Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

L’arrogance exacerbée d’un prosélytisme du libéralisme

Sagi SINNO
Le débat actuel autour de la loi pour un mariage civil optionnel (plus exactement un statut personnel civil facultatif) prend de plus en plus une tournure offensante, notamment de la part des défenseurs de ce mariage. Si la position, jugée provocatrice, de certains dignitaires religieux qui se sont prononcées contre ce mariage a été pointée du doigt longuement, il serait tout aussi opportun d’analyser l’offensive du camp adverse. Il ne s’agit pas de rentrer dans le fond du débat, ni du bien-fondé des arguments et contre-arguments autour du mariage civil, mais plutôt d’émettre certaines remarques sur la forme que prend le prosélytisme actuel des idées libérales au Liban et de relever quelques paradoxes qui plombent la position politique de certains défenseurs du mariage civil facultatif.
Le mariage civil est une idée qui s’inscrit dans le libéralisme politique et sociétal (la liberté comme principe suprême et critère de référence). Il serait opportun de remarquer, de prime abord, qu’il existe une différence entre démocratie et libéralisme. Dans l’histoire des sociétés, la démocratie a presque toujours précédé le libéralisme tant politique qu’économique et sociétal. S’il est indéniable qu’actuellement, avec l’avènement du printemps arabe, la démocratie devient une nécessité, voire même une conviction pour une majorité de gens dans les sociétés du Proche-Orient, arabo-musulmanes notamment, les idées de John Locke restent, quant à elles, un peu étrangères à ces sociétés. En raison de la place privilégiée qu’occupe la religion au sein de ces sociétés (l’islam notamment : valeurs, pratiques, législations relatives au statut personnel) et qui constitue un élément intrinsèque de leur identité, voire de leur fierté, les sociétés arabo-musulmanes restent et resteront probablement réticentes face au libéralisme politique comme philosophie de société. Et cela ne serait pas nécessairement de nature à constituer un reproche, mais, au contraire, très loin de là.
Ces réticences seront d’autant plus consolidées par le ton qui est employé par les tenants du libéralisme pour défendre leurs thèses. Par exemple, bon nombre des tenants de l’idée du mariage civil optionnel adoptent, pour défendre leur projet, un ton qui est souvent condescendant et arrogant à l’égard de leurs adversaires. Une bonne partie des pro-mariage civil ne font que taxer immédiatement et incessamment ceux qui s’y opposent d’un ensemble de préjugés souvent faux, parfois même insultants. Les anti-mariage civil sont accusés de tous les maux. Ils sont souvent traités de réactionnaires, d’incultes, de bornés, de renfermés idéologiques, de mentalement sous-développés, d’attardés, de communautaristes dogmatiques, d’extrémistes religieux, de chantres du confessionnalisme exécrable. Ils sont également soupçonnés de vouloir protéger une certaine corruption remarquée dans certains milieux d’hommes de religion qui, selon les mêmes accusateurs, ne défendraient le mariage religieux que pour les intérêts financiers que ce type de mariage leur procure. Animés par une bonne dose d’autosuffisance intellectuelle, les pro-mariage civil se comportent comme s’ils détenaient le monopole de la vérité, du progrès et de l’ouverture d’esprit, ou une concession exclusive sur la modernité et la pensée éclairée.
Du calme et un peu d’humilité, s’il vous plaît. Il faudrait éviter de simplifier abusivement la nature du débat en le ramenant à ce genre de leitmotiv insultant. Il ne s’agit pas d’un débat entre développés et incultes, mais d’un véritable débat entre deux modèles de civilisation (libéralisme contre religion, notamment islam) qui restent différents à plusieurs égards. D’ailleurs, le fait de véhiculer les idées libérales avec une telle condescendance et un ton si hautain est loin de coïncider avec les formes démocratiques du débat, qui présupposent une égalité de base et un respect mutuel entre les différents adversaires. En effet, comment peut-on taxer les autres d’incultes et d’extrémistes juste parce qu’ils ont un avis contraire et puis se prétendre démocrates ? Vouloir imposer le libéralisme sur la base de l’arrogance d’une prétendue avancée civilisationnelle et culturelle par rapport aux tenants du mariage religieux équivaudrait à scier la branche (démocratie) sur laquelle le libéralisme pourrait
s’asseoir.
Il serait tout aussi intéressant de relever un autre paradoxe de forme. On a assisté dernièrement à un autre débat au Liban, celui relatif à la proposition de loi électorale dite orthodoxe (abusivement). Sans rentrer dans le bien-fondé de sa nécessité actuelle aux yeux de certaines communautés libanaises, cette proposition de loi est d’essence purement communautariste et même, en voulant séparer les électeurs libanais sur une base exclusivement confessionnelle, il n’est peut-être pas très exagéré de dire qu’elle porte une certaine connotation raciste (chaque confession au sein de chaque communauté religieuse élit ses propres représentants au Parlement). Or, certains adeptes acharnés de cette proposition de loi se transforment subitement en chantres de l’ouverture d’esprit, grands théoriciens du progrès, spécialistes de la modernité dans la civilisation et porteurs des idées des Lumières pour défendre le mariage civil facultatif au Liban. Mutation un peu étonnante quand même : on a le droit de se demander comment peut-on défendre à la fois deux propositions de lois dans deux sujets différents, certes, mais qui s’opposent clairement dans leur esprit et leur finalité.
Il serait également regrettable que ce débat fasse l’objet d’une propagande populiste électoraliste qui consiste à vouloir attirer les voix des jeunes couches de la société. Il est encore plus regrettable de se positionner par rapport à ce débat à la lumière d’un bras de fer intraconfessionnel (entre politiques sunnites notamment), et dans le cadre d’un combat d’influence politique au sein d’une même confession.
Les enjeux de ce débat autour du mariage civil facultatif sont très importants. Si cette loi passe aujourd’hui, elle constituera sans doute un précédent, le libéralisme aura marqué un point, et il est légitime de se demander quelles seraient les éventuelles suites d’un tel précédent. Assisterons-nous demain à la légalisation d’un mariage civil optionnel pour les homosexuels?
Et, dans le même ordre d’idée, pourquoi ne pas légaliser le droit à l’avortement libre, non seulement pour des raisons médicales ou pénales (grossesse suite à un viol), mais qui serait également exercé au gré de ceux, plutôt de celles qui choisissent de le subir?
Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas légaliser l’euthanasie ? Et dans la foulée, pourquoi ne pas interdire les cloches des églises de sonner ou l’appel à la prière de retentir à l’extérieur des mosquées afin de ne pas gêner les oreilles délicates des néolaïques? Et pourquoi tout simplement ne pas interdire l’enseignement religieux pour satisfaire aux attentes des
néomodernistes ?
Tout cela pour dire que le débat autour du mariage civil facultatif au Liban est très important et aura des conséquences énormes tant juridiques que sociétales pour être présenté en des termes simplistes ou ramené seulement à l’image trompeuse d’un dialogue entre progressistes et réactionnaires.

Sagi SINNO
Le débat actuel autour de la loi pour un mariage civil optionnel (plus exactement un statut personnel civil facultatif) prend de plus en plus une tournure offensante, notamment de la part des défenseurs de ce mariage. Si la position, jugée provocatrice, de certains dignitaires religieux qui se sont prononcées contre ce mariage a été pointée du doigt longuement, il serait tout aussi...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut