Fattah al Sissi lors d'entretiens téléphoniques quasiment quotidiens avec le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, rapportent des diplomates.

 

L'administration américaine a aussi mobilisé son allié saoudien, qui avait salué le renversement de Mohamed Morsi en annonçant le déblocage de milliards de dollars pour l'Egypte, pour dire au général Sissi qu'il devait parvenir à une solution pacifique "pour conserver un soutien financier et politique international", affirme une personne impliquée dans ces échanges diplomatiques.

 

(Lire aussi : Prévisibles, les condamnations du bain de sang pleuvent de toutes parts)

 

Accompagnés des ministres des Affaires étrangères du Qatar, soutien des Frères musulmans, et des Emirats arabes unis (EAU), partisans de la mise à l'écart de Mohamed Morsi, les médiateurs américains et européens ont tenté de convaincre les deux camps de prendre des initiatives susceptibles d'établir un climat de confiance réciproque. Ce processus aurait débuté par des libérations de prisonniers afin d'aboutir à une sortie honorable pour Mohamed Morsi, à des amendements à la Constitution et à des élections en 2014.

 

Selon une source militaire égyptienne, l'armée pensait que les Frères musulmans n'accepteraient pas au bout du compte de conclure un accord. Elle avait en revanche le sentiment qu'ils tentaient de gagner du temps. "Ils disent une chose aux médiateurs et ils en disent une autre à leurs partisans", dit ce responsable militaire.

 

Selon une source diplomatique, les médiateurs occidentaux ont également tenté de convaincre Abdel Fattah al Sissi que l'Egypte souffrirait durablement de polarisation politique et de difficultés économiques en cas de bain de sang.

 

 

"Capacité à ignorer la réalité"

Le chef d'état-major de l'armée et le ministre de l'Intérieur, Mohamed Ibrahim, considéré comme un faucon, ont, par ailleurs, été explicitement prévenus que Mohamed ElBaradeï démissionnerait en cas d'usage de la force et qu'ils perdraient ainsi une importante caution civile et libérale, dit-on de même source.

Mohamed ElBaradeï a démissionné mercredi après l'assaut en se disant persuadé qu'une issue pacifique aurait pu être trouvée et que la solution choisie allait renforcer les extrêmes.

 

(Reportage : Le chaos et le sang)

 

"Les radicaux ont une remarquable capacité à ignorer la réalité", poursuit cette même source ayant requis l'anonymat en raison du caractère sensible de ces échanges diplomatiques.

 

Selon la source militaire égyptienne, l'armée s'est retrouvée dans une position délicate en raison de la colère provoquée au sein de la population par les critiques émises par les sénateurs américains Lindsey Graham et John McCain lors de leur visite en Egypte, mais aussi par les fuites sur un possible accord avec les Frères musulmans.

 

Les médiateurs occidentaux ont, enfin, prévenu l'armée que l'usage de la force risquait de faire basculer les salafistes, initialement favorables au renversement de Mohamed Morsi, du côté des Frères musulmans au risque de provoquer un large front islamiste hostile au pouvoir.



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Commentaire

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