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Nos Lecteurs ont la Parole - Les commentaires des lecteurs sur le projet de mariage civil

I.- La reconnaissance mutuelle des normes religieuses, alternative possible à la laïcité ?

Rayan HAYKAL
Le mariage civil de Khouloud Succariyeh et Nidal Darwiche scellé au Liban a ressuscité un débat aussi vieux que la création de la République libanaise. Malheureusement, la requête de validation du contrat a d’ores et déjà été rejetée par les autorités libanaises, accusant une fin de non-recevoir. Le ministre de l’Intérieur aurait solennellement annoncé que «tant qu’il n’existe pas de loi pour gérer ce genre de mariage, tout dossier similaire sera également rejeté». Au-delà du sentiment de frustration et d’injustice infligé au jeune couple, il est opportun de se poser la question si finalement le Liban aurait besoin d’un nouveau contrat de mariage – civil cette fois-ci – qui s’ajouterait aux codes existants (exclusivement religieux).

Sclérose du système juridique
 Pays multiconfessionnel, le Liban a choisi de décentraliser ses codes de statut personnel en délégant aux autorités religieuses la tâche de gérer la gestion des statuts de leurs membres. Ainsi, toutes les affaires de mariage, divorce, filiation, héritage (à l’exception des communautés chrétiennes depuis 1951), sont régies par les tribunaux religieux libanais sous le pouvoir de juges religieux ayant une formation canonique pour les juges chrétiens et de charia pour les juges musulmans. L’État chapeaute évidemment les autorités religieuses en interdisant les actes anticonstitutionnels (interdisant les unions libres ou homosexuelles, mais admettant la polygamie !) et en appliquant les résolutions juridiques prononcées par les tribunaux religieux.
Système décentralisé, oui, mais aussi marchand car les communautés sont en concurrence les unes avec les autres (18 communautés reconnues). Ce type de structure de marché est qualifié de concurrence monopolistique: le produit «contrat de mariage» est différencié selon les spécificités de chaque confession (en matière de conditions et effets du mariage, la dissolution du contrat, les droits des époux et des enfants...), mais la production du contrat reste l’apanage exclusif de la confession d’affiliation. Chaque confession détient donc un monopole légal et protégé par l’État sur le sort de ses fidèles.
Le code civil n’est toujours pas produit au Liban malgré les efforts considérables des organisations de la société civile et la tentative d’instauration d’un code civil facultatif en 1998 par le président Hraoui. Cependant, l’État libanais reconnaît comme valides les mariages civils contractés dans un pays étranger en respect de la règle de supraconstitutionnalité. Cette validation concerne les mariages mixtes ou entre deux époux de confession chrétienne, mais pas entre deux époux musulmans (comme le cas de Succariyeh et Darwiche). Cette validation est réciproque, car le reste du monde reconnaît comme valides les contrats de mariage religieux contractés au Liban, même s’ils ne se conforment pas aux valeurs de respect des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations.

Solutions marchandes
 Face à cette nébuleuse juridique, les défenseurs de la laïcité proposent que l’État libanais produise lui-même les contrats de mariage en vertu du respect des droits élémentaires de la République. Ils voient en cette laïcisation la seule solution radicale au problème du confessionnalisme au Liban. Cependant, la mise en place d’un régime civil et laïc de mariage aurait le lourd inconvénient de confiner la gestion des statuts personnels entre les mains d’un État corrompu et inefficace, et de faire table rase de la concurrence entre les institutions productrices de contrats. La laïcisation des contrats de mariage transmettrait par effet de contagion ces fléaux à la sphère privée sans pour autant croire que les institutions religieuses soient exemptes de tels excès.
Par ailleurs, les codes religieux sont loin de correspondre à l’ambition des couples. Selon la confession, les droits et obligations du mariage diffèrent en matière de filiation, d’obligation alimentaire, de droit de répudiation, de droit à l’héritage... De manière générale et à quelques exceptions près, les contrats de mariage religieux consacrent le système patriarcal et bafouent les droits de la femme. Ils sont formulés de sorte à reproduire l’ordre établi. Il est quand même curieux de noter que la Constitution libanaise s’inspire si étroitement des Constitutions française et ottomane sauf en ce qui concerne le statut des personnes.
Entre les insuffisances du code religieux et le cul-de-sac de l’instauration d’un code laïc unifié, il existe des solutions alternatives qui s’inspirent de la liberté qu’offrent les économies de marché. D’une part, la contractualisation du mariage pourrait transformer le lien du mariage en un contrat synallagmatique entre deux personnes consentantes, le délavant ainsi de toute dimension de «sacrement» à laquelle tiennent les communautés chrétiennes. Cette forme se rapproche du «prenuptial agreement» qui modifie certaines clauses du contrat civil afin de se conformer davantage aux aspirations des deux époux.
D’autre part, la reconnaissance mutuelle des normes religieuses pourrait offrir un «menu» de contrats parmi lesquels les couples choisissent en fonction de leurs préférences (religieuses, sociales...). Étant donné la diversité des institutions religieuses, les couples auraient au moins une vingtaine de contrats religieux possibles ainsi qu’un code civil proposé par l’État parmi lesquels choisir. Cette structure aurait l’avantage d’offrir à tous les couples un contrat de leur choix qui convienne non seulement à leurs attentes matérielles, mais aussi à leurs préférences en termes de religion et de vision du mariage.
(À suivre)

Rayan HAYKAL
Maître de conférences
Faculté de sciences économiques
Université Saint-Joseph – Beyrouth
Le mariage civil de Khouloud Succariyeh et Nidal Darwiche scellé au Liban a ressuscité un débat aussi vieux que la création de la République libanaise. Malheureusement, la requête de validation du contrat a d’ores et déjà été rejetée par les autorités libanaises, accusant une fin de non-recevoir. Le ministre de l’Intérieur aurait solennellement annoncé que «tant qu’il...

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