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Liban

La fierté de vivre et l’orgueil de mourir

Le député Hamadé pendant son intervention. Photo Abed Karout

V

oici in extenso l’hommage ému (et émouvant) de Marwan Hamadé à Ghassan Tuéni.
« S’il avait été donné à Ghassan Tuéni de vous remercier ce soir, pour ces témoignages, aussi éloquents qu’affectueux, sur sa vie, son œuvre, ses valeurs et son héritage, il aurait probablement placé en exergue à sa propre mort ce que Nadia avait dit de la sienne : “Nous nous sommes battus pour le plaisir d’apprendre l’orgueil de mourir.”


« À vrai dire, il faut avoir accompagné Ghassan Tuéni durant les dernières années de sa vie, apprécié sa résilience exemplaire, admiré le courage de sa lente agonie, perçu les murmures de ses derniers souffles pour apprécier ce que fut sa fin. Elle fut à la mesure de sa vie. Immense. Certes, personne autant que Chadia ne pourrait donner à ces instants leur véritable dimension et leur vraie valeur. Le choix des nôtres, mais aussi la qualité des liens qui unissent notre famille – et que Ghassan avait tissés et consolidés toute sa vie – me permettent de parler ce soir, en son nom, et celui des petits- enfants, arrière-petits-enfants, frères et neveux, pour remercier Amin Maalouf et Nassif Hitti pour leurs remarquables adieux et transmettre à l’Institut du monde arabe et à son président Jack Lang notre gratitude pour avoir prêté à une cérémonie aussi touchante un auditorium si familier à Ghassan.


« Qu’un Hamadé s’adresse à vous au nom des Tuéni n’est pas le fruit d’un hasard d’alliances. Très vite, il y a déjà un demi-siècle, mon beau-frère était devenu pour moi un frère, le confrère un ami, le collègue un interlocuteur, le patron un maître à penser et à vivre, même si nos appartenances idéologiques et nos choix politiques n’étaient pas toujours concordants.


« J’ai connu Ghassan Tuéni à l’automne 1954, lorsque ce jeune et fringant député grec-orthodoxe de Beyrouth séduisit ma sœur Nadia Hamadé, la fille de l’ambassadeur du Liban à Athènes. De père très arabe et très druze, de mère très française et très catholique, Nadia rejoindra Ghassan sur un parcours qui les plaça tous deux à l’intersection et sur l’orbite de destinées aussi glorieuses que tragiques, tant au plan personnel que national. À l’époque, le mariage pour tous était restreint au mariage interconfessionnel, véritable défi lancé, dans nos cas respectifs, à notre grand-mère Hind, plus druze que la pierre de sa montagne, aux oncles cheikh Akl du Chouf ou abbé de Montferand, et au véritable parrain de Ghassan métropolite de Beyrouth. Plus tard, la carrière fulgurante de journaliste-député fit le reste. Son succès comme ses déboires tracèrent une saga incomparable dans l’histoire du Liban moderne. Certes sa plume incisive et ses valeurs démocratiques lui valurent la prison, des tentatives d’assassinat et des mises en faillite virtuelles. Mais ces péripéties en feront le premier champion des libertés de presse au Liban. Du Nahar gringalet de Souk el-Tawilé, il fit un géant de la presse écrite dans le monde arabe. Aussi, du journaliste, du professeur, de l’écrivain, du député, du ministre, de l’ambassadeur, je retiendrai essentiellement devant vous ce soir l’homme. Car votre participation plus intime que solennelle à cette cérémonie n’est pas un hommage traditionnel à l’éminence d’un citoyen libanais. Nous nous retrouvons ce soir, comme le disait aussi Nadia, pour témoigner d’un comportement exceptionnel face à la tragédie hagarde subie par sa famille et son pays. “Ce pays, écrivait-elle, qui ressemble à un livre d’enfants où le canon dérange la belle au bois dormant.”


