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À La Une - Otages

Complicité entre les ravisseurs des pilotes turcs et les familles des chiites libanais détenus en Syrie ?

Le ministre turc des Transports déclare que les autorités libanaises ont entamé les contacts nécessaires avec les ravisseurs des deux pilotes. Les services de renseignements des FSI détiendraient toutes les bases de données susceptibles de dénouer l’affaire qui révèlent des liens entre les ravisseurs et les familles des otages chiites libanais détenus en Syrie.

Les forces de sécurité libanaises déployées, le 9 août, devant les bureaux de la Turkish Airlines, à Beyrouth, après l'enlèvement d'un pilote et d'un copilote de la compagnie. REUTERS/Hasan Shaaban

Deux jours après le rapt des deux pilotes turcs de la compagnie aérienne Turkish Airlines par des éléments armés sur la route de l’aéroport, l’optimisme du ministre de l’Intérieur (« Nous sommes proches d’une fin heureuse », a-t-il déclaré hier) contraste avec les mises en garde des proches des pèlerins chiites enlevés à Aazaz. Si ces derniers ont veillé dès le départ à démentir toute implication dans l’enlèvement, ils ont toutefois exprimé une extrême solidarité avec les kidnappeurs des deux pilotes (« Si l’État s’en prendra à eux, nous répondrons dans le sang ») et sonné le glas d’un « comportement pacifique à l’égard des Turcs ».


Après avoir annoncé hier la planification de nouveaux sit-in cette semaine devant les bâtiments relevant d’intérêts turcs à Beyrouth, un incident en soirée a failli les mener vers une escalade anticipée. L’incident en question est l’arrestation, à un barrage des Forces de sécurité intérieure, de Mohammad Saleh, l’un des proches des otages de Aazaz, suite à un appel téléphonique qu’il aurait effectué avec les ravisseurs des deux pilotes et que les FSI auraient réussi à retracer. Déclarant que Saleh a été arrêté sur fond de litige personnel, et rejetant avec virulence les accusations de proximité avec les ravisseurs des deux pilotes, les proches des otages ont accordé aux services des renseignements des FSI un ultimatum d’une heure, à compter de 20 heures hier soir, pour le libérer, faute de quoi ils comptaient bloquer la route de l’aéroport. La menace n’a pas eu de suites quand bien même Mohammad Saleh n’a pas été relâché. Les habitants ont maintenu néanmoins leurs menaces d’escalade, affirmant qu’ils entameraient aujourd’hui un sit-in devant le siège des FSI si Mohammad Saleh n’était pas relâché. L’on apprenait en soirée de source autorisée que le mécontentement des familles des otages serait lié au fait que les FSI ont prouvé détenir toutes les données téléphoniques susceptibles de les mener directement jusqu’aux ravisseurs.


Cheikh Abbas Zogheib, chargé par le Conseil supérieur chiite de suivre l’affaire de Aazaz, avait marqué son irritation via l’Agence nationale d’information : « Que ceux qui ont arrêté Mohammad Saleh le relâchent. Sinon, qu’ils arrêtent toutes les personnes honorables au Liban. » Plus tôt vendredi, cheikh Zogheib avait démenti toute implication dans l’enlèvement des pilotes de Turkish Airlines. « Mais, a-t-il ajouté, nous encourageons un tel acte car cela fait plus d’un an que nos proches sont enlevés et que les Turcs continuent de jouer sur nos nerfs. »

 

 

Les deux pilotes turcs enlevés à Beyrouth le 9 août 2013. Photos AFP

 


La menace d’une « boule de feu »
Plus tôt dans la journée, les appels à la libération des pilotes turcs avaient été doublés d’un appel à la résolution du dossier des otages libanais de Aazaz. Il en va ainsi de la réaction du cheikh Akl druze Naïm Hassan, mais surtout des dignitaires chiites. « Si les Libanais enlevés à Aazaz ne sont pas rapidement libérés, leur cause se transformera en boule de feu qui n’épargnera personne », a affirmé le président de l’Association des ulémas, sayyed Ahmad Chawki Amine, faisant assumer à la Turquie la responsabilité du rapt des pilotes « à cause de son indifférence ». Le mufti jaafari cheikh Ahmad Kabalan a également rejeté sur la Turquie « la responsabilité des rapts des visiteurs libanais à Aazaz, mais aussi la responsabilité des enlèvements passés et présents de ressortissants turcs au Liban ».

