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À La Une - Conférence

Le mariage civil « célébré » à l’AUB par les économistes, la société civile et l’Église orthodoxe !

Un débat s’est tenu à l’AUB pour discuter du sujet qui fait polémique dans le pays depuis déjà plus d’un mois.

Le couple Darwiche célébrant le succès de leur mariage hier à l’AUB, à l’issue de la conférence. Photo Béchara Maroun

C’est le lendemain de la reconnaissance de la légalité de l’union de Khouloud Sukkariyeh et Nidal Darwiche, par la plus haute instance judiciaire consultative du pays, que l’Association libanaise économique, en collaboration avec le Club des droits de l’homme et de la paix de l’AUB et le mouvement Hada Minna, a tenu à l’Université américaine une discussion autour du mariage civil au Liban. La rencontre a eu lieu en présence des Darwiche, premier couple à avoir contracté un mariage civil au Liban, après une procédure juridique complexe invoquant l’arrêté n° 60/ LR de 1936 et l’obligation de rayer leur mention confessionnelle sur les registres d’état civil.

 

(Entrevue : Khouloud : « Ma joie est immense »)

 

Le débat a été amorcé par Talal Naboulsi, étudiant à l’AUB et membre du Club des droits de l’homme et de la paix, qui œuvre activement depuis 1990 à promouvoir ces droits à travers plusieurs initiatives. C’était ensuite au tour de l’avocate Nayla Geagea, modératrice du débat, qui a présenté les différents intervenants : Talal Husseini, chercheur en droit et président du Centre civil pour l’initiative nationale, le Dr Jad Chaabane, président de l’Association économique libanaise, le prêtre grec-orthodoxe Georges Massouh, et Mark Daou, professeur à l’AUB et membre de Hada Minna, mouvement collectif de citoyens libanais œuvrant pour l’évolution du Liban dans les domaines politique, économique et culturel.


Talal Husseini, qui est à l’origine de la procédure légale du mariage de Khouloud et Nidal, a commencé par rappeler que la plus haute instance judiciaire consultative a émis un avis positif à propos de ce mariage et que cette consultation a été transmise au ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, par le ministre de la Justice, Chakib Cortbawi. « Le ministre de l’Intérieur remplit uniquement une fonction administrative à ce sujet, celle de documenter et d’enregistrer le mariage du couple, a-t-il dit. Même s’il ne signe pas cet enregistrement, le contrat de mariage est désormais valide. » M. Husseini a rappelé que Khouloud et Nidal ont opté pour que la loi civile française régisse leur mariage, l’arrêté 60 stipulant que « la loi civile régit le mariage de ceux qui n’appartiennent à aucune communauté confessionnelle », sans préciser la loi en question. La loi française valide à l’époque pouvait être considérée dès lors comme étant la loi mentionnée.

Des chiffres qui parlent
De son côté, Jad Chaabane a présenté une étude économique à propos des coûts du mariage religieux, basée sur des données fournies par l’Agence centrale des statistiques. Selon lui, plus de 40 000 mariages sont enregistrés chaque année au Liban. Le taux de divorce ayant augmenté jusqu’à 20 %, un mariage sur cinq aboutit au divorce, et cela n’a rien à voir avec le mariage civil. « Au Liban, le mariage est très important, a souligné Jad Chaabane. C’est le seul moyen d’être indépendant, fonder une famille et avoir des relations sexuelles de manière légale. Au Liban, l’âge du mariage des femmes était de 32 ans en 2007, alors qu’il était de 22 ans en 1970. Cinquante pour cent des hommes entre 25 et 29 ans ne sont toujours pas mariés, et tout cela est très malsain, car il peut engendrer des difficultés économiques et sociales. »
Et Jad Chaabane de poursuivre : « Le mariage de Khouloud et Nidal a coûté la modeste somme de 100 dollars, alors que les frais du mariage religieux s’élèvent à 2 500 dollars chez les chrétiens (les frais de location de l’église pouvant atteindre quelque 10 000 dollars dans certaines régions résidentielles), et à 200 dollars chez les musulmans (frais du cheikh). Tout cela comptabilise annuellement des rentrées de 9 millions de dollars qui vont aux institutions religieuses. D’autre part, les mariages civils à l’étranger coûtent plus d’un million et demi de dollars par an. Ainsi, si l’on ajoute les 6 millions de dollars que constituent les frais de divorce du mariage religieux, les rentrées des institutions religieuses s’élèvent à 15 millions de dollars par an, sans oublier que ces institutions ne sont soumises à aucun contrôle de la part de l’État. ».
M. Chaabane a rappelé dans ce sens l’affaire de Ragheb Kabbani, fils du mufti de la République, impliqué dans un détournement de fonds à Dar el-Fatwa pour des millions de dollars. « Si le mariage civil facultatif est adopté, a-t-il ajouté, chaque couple pourra économiser 1 400 dollars et les rentrées de l’État augmenteront de 1 400 000 dollars. Si le mariage civil obligatoire est légalisé, la somme s’élèvera à six millions de dollars, capables d’aider chaque année 2 500 familles pauvres. »

L’Église orthodoxe pour le mariage civil obligatoire
Pour sa part, le père Georges Massouh a affirmé que « l’Église orthodoxe estime que seul l’amour importe dans un mariage ». « C’est pourquoi l’Église orthodoxe approuve la légalisation du mariage civil obligatoire, quitte à garder le mariage religieux pour les croyants, a-t-il expliqué. Dieu ne demandera pas de contrat de mariage au jour du Jugement ; c’est le fond qui compte. » Et de poursuivre : « Il est temps de séparer l’État de la religion. Il est temps que l’État reprenne sa souveraineté entière, ayant cédé une partie de ses droits aux autorités religieuses. »
Enfin, Mark Daou a rappelé que « chaque année, un petit village de 700 couples libanais se forme à Chypre ». « Aujourd’hui, nous réalisons un de nos objectifs et nous ne l’aurions jamais fait sans l’aide des réseaux sociaux », a-t-il dit, citant le groupe Facebook « Nehna Tzawajna Madané, Akbelkoun », qui regroupe les photos de couples libanais ayant conclu des mariages civils à l’étranger. Une exposition de ces photos était d’ailleurs organisée dans l’entrée du Hall Issam Farès, à l’AUB, où se tenait la conférence.
Au terme de celle-ci, Khouloud et Nidal Darwiche ont fait part de leur joie. « Nos conditions économiques rendaient difficiles notre mariage, a raconté Nidal. Quand nous avons décidé de vivre ensemble pour fonder une famille, j’étais conscient que nous allions porter ensemble les responsabilités de la maison. Il m’était donc impossible de recourir à un mariage religieux qui consacre une relation inégale entre moi et ma femme. Je suis heureux que notre mariage civil ait abouti. »
Force est de noter que l’élaboration d’une loi locale libanaise pour régir ce genre de mariages reste nécessaire, une démarche qui devrait devenir plus facile à l’instant où les couples libanais se rueront pour suivre la procédure du couple Darwiche pour se marier et que les instances religieuses se rendront compte que les choses ne sont plus entre leurs mains.

 

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