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Culture - Spectacle

Jeux de désirs et de hasards

Le théâtre Le Tournesol présentait le week-end dernier « Le jeu de l’amour et du hasard » de Marivaux. Les jeux d’acteurs truculents et la mise en scène libertine de Philippe Calvario ont su marier ce classique de la littérature à une familiarité jouissive.

Le duo de domestiques plus croustillants à chaque scène. Photo Marwan Assaf

Coiffée d’un interminable voile blanc, Lisette avance à pas réguliers vers le mannequin de tissu. La Marche nuptiale remplacée par l’air de Je t’aime moi non plus de Gainsbourg, le rythme de son avancée se fait suggestif. Dans une semi-pénombre, la jeune femme fantasme. Elle rêve de dire ce «oui» qui décidera de son bonheur. Un oui prononcé avec tant d’ardeur qu’il n’est plus tant adressé à l’amour qu’au désir. Cette première scène laisse déjà entrevoir la modernité du propos que Philippe Calvario fait tenir à ce texte bientôt tricentenaire. En tournée depuis 2009, lui et sa troupe parent Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux d’une fraîche désinvolture.
Les jeunes gens préfèrent s’échanger des masques que des billets doux. Julia et Dorante sont promis l’un à l’autre sans se connaître. À l’heure de leur première rencontre, ils obtiennent de leurs pères la possibilité de refuser le prétendant proposé. Chacun de son côté envisage le même stratagème pour observer l’autre à la dérobée: endosser le rôle de leurs domestiques. Ces derniers, Lisette et Arlequin, trop heureux de leur chance, prennent la place de leurs maîtres. Le vrai du faux se dissout alors dans ce jeu de rôle qui mettra les soupirants face à l’impossible dilemme de voir l’élu de leur cœur ne pas être celui qu’il devrait. Seuls le père et le frère apprécient le jeu, les spectateurs n’intervenant que pour pimenter le drame.
Philippe Calvario met de côté le thème qui a déclenché de nombreuses controverses à l’époque de Marivaux. La lutte des classes n’a pas cours, ici. Chacun se satisfait de sa place tant qu’elle est partagée avec son bien-aimé. Les domestiques ridiculisent l’emphase bourgeoise. Les nantis restent distingués dans leurs tenues de souillons quand la vulgarité des domestiques n’est qu’exacerbée par les étoffes trop criardes qu’ils revêtent dans une vaine tentative de ressembler à leurs maîtres. Là n’est pas le sujet. La vertu de la mise en scène est sans nul doute de s’user de ce jeu de rôles et de contrastes pour parler du désir. Tel un palais des glaces qui reflète les fantasmes comme ils pourraient l’être. Côté pile, chez les maîtres, les passions sont intellectualisées, réprimées; douloureuses car contrariées. Dans leur morne austérité vestimentaire, les nantis s’enlisent dans leurs civilités et manières pour leur résister. Côté face, le désir des petites gens est ardemment charnel, exubérant et haut en couleur.
Encombré, le plateau prend des airs de chambre d’enfant envahie de ces jouets et objets de l’innocence que Silvia se refuse à quitter. Heureusement, le jeu d’acteur façon commedia del arte tout en énergie et en surenchère donne vie à ce décor chargé. Les comédiens bondissent, courent, sautent, se jettent au sol puis se mettent à genoux. Changeant de registres à un rythme plus effréné encore, ils donnent à la comédie de Marivaux ce rythme joyeux qu’elle mérite. Durant la représentation, rares sont les moments où les rires ne fusent pas.

Un jeu du désir séculaire, mais si peu vieux jeu
Philippe Calvario ne se contente pas d’offrir une mise en scène voluptueuse, presque baroque. Il joue également un Dorante pris d’un chaud-froid au contact de l’orgueilleuse Silvia. Glacé en comparaison du luron qu’il a pour valet et pourtant brûlant, à peine enflammé et déjà consumé, par son amour pour Silvia. Celle-ci, campée par Julie Harnois, porte sublimement la fraîcheur teintée de présomption des débutantes. Aux prises avec leurs dilemmes cornéliens, Silvia et Dorante font figure de jansénistes au regard du duo de domestiques plus croustillants à chaque scène. Dans sa robe grossièrement volumineuse, Anne Bouvier joue une Lisette sans gêne et sans complexes, Kévin Lelanier un beauf sympathique et maladroit. Avec leurs facéties, simagrées et postures luxurieuses, le couple flirte allégrement avec le grivois sans lui céder. Le texte de Marivaux se pare d’audaces d’une modernité insoupçonnée. Entre les scènes, les voix de Serge Gainsbourg et Jane Birkin d’une sensualité rutilante soufflent un air de libération sexuelle très sixties sur l’œuvre de Marivaux. À elle s’ajoute la mise en scène parfois très suggestive. Apparaît alors en filigrane le thème de l’émancipation féminine s’amorçant par le droit de choisir pour Silvia devenant plus tard ce droit au plaisir que la jeune fille semble balayer d’un revers de main. Philippe Calvario fait ainsi parler la pièce de cette lutte entre désir et raison et l’inévitable victoire du premier sur le deuxième.
Coiffée d’un interminable voile blanc, Lisette avance à pas réguliers vers le mannequin de tissu. La Marche nuptiale remplacée par l’air de Je t’aime moi non plus de Gainsbourg, le rythme de son avancée se fait suggestif. Dans une semi-pénombre, la jeune femme fantasme. Elle rêve de dire ce «oui» qui décidera de son bonheur. Un oui prononcé avec tant d’ardeur qu’il n’est...
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