Onze mois qu'Adham Zgheib n'a pas vu son père. Ce dernier, Ali Zgheib, fait partie des pèlerins libanais enlevés en Syrie en mai 2012 par un groupe rebelle syrien. Porte-parole des familles des pèlerins et membre du comité de suivi formé par les proches des otages, ce trentenaire œuvre sans relâche à la libération des pèlerins depuis 11 mois. En vain.
Aujourd'hui, Adham Zgheib est fatigué et frustré. "Onze mois ça suffit", lance le jeune homme, qui reste toutefois prêt à une nouvelle série d'actions pour que son père et les autres pèlerins rentrent au pays.
"J’adresse un message au ministre libanais de l’Intérieur Marwan Charbel et aux Libanais qui ont peur pour la saison estivale et touristique (au Liban). Je leur demande d’avoir peur pour (la vie de) nos proches et de se solidariser avec nous", lance Adham Zgheib, interrogé par Lorientlejour.com.
C'est le 22 mai 2012, qu'onze chiites libanais ont été enlevés dans le nord de la Syrie, alors qu'ils revenaient d'un pèlerinage en Iran. Leur rapt avait été revendiqué par un groupe dirigé par un homme se faisant appeler Abou Ibrahim et qui disait être affilié à l'Armée syrienne libre (ASL), la principale composante de la rébellion qui combat le régime, mais celle-ci a démenti toute implication.
Dans un premier temps, ils ont été détenus à Aazzaz, à la frontière turque. Les femmes ont été rapidement libérées. Mais depuis, deux seulement des onze otages hommes, Awad Ibrahim et Hussein Ali Omar, ont été libérés, malgré les négociations en cours entre plusieurs pays de la région.
Aujourd'hui, les familles des pèlerins libanais estiment que la Turquie, qui soutient la rébellion syrienne, est impliquée dans ce dossier.
Ces derniers jours, pour obtenir la libération des pèlerins, leurs proches ont décidé de lancer un mouvement ciblé, tenant notamment des sit-in devant des établissements représentant des intérêts turcs, comme l'agence de la Turkish Airlines au centre-ville de Beyrouth. Lundi, un sit-in a provoqué à un accrochage entre les familles des otages et les forces de l’ordre.
Ils ont également appelé à un boycott des produits turcs. Un appel de nouveau lancé mardi après-midi lors d'une tournée dans la banlieue sud de Beyrouth, pendant laquelle les proches des otages ont glissé dans des sacs de pains vendus dans des boulangeries des brochures expliquant le pourquoi du boycott.
"La région où se trouvent actuellement les pèlerins se situe en dehors du territoire syrien, cette région frontalière est contrôlée à 100% par la Turquie", assure Adham, employé au port de Beyrouth. "Les deux pèlerins libérés par les ravisseurs avaient été transportés vers Ankara dans des véhicules appartenant aux services de renseignement turcs", poursuit-il, tout en assurant avoir d'autres "preuves" de ce qu'il estime être l'implication turque dans cette affaire.
"Deux jours après l’enlèvement des pèlerins, l’ambassadeur de la Turquie au Liban a assuré lors de ses rencontres avec des responsables libanais qu’+Ankara garantit la sécurité des citoyens Libanais (enlevés en Syrie)+, souligne le jeune homme. Nous ne comprenons pas comment il peut garantir la sécurité de nos proches sans que son pays ne soit impliqué dans le rapt".
Selon lui, les ravisseurs syriens se rendent en Turquie de manière quotidienne. "Les autorités turques nous ont promis qu’ils allaient arrêter les ravisseurs si jamais ces derniers se rendent en Turquie", affirme le jeune homme.
Lundi, le ministre libanais des Affaires étrangères, Adnane Mansour, a souligné qu’il "n’existe pas de nouvelles données relatives au dossier des otages de Aazzaz", notant que "l’État libanais ne fait pas assumer la responsabilité des enlèvements à la Turquie. Nous avions demandé de l’aide d’Ankara car il entretient de bonnes relations avec l’opposition syrienne".
La dernière fois que les familles ont pu parler avec les pèlerins enlevés remonte à quatre mois. "Nous n’avons plus le choix, nous devons agir", lance Adham Zgheib, qui insiste sur le caractère "pacifiste" du mouvement de protestations des proches des otages.
"Nous n’avons jamais fait de problèmes, nous n’avons jamais bloqué de routes ou kidnappé de ressortissants syriens, mais lorsqu’il s’agit d’une affaire politisée et aussi importante, les mouvements pacifistes ne mènent à rien", dit-il.
Début avril, les familles des pèlerins ont néanmoins empêché des ouvriers syriens de se rendre à leur lieu de travail près de Beyrouth, affirmant vouloir faire pression pour la libération de leurs proches. Dans la banlieue sud de Beyrouth, des hommes non armés ainsi que des femmes ont arrêté des mini-bus et demandé aux conducteurs et ouvriers syriens à bord de faire demi-tour après avoir vérifié leur identité, leur expliquant que leur geste était pour attirer l'attention sur leur cause.
"Nous savons que ce que nous faisons n'est pas bien, mais nous sommes tellement désespérés", avait dit à l'AFP Inaya Zogheib, fille d'un otage.
"Tout le monde nous dit que le seul moyen d’obtenir la libération de nos parents serait d'opérer des enlèvements en représailles et d'échanger des otages avec nos proches. J’espère que nous n’allons pas être obligés d'avoir recours à ces mesures", dit Adham Zgheib à Lorientlejour.com, en exhortant les ressortissants turcs et syriens au Liban à se solidariser avec leur cause. "Nous ne sommes pas vos ennemis", leur lance-t-il.
Le directeur général de la sureté générale, Abbas Ibrahim, a annoncé aux familles qu'une bonne nouvelle était attendue dans les jours à venir, mais Adham Zgheib n'y croit pas vraiment.
Les familles vont poursuivre leur campagne de boycott des intérêts turcs jusqu’à la libération des pèlerins, indique-t-il, rappelant que la banlieue-sud de Beyrouth est l'une des principales régions importatrices de produits turcs au Liban. "Nous allons demander à tous les importateurs de participer au boycott. S’il n’y a pas de réactions, nous allons fermer les bureaux de la Turkish Airlines, puis empêcher les avions de cette compagnie d’atterrir sur le sol libanais", avertit le porte-parole.
"Les familles des neuf otages représentent plus de 250 personnes, nous ne pouvons pas contrôler les réactions de tous ces gens là ou de la banlieue-sud, dit encore Adham Zgheib. Onze mois ça suffit! Ceux qui ne sont pas d'accord avec nous devraient se ranger à nos côtés, sinon, nous les considèrerons comme nos ennemis".
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