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Culture - Festival al-Bustan

Sacré tsar Boris !

BB pour Boris Berezovsky. Un concert attendu, reporté, donné en avant-dernière séance du Festival al-Bustan. Un concert d’un pianiste virtuose, à l’énergie inépuisable, qui n’a pas déçu son auditoire. Surtout avec des partitions russes d’une bravoure déconcertante...

Aux dernières nouvelles, alarmantes, le public a paniqué. Avec la mort subite de l’homme d’affaires russe exilé, homonyme du pianiste, la confusion, pour un instant, s’est installée. Mais très vite l’éclaircissement est venu: il s’agissait de Boris Abramovitch Berezovsky et non pas de Boris Vadimovitch Berezovsky. Ce dernier est apparu hier soir sous les acclamations de l’auditoire dans une salle non comble, mais relativement bien remplie.
Invité pour la huitième fois en vingt ans de festival sur ces mêmes planches, costume gris sur col dégrafé, le pianiste a pris la patine du temps. À quarante-quatre ans, les cheveux ne sont plus d’ébène mais sel et poivre et la corpulence a du bedon. «Tout juste enveloppé», aurait dit l’un des plus célèbres personnages d’Uderzo et Goscinny...
Mais dès que Boris Berezovsky se met devant les touches d’ivoire, en toute légèreté, la magie opère. Des mains que nul n’attrape et qui voyagent, en une incroyable vitesse et énergie, aux horizons les plus divers et les plus lointains. Entre ces mains puissantes, aux caresses les plus fluides, les plus douces, les plus martiales, les plus tranchantes, bref des mains de crack, le piano devient simple jouet, parfaitement maîtrisé.
Aux heureux fans venus l’applaudir, cet homme exceptionnellement doué, à la carrière entamée à l’âge de vingt-cinq ans au Wigmore Hall de Londres, a concocté un programme (guère annoncé d’avance!) aux lueurs romantiques, avec des pages où la Russie, par-delà maestria et brio, a plus d’une facette...
Ouverture en douceur avec l’Arabesque en do majeur op 18 de Schumann. Courbes sonores d’une grande tendresse avec des envolées contenues pour cette fantaisie aux couleurs à la fois entrelacées et estompées. Avec des arpèges et des appoggiatures fins comme une broderie délicatement tissée.
La voix est toujours à Schumann. Avec la Toccata en ré majeur, les pédales sont lâchées à bride abattue sous une frénésie de doubles croches. Une œuvre aux attaques impérieuses, comme des lance-flammes, placée sous les pompes des grands orgues de Bach et la poésie de Novalis. Alliance adroite de la rigueur et d’un imaginaire bouillonnant sous des accords fastueux, aux allures d’une irrépressible
mitraille.
Pour prendre le relais quel autre choix que la Sonate pour piano op 14 en do dièse mineur, op 27 dite Clair de lune du maître de Bonn ?
Trois mouvements (adagio sostenuto, allegretto, presto agitato) pour cet opus, joyau du répertoire pianistique. Et que Berlioz a défini en ces termes: «C’est l’un des poèmes que le langage humain ne sait pas comment qualifier...»
Alors que dire? Que dire devant ces premières mesures aux basses octaviées avec trois notes qui se groupent pour une mélodie sinueuse et fluide, reflet d’idées mélancoliques et un peu moroses. Que dire de cette alternance du « legato » et du «staccato», de ce caractère d’«ostinato», obsessionnel et entêtant, de cette utilisation intempestive des «sforzandos»? Que dire de ces orages et de ces embellies, de ces rêveries, de cette douleur, de cette solitude, de cet amour dominateur, de ce cœur qui bat la chamade? C’est toute la fougue et le feu passionnel de Beethoven enserrés dans ces pages ensorcelantes de vie. Et que Berezovsky, en quinze minutes, un raccourci d’une émotivité débordante, restitue avec une aisance déroutante.
Pour conclure la première partie du programme, place à l’esprit russe. À travers trois Contes de fées russes, pétillants, joyeux, festifs, signés Nicolai Medtner, musicien contemporain de Rachmaninov et Scriabine. Musicien qui s’est exilé au Nouveau Monde et en Europe, à cause du système politique qui lui déplaisait. Humour, fantaisie, ludisme, rythmes et cadences marqués et fraîcheur enfantine pour ces narrations rondement menées. Et non sans un certain brio comme pour souligner l’aspect irréel et étincelant de ces pièces, charmant préambule pour les œuvres après l’entracte.
Petite pause et retour aux pages exclusivement russes, cheval de bataille et fierté du jeu du pianiste. Tchaïkovski en tête de liste. Un Thème et variations op 19 n°6 attestant, si besoin encore en est, du cosmopolitisme musical du compositeur du Lac des Cygnes. En tonalités à la fois feutrées et passionnées, les touches d’ivoire font émerger des mélodies chantantes et furtives. Sans jamais oublier la sève d’un folklore russe aux racines bien ancrées et dont on perçoit par bribes les pointes, comme le bout de nez d’un iceberg bien caché sous les eaux froides endormies.
Plus en feu et torrentiels sont les Préludes de Rachmaninov dont on écoute ici huit (op 23 et op 32), soigneusement sélectionnés, d’un ensemble total de vingt-quatre, réplique à l’inspiration de Chopin. Narrations libres, incarnation de ce qui est russe, ces préludes fascinent par leur puissance, leur lyrisme, leur force d’évocation et d’invocation. Ils sont un véritable défi à tout artiste qui ose s’en approcher. Berezovsky s’en empare et se les approprie, avec éclat.
Pour conclure, dans le même registre de pièces maîtresses faites à éblouir, la fantaisie orientale Islamey de Mili Balakirev. Une œuvre qui en a jeté plein la vue à Ravel même qui a voulu par son Gaspard la nuit l’égaler... Alors c’est comprendre la difficulté technique de l’exécution !
Après un voyage au Caucase, les images sonores se sont incrustées dans les touches d’ivoire pour un musicien farouchement nationaliste (il a fait partie du groupe des cinq, lui le fervent admirateur de Glinka) et toute une sève folklorique s’y est généreusement déversée. À retenir surtout ce presto furioso de la fin d’une décapante vélocité.
Les tonnerres d’applaudissements et les petites gerbes de fleurs étaient au rendez-vous, bien entendu. Pour le bis accordé, scherzo et valses de Chopin. Le tsar du clavier s’est retiré, épuisé, mais une fois de plus souriant et heureux... Et le public aussi !
Aux dernières nouvelles, alarmantes, le public a paniqué. Avec la mort subite de l’homme d’affaires russe exilé, homonyme du pianiste, la confusion, pour un instant, s’est installée. Mais très vite l’éclaircissement est venu: il s’agissait de Boris Abramovitch Berezovsky et non pas de Boris Vadimovitch Berezovsky. Ce dernier est apparu hier soir sous les acclamations de...
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