Avoir une forêt de cèdres millénaires comme décor pour son mariage ferait rêver plus d’un. Certains ne s’en contentent même plus et effectuent les modifications nécessaires... pour adapter la forêt millénaire, classée patrimoine mondial par l’Unesco, à leurs besoins. Le luxe (surréaliste), quoi.
Des écologistes ont récemment dénoncé le lancement d’un vaste chantier dans la périphérie directe de la forêt des cèdres de Bécharré. Selon des sources concordantes, l’objectif des travaux est de construire des gradins pour le mariage du fils d’un ancien député de la région, qui devrait avoir lieu fin août, ce qui nous a été confirmé par le président du conseil municipal de Bécharré, Antoine Tok. Autant lui que Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, un grand rassemblement d’ONG écologiques, assurent que le chantier tombe bien dans la zone dite « de reboisement », telle que définie par la loi qui a fait du site une réserve dès 1950. Il s’agit d’une sorte de zone tampon où il est « strictement interdit de construire », suivant le même texte.
C’est Aline Tok, présidente du Comité de sauvegarde de l’environnement à Bécharré, qui nous décrit les travaux à l’entrée est de la forêt, vers l’arrière. « Il s’agit d’excavations assez vastes, dit-elle. Quand nous avons pris des photos, il n’y avait pas de béton. Mais mon père, Youssef Tok, fondateur de notre ONG, a relevé l’utilisation de béton hier (lundi) pour la première fois, et il a alerté la municipalité. »
Le président du conseil municipal n’hésite pas à qualifier les travaux d’ « infraction ». Il précise aussi que ces travaux durent apparemment depuis deux mois. À la question de savoir pourquoi les autorités locales n’ont pas réagi plus tôt, M. Tok souligne que le Comité des amis des cèdres, en charge de la forêt, n’avait pas vu les plans et n’avait pas mesuré l’ampleur des travaux. Riad Keyrouz, président du Comité des amis des cèdres, ONG en charge de la forêt, confirme qu’il n’avait pas eu vent des travaux et qu’il craignait simplement, à la base, le nombre élevé d’invités à ce mariage. Hostile à cet aménagement, il dit vouloir engager un dialogue avec le patriarcat maronite, propriétaire de la forêt (mais pas du terrain où ont lieu les travaux), pour interdire tous les mariages sur le site.
Pour sa part, Antoine Tok dit être « en contact avec l’ancien député Gebrane Tok, qui a entrepris ces travaux pour le mariage de son fils ». « Il nous a dit qu’il ignorait au préalable la législation qui empêche la modification des alentours de la forêt, et s’est dit prêt à réhabiliter le terrain, enlever les gradins et reboiser cette superficie », affirme le responsable municipal. Des propos confirmés par Gebrane Tok lui-même qui a indiqué à L’Orient-Le Jour qu’il n’aurait pas entrepris ces travaux s’il était au courant de la loi, et qu’en tout état de cause, il s’engage à réhabiliter et à reboiser le terrain après le mariage... Il a affirmé en outre que « les excavations ont respecté l’environnement » et que le béton n’a pas été utilisé.
(Pour mémoire: L’Unesco définit les critères de réhabilitation de la route de Wadi Qannoubine)
Les environnementalistes, eux, sont révoltés par l’inertie des autorités. Aline Tok assure que la campagne de son ONG « ne vise pas une personne en particulier, les abus contre la forêt sont nombreux, nous en avons dénoncé plusieurs ces dernières semaines ». Selon Paul Abi Rached, les plaintes envoyées aux ministères « ne donnent pas lieu à des actions ». « Au minimum, il faudrait pénaliser des travaux effectués sans étude d’impact environnemental, dans une zone connue pour la sensibilité de son écosystème », s’insurge-t-il.
Que font les ministères, justement ? Le ministre de l’Environnement Nazem el-Khoury nous assure n’avoir reçu aucune plainte à ce propos. « Si tel est le cas, nous enverrons une équipe pour inspecter les travaux », dit-il. Mais il semble que, dans ce cas précis, vu que la forêt est inscrite sur la liste du patrimoine mondial, ce soit le ministère de la Culture et la Direction générale des antiquités (DGA) qui soient le plus concernés par le dossier. Contacté par L’Orient-Le Jour, Gaby Layoun, ministre de la Culture, s’étonne du fait que « la nouvelle de ces travaux ne nous ait été communiquée que maintenant ». Il dit, pour sa part, n’en avoir entendu parler qu’hier, par Samar Karam, responsable de la région du Nord à la DGA. « J’attends le rapport pour demain (aujourd’hui), poursuit-il. Nous prendrons notre décision à la lumière de ce document. Nous ne pouvons nous permettre de voir ce site rayé de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. »
Des insectes et des hommes
Le danger de voir la forêt de cèdres et avec elle la vallée de la Qadischa (puisque les deux forment un même site) ôtées de la liste de l’Unesco n’est pas le seul que court ce lieu antique. La vieille forêt « s’apparente à un malade aux soins intensifs, le moindre microbe peut lui être fatal », dit Paul Abi Rached. « Qu’importent les promesses de réhabilitation ultérieure, les dégâts occasionnés autour de la forêt sont irréversibles, poursuit-il. Et nous ne savons pas encore quel impact aura la cérémonie elle-même sur les arbres. »
Aline Tok dit ne pas être en mesure de se prononcer sur la réversibilité des dégâts, mais avance l’argument « qu’il n’est pas permis de laisser les gens perpétrer des abus pour les réparer ensuite ». « La vieille forêt a été particulièrement vulnérable, cette année, à la présence d’un insecte qui attaque les cèdres, le Cephalsia, qui avait déjà fait des ravages dans la réserve de Tannourine il y a quelques années », rappelle-t-elle. « Les arbres plutôt jeunes, de 30 ou 40 ans, sont particulièrement menacés, dit-elle. On aurait pu épargner à la forêt les travaux d’aménagement qui s’y déroulent actuellement. »
Le président de la municipalité n’est pas de cet avis et pense que les dégâts sont réversibles, surtout si un reboisement du site a lieu. Il dit vouloir « éviter les problèmes qui pourraient naître de l’interruption des travaux ». Quoi qu’il en soit, l’affaire paraît profondément liée à des considérations de politique locale. Seuls les militants semblent se souvenir du fait que la forêt est un symbole national et mondial, non local. Une image circule depuis peu sur les réseaux sociaux : un drapeau libanais avec, au centre, un narguilé à la place du cèdre...
Pour mémoire
La réalité dépasse la fiction : une station d’épuration sur un site archéologique à Jiyeh!
Le roseau pour préserver le cèdre !
Un site romain « démantelé » à la pelleteuse au centre-ville de Beyrouth
Des écologistes ont récemment dénoncé le lancement d’un vaste chantier dans la...