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À La Une - Analyse

La chute de Morsi sonne comme un revers pour la Turquie d'Erdogan

"Il est clair aujourd'hui qu'Ankara ne connaît pas bien le Moyen-Orient, contrairement à ce qu'elle prétend".

Le président égyptien déchu, Mohammed Morsi, et le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, le 30 septembre 2012, à Ankara. Photo Reuters.

Avec la chute du président égyptien Mohammed Morsi, le gouvernement islamo-conservateur turc a perdu un allié privilégié dans la région et a vu sérieusement pâlir le "modèle" démocratique qu'il prétendait incarner aux yeux du monde arabe.

 

Dès son élection en juin 2012, le dirigeant égyptien issu de la mouvance des Frères musulmans est devenu, par proximité idéologique, l'un des points d'appui favoris de la diplomatie d'influence conduite par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.

 

La destitution de Mohammed Morsi par l'armée a donc mis à mal les ambitions régionales de la Turquie et le modèle d'alliance entre démocratie et islam promu par le Parti de la justice et du développement (AKP).

"J'ai toujours douté de la réalité du +modèle turc+ aux yeux des Égyptiens", relativise Marc Pierini, l'ancien ambassadeur de l'Union européenne à Ankara, aujourd'hui chercheur à la fondation Carnegie Europe.

"Le seul exemple que les Égyptiens voient dans la Turquie, c'est sa politique économique, qui a réussi à assurer croissance et discipline budgétaire", ajoute-t-il.

 

Depuis l'arrivée de l'AKP au pouvoir en 2002, M. Erdogan a remporté trois élections législatives d'affilée et fait de la Turquie un pays à forte croissance économique. Fort de ces succès, son gouvernement, longtemps proche d'Israël, a tenté de profiter des secousses provoquées par les "printemps arabes" pour revenir en force sur la scène politique moyen-orientale.

 

Lors du dernier congrès de son parti en septembre dernier, M. Erdogan avait célébré ce retour de l'influence turque devant un parterre d'invités étrangers, au premier rang desquels figurait M. Morsi. "Nous avons montré à tous qu'une démocratie avancée pouvait exister dans un pays à forte majorité musulmane", avait-il lancé avec fierté.

 

 

"Quand les dictateurs tombent, forcément, il y a un problème"

Cette semaine, la destitution de son "ami" égyptien a donc été accueillie comme un choc par l'homme fort de la Turquie, qui a interrompu ses vacances pour présider une réunion d'urgence avec ses principaux ministres et le chef de ses services de renseignement.

Vendredi, M. Erdogan a condamné sans ambiguïté le coup d’État de l'armée en Égypte comme une "atteinte à la démocratie". "La démocratie peut seulement se bâtir dans les urnes", a-t-il souligné.

 

(Lire aussi: « La démocratie n’est pas pour les musulmans… »)

 

Plus qu'un coup porté au "modèle turc", l'ancien sous-secrétaire d’État turc aux Affaires étrangères, Ozdem Sanberk, voit dans les événement d’Égypte la marque d'une "faute" politique d'Ankara. "Il est clair aujourd'hui que la Turquie ne connaît pas bien le Moyen-Orient, contrairement à ce qu'elle prétend".

De fait, le pari fait par Ankara de miser sur la Syrie, l'Irak et l’Égypte se révèle être un échec cinglant. Après l'avoir soutenu, la Turquie a tourné le dos au président syrien Bachar el-Assad et pris le parti des rebelles qui ont juré sa perte. Son refus d'extrader le vice-président irakien Tarek el-Hashemi a tendu ses relations avec Bagdad. Et c'est aujourd'hui son partenariat avec l’Égypte qui est remis en cause.

"Ces liens établis par la Turquie l'ont été avec des dictateurs, pas avec leurs peuples", explique M. Sanberk, "alors quand les dictateurs tombent, forcément, il y a un problème".

 

Pour les analystes, les événements d’Égypte devraient donc inciter le gouvernement turc à plus de prudence, particulièrement après la vague de contestation politique sans précédent qui l'a visé le mois dernier.

Pas au point de le fragiliser, juge toutefois Henri Barkey, professeur de relations internationales à l'université Lehigh. Pour lui, l'AKP reste une formidable machine électorale, "toujours aussi efficace".

"D'une certaine façon, l'échec de Morsi démontre et souligne la réussite unique de l'AKP", estime-t-il en rappelant le succès de sa mise au pas de l'armée turque, auteur de quatre coups d'Etat depuis 1960, et l'augmentation du niveau de vie de sa population.

 

Mais aux yeux des analystes, la chute du président Morsi sonne comme un avertissement pour M. Erdogan. Selon eux, elle est la preuve que, à l'inverse de ce qu'il a répété aux manifestants qui ont défié son autorité dans la rue pendant trois semaines, la vitalité de la démocratie ne saurait se limiter aux seules élections.

"La leçon immédiate des événements des douze derniers mois en Égypte, c'est que des élections libres ne permettent pas de résoudre les problèmes complexes d'un pays sans un dialogue approfondi avec les différentes composantes de la société", tranche Marc Pierini.

 

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