Un magistrat peu connu choisi par les militaires, Adly Mansour, a prêté serment jeudi comme président par intérim de l'Egypte, remplaçant l'islamiste Mohamed Morsi renversé par l'armée qui le détient.
Âgé de 67 ans, M. Mansour, président de la Haute cour constitutionnelle, a promis de "protéger le système républicain" et d'être le "garant des intérêts du peuple" dans une brève allocution.
Le président par intérim a ensuite rendu hommage au peuple égyptien, aux médias, aux militaires et aux forces de police. "Un hommage au peuple égyptien qui, le 30 juin, a corrigé la trajectoire de sa glorieuse révolution", a précisé M. Mansour en référence aux manifestations massives qui ont débuté dimanche, pour le premier anniversaire de l'investiture du président déchu.
(Portrait : Adly Mansour, un juge peu connu du public à la tête de l'Egypte)
La chute du régime de M. Morsi, élu en juin 2012 à la première présidentielle démocratique de l'histoire du pays, met un terme à un an de pouvoir islamiste marqué par des crises à répétition et une forte contestation populaire.
Elle ouvre cependant la voie à une délicate transition dans le plus peuplé des pays arabes, où l'armée a lancé une vaste opération contre les Frères musulmans dont est issu l'ex-chef d'Etat, accusé par ses détracteurs de vouloir instaurer un régime autoritaire au profit de la confrérie.
M. Morsi et sa garde rapprochée sont détenus par l'armée. Le Guide suprême de la confrérie Mohamed Badie a été arrêté à Marsa Matrouh (nord-ouest) pour "incitation au meurtre de manifestants" (qui protestaient dimanche devant le siège de la confrérie), son numéro 2 Khairat al-Chater est sous le coup d'un mandat d'arrêt, et le chef du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), vitrine politique du mouvement islamiste, a également été arrêté.
Un haut responsable de l'armée a confirmé la détention "de façon préventive" de M. Morsi, laissant entendre qu'il pourrait être poursuivi, alors que la justice le convoque lundi à un interrogatoire pour "insulte à l'institution judiciaire" et que d'autres charges pourraient être retenues contre lui.
Les Frères musulmans ont réagi en dénonçant un "Etat policier", et les islamistes ont appelé à manifester en masse et "pacifiquement" pour un "vendredi du refus", faisant craindre un nouveau bras de fer.
C'est le général Abdel Fattah al-Sissi, le nouvel homme fort du pays, qui a annoncé la mise à l'écart de M. Morsi. REUTERS/Louafi Larbi
Réactions contrastées
La mise à l'écart d'un président démocratiquement élu par l'armée, qui a aussi suspendu la Constitution pour une période transitoire non précisée, a créé un certain embarras à l'étranger et suscité des réactions contrastées.
Si les capitales ont évité de parler de "coup d'Etat", le président américain Barack Obama a appelé à réexaminer l'importante aide militaire à l'Egypte, la Russie a exhorté les camps rivaux à "la retenue" et l'Europe a insisté sur la tenue rapide d'une présidentielle.
M. Mansour a en outre reçu des félicitations de plusieurs dirigeants arabes en tête desquels l'Arabie saoudite, mais la Turquie a jugé antidémocratique le renversement de M. Morsi.
Sur la place Tahrir au Caire qui a fêté toute la nuit avec des feux d'artifice le renversement de M. Morsi, il restait quelques petits groupes de manifestants alors que des haut-parleurs diffusaient de la musique patriotique.
Les célébrations des anti-Morsi, rappelaient celles observées lors de la chute de Hosni Moubarak en février 2011, dans le sillage du Printemps arabe lancé en Tunisie.
Le président tunisien Moncef Marzouki, dont le pays est dirigé par un gouvernement islamiste, a estimé qu'il n'y avait pas de risque de contagion, appelant toutefois à faire "attention" aux attentes du peuple.
(Portrait : Morsi, du "président de tous les Egyptiens" à l'homme qui divise)
"L'Egypte est de retour"
"Le président chassé par la légitimité populaire", "l'Egypte est de retour", a titré la presse gouvernementale et indépendante. En revanche, le journal des Frères musulmans titrait sur les manifestations pro-Morsi.
Les événements se sont précipités depuis lundi au lendemain de manifestations sans précédent, émaillées de violences meurtrières, contre M. Morsi.
Après l'expiration d'un ultimatum de 48 heures lancé par l'armée et face à la persistance du président à rester au pouvoir, c'est son ministre de la Défense et chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, le nouvel homme fort du pays, qui a annoncé sa mise à l'écart.
Les forces de sécurité l'ont ensuite arrêté et emmené au siège du ministère de la Défense, après la diffusion d'un enregistrement vidéo dans lequel M. Morsi, qui fut le premier président civil et islamiste du pays, s'est redit "le président élu d'Egypte" et a dénoncé un "coup d'Etat complet".
La place Tahrir a fêté toute la nuit avec des feux d'artifice le renversement de M. Morsi. AFP PHOTO / KHALED DESOUKI
Ce coup de force fait craindre de nouvelles violences, alors que les heurts depuis le 26 juin ont coûté la vie à 57 personnes, dont dix morts mercredi soir lors d'accrochages entre des pro-Morsi et les forces de l'ordre et entre pro et anti-Morsi.
Le ministère de l'Intérieur a averti qu'il répondrait "fermement" aux troubles et des blindés ont été déployés la veille au Caire.
(Chronologie : De la chute de Moubarak au renversement de Morsi)
La feuille de route sur la transition politique a été rédigée par l'armée, qui avait pris les rênes de l'exécutif durant 16 mois entre la chute de Moubarak et l'élection de Morsi. Elle a toutefois fait l'objet de tractations avec l'opposition et les principaux dignitaires religieux musulmans et chrétiens du pays.
Les consultations pour la formation d'un gouvernement "doté des pleins pouvoirs" qui sera dirigé par M. Mansour, ont commencé, selon l'opposant Amr Moussa.
M. Morsi était accusé de tous les maux du pays -administrations corrompues, dysfonctionnements économiques, tensions confessionnelles- par ses adversaires qui voyaient en lui un apparatchik islamiste inexpérimenté, cherchant à placer ses partisans dans tous les rouages du pays et à restaurer, sous un habillage idéologique différent, le système autoritaire d'autrefois.
Ses partisans, eux soulignent que les problèmes auxquels il faisait face ne datent pas de son arrivée. Ils ont manifesté eux aussi massivement et plusieurs ont estimé qu'il avait été "trahi".
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commentaires (9)
C'était le Joker de l'Armée et des Américains ce "juge" !
Antoine-Serge KARAMAOUN
00 h 43, le 05 juillet 2013