 


Charbel optimiste
Dans le même temps, le ministre démissionnaire de l’Intérieur, Marwan Charbel, a affirmé hier que les deux pilotes turcs seront bientôt libérés. « Nous sommes proches d’une fin heureuse, a assuré le ministre. Nous étudions les données téléphoniques obtenues avant et après l’opération du rapt. » Le ministre a également affirmé que toutes les parties concernées, « dont le Hezbollah », sont mobilisées pour résoudre cette crise et libérer les otages. Pour l’instant, les deux pilotes auraient été transférés loin de Beyrouth, les ravisseurs craignant d’être traqués.
Parallèlement à cette position, le ministre turc des Transports a déclaré qu’il « n’y a plus de place au compromis » dans l’affaire du rapt des pilotes, confirmant le fait que « les autorités libanaises ont entamé les contacts nécessaires avec les ravisseurs » pour leur libération.


Une source autorisée révèle dans ce cadre à L’Orient-Le Jour que le ministre de l’Intérieur aurait contacté l’un des ravisseurs de Aazaz, Samir Ammouri, afin d’aboutir à la libération des otages.
Rappelons que Damas avait accepté, le 19 juillet, de libérer 43 femmes qui étaient détenues dans les prisons syriennes, en échange de la libération des neuf otages de Aazaz, mais les ravisseurs sont revenus sur leurs engagements, ne comptant libérer que deux otages libanais contre 127 femmes relâchées par le régime de Damas, selon une source gouvernementale.


Le ministre Charbel aurait réussi à obtenir de Samir Ammouri son engagement à libérer d’abord deux otages, suivis des sept restants, à condition de la libération des prisonnières. Le ministre compterait désormais sur une intervention turque pour garantir le marché. Un pari qui aurait peu de chance d’aboutir si l’on en croit les sources citées par le site d’information nowlebanon, selon lesquelles c’est « le régime syrien qui entrave cet échange, quand bien même le Hezbollah l’a avalisé ».

 

Une patrouille de l'armée, vendredi, sur la route de l'aéroport à Beyrouth. REUTERS/Hasan Shaaban

 


Appel d’Ankara à ses ressortissants
Ankara avait appelé vendredi ses ressortissants à quitter le Liban. « Au vu de la situation actuelle, il conviendra pour nos concitoyens d’éviter, sauf impératif vital, tout voyage au Liban », avait déclaré le ministère turc des Affaires étrangères dans un communiqué diffusé sur son site Internet. « Il est conseillé à nos concitoyens se trouvant encore au Liban de rentrer en Turquie s’ils le peuvent ou, s’ils doivent rester, de prendre toutes les mesures pour leur sécurité personnelle et d’être vigilants », ajoutait le document.
Pour le ministre démissionnaire du Tourisme, Fady Abboud, le rapt de vendredi aura des répercussions négatives sur la situation touristique et économique du Liban. M. Abboud a néanmoins indiqué, samedi à la Voix du Liban, que les ressortissants turcs n’ont pas tous quitté le Liban. « Il y a plus de 500 touristes turcs actuellement dans le pays, et des mesures de sécurité ont été prises pour leur protection », a-t-il ajouté.

 

 

(Lire aussi : La Turquie allège son dispositif au sein de la FINUL)


Rumeurs démenties
Parallèlement, le ministre démissionnaire des Affaires étrangères, Adnane Mansour, a démenti hier les rumeurs faisant état d’un appel, par téléphone, de l’ambassade du Liban à Ankara à l’adresse des ressortissants libanais les pressant de quitter la Turquie. « Cette information, qui est dénuée de tout fondement, a semé la panique parmi les Libanais se trouvant dans ce pays. Elle ne sert aucune cause, surtout dans ces circonstances, où la précision doit être de mise », a affirmé le ministre. L’ambassadeur du Liban à Ankara, Mansour Abddallah, a lui aussi démenti l’information hier à travers l’agence d’information Anatolie.
De son côté, le directeur de la Middle East Airlines (MEA), Mohammad el-Hout, a démenti les informations de presse faisant état de l’envoi d’un avion de la compagnie à Ankara pour évacuer les ressortissants libanais en Turquie, par peur de représailles à la suite de l’enlèvement des pilotes turcs.