« Héros de tragédie et pourfendeur de torts, Ghassan brandissait, en effet, son stylo sabre au clair. Personne autant que lui n’aura subi et affronté l’arbitraire syrien, dénoncé et combattu l’agression israélienne, défendu et plaidé la cause palestinienne. Mis à la croisée des intégrismes juif, musulman, parfois chrétien, ce fils d’Antioche, apprenti franc-maçon, disciple d’Aristote, émule en “phil” des professeurs de Harvard, incarnera, dans sa plus belle expression, l’Arabe chrétien, en une symbiose rare de personnage où l’engagement national affine, sans complexe minoritaire, une foi authentique et un rêve d’empire.


« Nayla, Nadia, Makram, Gebran, Ghassan se joignent ce soir à Chadia et moi pour apporter, à travers les vicissitudes d’une famille et d’une nation, une véritable profession de foi en un Liban uni comme l’était notre famille, et une nation prospère comme l’était notre nation. Dans son parcours, Ghassan ne s’était jamais laissé piéger par une idéologie, égarer dans la violence, écarter de la tolérance, ou isoler du dialogue. Le pacifiste guerrier, comme il aimait se décrire, était bien sûr l’homme des paradoxes, comme on se plaisait à le dépeindre.


« Ainsi l’homme à la plaque minéralogique symbolique du 50 50, l’homme du Front démocratique de 1952, avec Camille Chamoun et Kamal Joumblatt, l’homme de la Troisième force en 1958, avec Charles Hélou et Georges Naccache, l’homme qui dit non au 2e bureau en 1970, avec Raymond Eddé et Saëb Salam, l’homme du jeûne pacifiste de l’imam Moussa Sadr en 1975, le champion de “laissez vivre mon peuple” à l’ONU en 1978, et celui du soutien à la révolution du Cèdre en 2005, ou du dialogue national en 2006, cet homme-là ne nous fait pas ses adieux ce soir.
« Ghassan Tuéni, ici, réitère son non tonitruant à la guerre, qu’elle soit celle des autres ou celle de notre propre fait. Il réaffirme son refus de la haine et de la vengeance comme il le prêche dans son livre-testament qui révèle l’authenticité de sa foi, qui fut pour lui un solide rempart et un refuge ultime. Pour notre part, rassurons Ghassan là où il a rejoint les siens, accompagné dans sa miséricorde par l’icône de Sednaya. La quête de la justice demeurera notre principal souci. Il ne s’agit plus d’un devoir que nous devons à Gebran. Il s’agit d’un droit qu’exigent tous les Libanais.


« Dans cette salle qui porte le nom hautement symbolique de Rafic Hariri, la famille réunie, l’équipe du Nahar, les amis de Ghassan expriment une fois de plus leur gratitude aux brillants intervenants et saluent cet institut qui a toujours dépassé les turbulences politiques en apportant aux relations franco-arabes leur singularité culturelle et leur valeur humaniste. C’est là sans aucun doute, en cette cérémonie du souvenir, un tribut supplémentaire qu’aurait apprécié Ghassan. Merci. »

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oici in extenso l’hommage ému (et émouvant) de Marwan Hamadé à Ghassan Tuéni.« S’il avait été donné à Ghassan Tuéni de vous remercier ce soir, pour ces témoignages, aussi éloquents qu’affectueux, sur sa vie, son œuvre, ses valeurs et son héritage, il aurait probablement placé en exergue à sa propre mort ce que Nadia avait dit de la sienne : “Nous nous sommes battus...

commentaires (1)

Quel homamge vibrant ! Ghassan Tuéni est la mémoire vivante du Liban. Paix sur ses cendres auprès de son fils, le très cher Gebran.

Charles Fayad

19 h 41, le 29 avril 2013

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Commentaires (1)

  • Quel homamge vibrant ! Ghassan Tuéni est la mémoire vivante du Liban. Paix sur ses cendres auprès de son fils, le très cher Gebran.

    Charles Fayad

    19 h 41, le 29 avril 2013

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