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Moyen Orient et Monde - Le point

La onzième plaie

C’est peu de dire que l’épisode d’hier dans le bras de fer engagé par l’armée avec les Frères musulmans augure de jours bien incertains pour l’Égypte – et, avec elle, le risque de contagion est grand, pour d’autres pays de la région. La terre des pharaons ne sombre pas dans le chaos sans que cela suscite des ondes de choc dont il est difficile pour l’heure de mesurer l’ampleur. Une évidence pour commencer : la blessure est là, profonde, douloureuse déjà et promettant d’être longue à se cicatriser. Pour la première fois, le divorce paraît consommé entre les militaires et une large frange de la population, dans le sang pourrait-on dire.


Jamais peut-être dans l’histoire d’une nation aura-t-on vu une telle accumulation d’erreurs, débouchant sur ce qu’il faut bien appeler un tsunami de haine. Si la révolution du 23 juillet 1952 ayant abouti à l’abdication du roi Farouk s’était déroulée dans un calme exemplaire, le mouvement du 30 juillet, lui, a déjà fait des centaines de morts et des milliers de blessés et promet de gagner en intensité à mesure que les provinces commencent à bouger.


Les généraux ont péché au départ par une myopie dont on commence à peine à entrevoir les retombées : ils n’ont pas vu venir le succès électoral de la confrérie et lorsqu’ils se sont réveillés à la réalité il était trop tard. A commencé alors un délicat travail de sape destiné à provoquer la faute chez l’adversaire. Mohammad Morsi a foncé droit sur le chiffon rouge agité sous son nez et multiplié les faux pas, enivré par les effluves d’une légitimité acquise – nul n’a pensé à le lui rappeler – de justesse et que ce même peuple qui l’avait porté au pinacle hier pouvait lui reprendre à tout moment.
Sans doute aurait-il fallu laisser le temps faire son œuvre d’usure. Le président aurait achevé de se couvrir de ridicule et de révéler l’étendue de son incompétence. Déjà les salafistes d’an-Nour se détournaient de lui avant de lâcher cette proie pour l’ombre d’une alliance avec le nouveau pouvoir, une illusion à laquelle ils viennent de renoncer devant la tournure prise par les événements. Les retombées de la terrible crise économique se seraient chargées de faire le reste, portant ainsi le coup de grâce à une équipe peu préparée à exercer le pouvoir.


Au lieu de cela, encore une erreur, les galonnés ont fait montre d’une impatience qui va sans doute leur coûter cher. Peu importe, alors qu’il est déjà trop tard, que la spontanéité des sit-in de la place al-Tahrir soit réelle ou feinte. La vérité est qu’ils ont servi de prétexte aux militaires qui n’attendaient que cela pour faire donner la garde, ces forces de sécurité, débordées dès les tout premiers instants et en tout cas plus proches du peuple que des officiers retranchés dans leurs casernes et derrière leurs prérogatives. D’abord réticents – il faut croire qu’une telle implication ne figurait pas à l’origine dans leurs plans – à descendre dans la rue pour rétablir l’ordre, ces derniers ont dû répondre à l’appel de la maréchaussée, risquant à tout moment l’affrontement direct.


La troisième erreur a consisté à négliger la capacité de résistance des Ikhwane, plus aptes, croyait-on jusqu’alors, à jouer les infirmiers que les insurgés. Les voici aujourd’hui condamnés à assumer les deux rôles, cette fois à visage découvert et non plus dans une complice clandestinité comme ce fut le cas plus de six décennies durant. Soixante ans : l’âge aussi d’un pouvoir militaire qui avait fini par se fondre dans le paysage politique, ayant donné au pays ses trois derniers chefs d’État. Les Frères réussiront-ils dans un second temps – à condition qu’ils l’emportent dans le combat qu’ils viennent d’engager contre leur ennemi de toujours – ce qu’ils ont lamentablement loupé tout au long des derniers mois ? Rien hélas ne permet d’y croire.


L’Égypte semble partie par une longue, très longue traversée du désert, traumatisée par le drame qu’elle est en train de vivre, ne sachant quoi choisir entre un islamisme qui se veut démocratique et un régime qui ne peut en aucun cas, parce que militaire, incarner une véritable démocratie et de plus désavoué dès hier par un Azhar forcé de prendre le parti du goupillon contre le sabre.


Chacun sera bien en peine, demain, d’expliquer les mobiles qui l’ont poussé à agir, qu’il s’agisse des exactions injustifiables contre les chrétiens, du recours excessif et tout aussi injustifiable à la force pour mater la rébellion ou encore – hypocrisie quand tu nous tiens... – des appels à la retenue, qui ne trompent personne, émanant de certaines capitales occidentales. La guerre civile, personne ne l’avait voulue, ni vu venir ; et pourtant on s’y enfonce plus profondément au fil des heures. Ici encore, tout comme en Syrie, en Irak, au Yémen, sans espoir de règlement.

 

 

Reportage

Le chaos et le sang

 

Commentaire

L’État égyptien en déroute ?

 

Le mythe d’une démocratie kaki

 

C’est peu de dire que l’épisode d’hier dans le bras de fer engagé par l’armée avec les Frères musulmans augure de jours bien incertains pour l’Égypte – et, avec elle, le risque de contagion est grand, pour d’autres pays de la région. La terre des pharaons ne sombre pas dans le chaos sans que cela suscite des ondes de choc dont il est difficile pour l’heure de mesurer...

commentaires (1)

"Sand doute aurait-il fallu laisser le temps faire son oeuvre d'usure. Le président aurait achevé de se couvrir de ridicule et de révéler l'étendue de son incompétence". En toute modestie, j'ai déjà dit presque la même chose dans cette rubrique. Les militaires auraient dû avoir plus de patience et laisser cette caricature de président s'effriter toute seule, au lieu d'en faire une victime.

Halim Abou Chacra

05 h 10, le 15 août 2013

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Commentaires (1)

  • "Sand doute aurait-il fallu laisser le temps faire son oeuvre d'usure. Le président aurait achevé de se couvrir de ridicule et de révéler l'étendue de son incompétence". En toute modestie, j'ai déjà dit presque la même chose dans cette rubrique. Les militaires auraient dû avoir plus de patience et laisser cette caricature de président s'effriter toute seule, au lieu d'en faire une victime.

    Halim Abou Chacra

    05 h 10, le 15 août 2013

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