 


« Un acte qui nuit à l’image du Liban »
Selon une source de sécurité, quatre individus armés circulant à bord de deux voitures ont enlevé les deux pilotes qui se trouvaient dans un bus se rendant de l’aéroport vers un hôtel en ville. Le rapt a eu lieu dans une zone à majorité chiite, contrôlée par le mouvement Amal et le Hezbollah. En Turquie, les deux hommes enlevés ont été identifiés comme étant le pilote Murat Aktumer et son copilote Murat Agça. Les sept autres passagers sont repartis vers Istanbul.
Vendredi, le président Michel Sleiman s’était entretenu au téléphone avec son homologue turc Abdullah Gül. Il a condamné l’enlèvement et assuré à son interlocuteur que « des efforts sérieux étaient en cours pour localiser l’endroit où se trouvaient les pilotes turcs, s’assurer de leur sort et tout faire pour les libérer », selon un communiqué de la présidence.


Le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu s’est de son côté entretenu au téléphone avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati et le président du Parlement Nabih Berry. « MM. Mikati et Berry ont exprimé leur tristesse face à cet incident et affirmé qu’ils entreprendraient toutes sortes de démarches pour la libération des pilotes », selon le ministère turc.
Le Premier ministre désigné Tammam Salam a, lui aussi, condamné l’enlèvement, dénonçant un « acte qui ne saurait être passé sous silence parce qu’il nuit à l’image du Liban et à sa réputation ».

 

 

(Pour mémoire : Adham Zgheib, fils d'un pèlerin libanais enlevé en Syrie : "Onze mois, ça suffit!")


Le groupuscule de l’imam Rida
Les hommes armés ont enlevé les deux pilotes de la Turkish Airlines afin qu’Ankara contraigne les rebelles syriens à relâcher neuf chiites libanais qu’ils détiennent depuis mai 2012. Ces derniers faisaient partie d’un groupe de chiites qui avaient disparu dans la province d’Alep (Nord) à leur retour d’un pèlerinage en Iran. Les femmes et deux hommes du groupe avaient été libérés.
Vendredi après-midi, un groupuscule se faisant appeler « Les pèlerins de l’imam Rida » avait revendiqué l’enlèvement. Dans un message diffusé par la chaîne de télévision al-Jadeed, mais dont l’authenticité n’a pu être confirmée, les ravisseurs demandent aux autorités turques la libération des pèlerins chiites contre celle des pilotes. « Nous annonçons que le capitaine et son copilote sont nos invités jusqu’à la libération de nos frères qui, après avoir visité les lieux saints, ont été kidnappés à Aazaz. La Turquie est directement responsable de la liberté » des otages libanais, avait affirmé le groupe.


Ce n’est pas la première fois que le groupuscule de l’imam Rida fait parler de lui. En août 2011, il avait détenu pendant plusieurs jours un ressortissant turc qui était en visite au Liban.
Interrogé par l’AFP après cette revendication, un porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères a pour sa part affirmé que son pays n’avait « rien à avoir » avec l’enlèvement des Libanais en Syrie et qu’Ankara faisait son possible « pour obtenir leur libération », dans un souci humanitaire.
Lors de son entretien avec M. Sleiman, M. Gül a également rappelé les efforts entrepris par son pays pour libérer les otages de Aazaz et assuré que ces efforts se poursuivaient afin que ceux-ci « soient libérés et puissent retrouver leurs familles le plus tôt possible ».


Par ailleurs, les réactions à l’enlèvement se sont succédé hier encore. Le coordinateur du 14 Mars Farès Souhaid a qualifié l’incident « d’extrêmement dangereux aux niveaux sécuritaire et politique ».
Il a situé cet incident dans un cadre plus général, celui « d’un projet de guerre que le Hezbollah tente d’imposer à tous les Libanais », ce qui imposerait plus que jamais « une solidarité entre les composantes du 14 Mars ». Dans ce contexte, le député des Forces libanaises, Fadi Karam, qui prenait part avec Farès Souhaid à l’inauguration d’un bureau des FL à Kartaba, a réaffirmé « la détermination des FL et de leurs alliés à construire un l’État des institutions, que le mini-État du Hezbollah tente d’entraver ». Pour le député du Futur Nidal Tohmé, « le rapt des deux pilotes turcs porte un nouveau coup à l’entité étatique, paralyse le tourisme restant et consacre la loi de la jungle au Liban ».

 

 

 

 

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